La « Titite », les écrits d’une vie et la mémoire de Leffonds
La “Titite”, c’était quelqu’un. Si elle était encore de ce monde, elle raconterait son village de Leffonds, près d’Arc-en-Barrois, et sa belle époque, la sienne. Elle qui avait le secret du vivre ensemble et du lien social.
Alexandrine Chantôme était née le 19 novembre 1913, à Leffonds, dans la maison de sa grand-mère qui était sage-femme. Comme elle était très chétive, son entourage pensait qu’elle n’allait pas survivre. Personne ne la connaissait sous ce nom : “Titite”.
C’était un personnage. Dépositaire de bouteilles de gaz qu’elle vendait depuis 1931, elle avait cette activité, qu’elle a maintenue jusqu’au bout de sa vie. C’était pour elle un moyen de rester en contact avec la population et de maintenir un lien social. « Ce n’est pas pour ce que ça rapporte, mais ça me permet de discuter. » Elle aimait partager.
Elle a été élevée chez son père, Arthur Dandrelle, qui travaillait aux Chemins de fer et avait construit sa maison à Monchy-Saint-Eloi, dans l’Oise. Elle avait reçu une bonne éducation et jouait du violon. Elle n’avait alors que 14 ans lorsque son père est mort. La maison a été vendue et, avec sa mère, elles sont revenues vivre à Leffonds chez la grand-mère maternelle.
Elle n’avait que 20 ans lorsqu’elle a perdu sa mère. Elle s’est mariée la même année avec Louis Chantôme, maréchal-ferrant. Elle avait une petite ferme et au décès de son mari en 1972, ce petit bout de femme ne s’en est jamais laissé conter. Malgré les aléas de son existence, elle a surmonté toutes les épreuves. Si elle n’a jamais eu d’enfants, elle a gardé ses nièces de Paris pendant la guerre et a accueilli beaucoup d’enfants pour les vacances.
Textos sur papier
Elle a consigné toutes les actualités de sa vie depuis 1972. Sur les documents retrouvés, on peut lire tous les évènements du village, les naissances, les baptêmes, les mariages et les décès. Elle notait sur un registre ses moindres faits et gestes et ceux de son voisinage.
Elle y a inscrit tous les détails de sa vie courante, ses allées et venues, ses rencontres, ses visites, ses sorties au restaurant, ses pannes de téléviseur, de voitures ou de machine à laver, les fuites d’eau, ses achats, sans oublier la météo. Elle n’a pas connu les réseaux sociaux, mais elle avait sa façon à elle de garder ses souvenirs. On y retrouve également des faits d’actualité comme les élections ou bien les décès des célébrités (Louis de Funès, Tino Rossi, Serge Gainsbourg, Pierre Bérégovoy, ou Yves Montand, parmi tant d’autres).
« Plus le courage d’écrire »
A 60 ans, elle a passé son permis et a conduit jusqu’à ses 89 ans. Avec sa Peugeot 104, elle pouvait rendre service à quiconque lui demandait. Elle se rendait fréquemment à la pharmacie pour ramener les médicaments pour les autres. Lorsqu’elle s’est rendu compte que cela devenait dangereux de se déplacer en voiture, elle a décidé de ne plus se mettre au volant et de vendre son automobile en juin 2004.
Un renseignement, une défaillance de souvenirs, il suffisait de lui en parler, et de sa mémoire, surgissait ce qu’on était venu chercher. Dans ses archives, elle avait tout un stock de photos de mariages, très bien conservées, réalisées dans des laboratoires de Chaumont : La Photo d’Art Maurice Laurent, Gaston Laurent ou Studio Elios. On sent dans ses écrits un immense besoin de rencontres et de discussions. Les jours, où elle ne voyait personne, sont marqués par un petit mot de désarroi.
A la lecture de ses registres, on note qu’elle bougeait beaucoup. Elle savait se rendre utile en suppléant les personnes en difficulté dans leur ouvrage, à la ferme par exemple. Elle aidait les familles à tuer les volailles, les lapins et à transformer la viande. Elle aidait les fermiers qui tuaient le cochon à faire le boudin. Toutes ses journées ont été bien remplies.
Ses dernières lignes datent du 21 octobre 2008 : « Je n’ai plus le courage d’écrire, enfin je m’y suis mis un peu, il fait beau, je ne vois personne, j’ai fait du feu, il fait bon ». En janvier 2009, elle dut se résigner à entrer en maison de retraite. Elle s’est éteinte en juin 2009 dans sa 96e année.
De notre correspondant Anthony Bottigliri