La thèse de l’incompréhension
SOCIETE. Professeure d’histoire-géographie en région parisienne, la Bragarde Ophélie Petiot doit réaliser à partir de septembre une thèse sur l’industrie agroalimentaire. Problème : le rectorat de Créteil refuse sa demande de mise en disponibilité pour recherche.
Elle est jeune, agrégée de géographie, a la tête bien faite et un sujet de thèse défini, qui plus est déjà financé pour les trois prochaines années. Pourtant, Ophélie Petiot vit dans le stress de ne pas pouvoir mener à bien ses trois années de recherche, à partir de la rentrée de septembre 2022. Pour la simple et unique raison que l’académie de Créteil, à laquelle elle est rattachée en tant que professeur d’histoire-géographie au collège Jules-Vallès de Choisy-le-Roi (Val-de-Marne), a refusé sa demande de mise en disponibilité pour recherches, invoquant le manque de professeurs.
Concrètement, l’académie refuse de laisser partir pour trois ans son enseignante TZR (titulaire en zone de remplacement). Pourtant la jeune femme a bien « bétonné » son dossier pour assurer sa demande. Elle a d’abord trouvé son sujet de thèse : « Les entreprises de l’industrie agroalimentaire en France et leur réindustrialisation : un levier pour la souveraineté alimentaire française ? »
Elle a ensuite trouvé un financement : le projet de thèse s’inscrit dans le projet de recherche Iretra (Innovation, réindustrialisation des territoires et transformation du travail) de l’Agence nationale de la recherche. « Elle a candidaté, puis obtenu très officiellement un contrat doctoral inscrit dans le cadre du projet (…) Iretra (…) qui rassemble quatorze chercheurs de cinq universités différentes », détaille François Bost, professeur à l’Université de Reims qui dirige ce projet, dans un courrier de soutien adressé au rectorat de Créteil. Le professeur insiste sur le fait que le projet « prévoit le financement d’une thèse de doctorat sur trois années, qui commencera le 1er septembre 2022 », précisant que « le dossier d’Ophélie Petiot a été sélectionné par un comité ad hoc parmi quatre candidatures et il a été jugé de très loin comme le plus solide scientifiquement ».
En plus de son directeur de recherches, la jeune femme a reçu une lettre de soutien du président de l’université de Reims Champagne-Ardenne, Guillaume Gellé. Deux courriers qu’elle a joints à son dossier de demande de recours gracieux, envoyé en février au rectorat de Créteil et donc refusé en avril. Nous avons contacté l’académie en question, qui n’a pas donné suite à nos sollicitations.
« Je pense avoir fait mon travail »
A un peu plus de trois mois de la rentrée, Ophélie Petiot comprend que son dossier est bloqué. « Parce que dans l’Education nationale, on a besoin de monde et ce genre de demande n’est pas accordé de droit, d’où ma demande de recours gracieux », développe la professeure. Ce qu’elle n’admet pas, en revanche, c’est qu’on ne prenne en compte ni les efforts fournis depuis le début de sa jeune carrière, ni le fait qu’elle n’a pas d’autre choix pour sa thèse que de la démarrer en septembre 2022. « Je me suis sentie déçue et je ne vois pas ce que je peux faire de plus. J’ai demandé un poste en TZR, je suis professeur principal, j’ai fait des heures supplémentaires, je pense avoir fait mon travail. J’aimerais que ce soit dans les deux sens parce que ce n’est pas humain et aujourd’hui, je n’ai plus le temps d’attendre »
Ophélie Petiot a reçu un nouveau soutien cette semaine. Celui de l’association nationale des industries alimentaires. Elle fera partir, également cette semaine, une nouvelle demande de recours gracieux auprès du cabinet du recteur de l’académie de Créteil.
N. F.
Un beau parcours (encadré 2)
Ophélie Petiot a 29 ans, elle est née à Saint-Dizier. Elle enseigne depuis 2017 en histoire-géographie après obtention de son Capes. Elle a un Bac + 5 sans compter la préparation à l’agrégation. Après avoir débuté à Vitry-le-François, elle effectue son premier poste en tant que titulaire au collège Anne-Frank de Saint-Dizier. En 2021, elle termine 13e (classement pour l’ensemble de la France) pour son agrégation externe en géographie. « Si jamais ma demande n’est pas acceptée, je songerai à démissionner et je perdrai mon agrégation », lance Ophélie Petiot.
Le député Cornut-Gentille dans la boucle
Ophélie Petiot a profité du lancement de campagne du député sortant François Cornut-Gentille, jeudi 28 avril à Eurville-Bienville, pour le rencontrer. La professeur lui a exposé sa situation et demandé son soutien. L’ancien maire de Saint-Dizier s’est exécuté et a adressé le lendemain un courrier à Daniel Auverlot, recteur de l’académie de Créteil. Au député, à travers cet autre recours gracieux, d’ériger Ophélie Petiot en « exemple pour un territoire rural qui compte également des établissements scolaires REP + (réseau d’éducation prioritaire) », qui présente ici un « sujet de thèse crucial pour la Haute-Marne. La réindustrialisation du bassin de Saint-Dizier et de Joinville est un enjeu central » pour des milliers d’habitants.