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Stéphane Magarelli animateur du ciné débat sur la sensibilité et le film "L'important c'est d'aimer"

La sensibilité comme un ennemi qui nous veut du bien

Stéphane Magarelli animateur du ciné débat sur la sensibilité et le film "L'important c'est d'aimer"
Stéphane Magarelli, aborde la sensibilité loin de la sensiblerie

CULTURE . Stéphane Magarelli, animateur passionné et atypique du ciné-philo, a proposé, jeudi 5 octobre, au cinéma New Vox, le film « L’important, c’est d’aimer ». Sur la sensibilité, thème de la 13e édition des Rencontres philosophiques de Langres, il a accepté de répondre à trois questions.

Comment abordez-vous la sensibilité ?

C’est un sujet qui s’impose d’emblée. Que ce soit dans le centre d’addictologie où j’exerce ou dans la clinique psychiatrique dans laquelle j’anime des ateliers philosophiques, on ne peut pas dissocier la maladie mentale ou les problèmes d’addictions de la sensibilité, puisque ce type de difficultés procède de la sensibilité. Je ne saurais définir précisément la sensibilité mais je peux dire ce qu’elle n’est pas : ni l’intelligence, ni la volonté. La sensibilité s’impose à vous. Elle vient vous saisir. Parfois même elle vous envahit, vous déstabilise, vous affecte, vous fait souffrir. On a beau tenter de s’y opposer par l’intelligence et/ou la volonté, c’est inefficace. La sensibilité est donc une puissance. Et comme elle est une puissance, elle peut imposer son empire. Je ne sais pas s’il y a un contrôle possible sur cette puissance mais il y a une pensée possible. Cette pensée permet de se représenter la sensibilité différemment et de la vivre différemment.

Parmi les pistes possibles pour bien vivre avec sa sensibilité, on peut parler de l’accueil. Accueillir ce dont nous tentons de nous éloigner, ce à quoi nous tentons de nous arracher et qui la plupart du temps s’impose davantage. Il existe des choses dont nous voulons nous séparer alors qu’elles font partie intégrante de notre vie quotidienne. Des émotions considérées comme négatives pourraient être considérées comme un ennemi qui nous veut du bien. Cela implique d’apprendre à vivre avec ses émotions inconfortables : l’inconfort de l’anxiété, des pensées obsédantes, du doute et surtout l’inconfort de l’angoisse. La sensibilité a cela de particulier qu’elle est une puissance qui peut devenir la source d’une lutte. A mon avis, je parle depuis ma pratique, une lutte qui peut se transformer pour certains en une guerre épuisante et parfois perdue d’avance. Tout cela doit être mis en perspective avec l’exact opposé : cette quête de l’apaisement, cette invitation à chercher le bonheur supposant que l’on pourrait le trouver. Ce qui relève aujourd’hui d’un impératif, même plus implicite, il est clairement explicite, et à partir duquel beaucoup de personnes s’épuisent.

Ça peut paraître trop simple de parler d’accueil mais quand la lutte devient un comportement qui nous conditionne, penser l’inverse est possible. Quand je parle d’accueil, ce n’est pas un accueil pacifique, facile.  C’est un accueil inconfortable, dont on ne veut pas. C’est accepter que, dans cette maison que l’on habite, il y a un grenier peuplé de fantômes. C’est un accueil très difficile, conflictuel, dont on ne veut pas : c’est le membre de cette famille que personne ne veut voir, qui fait honte à tout le monde et qui pourtant est invité au repas de Noël. Parce lui, c’est nous. Et vouloir le rejeter, c’est en définitive lui faire une place encore plus grande.

En quoi consiste la consultation philosophique que vous pratiquez ?

Le travail de réflexion philosophique libère. Il libère des espaces et remet en question ce qui est acquis. Pour moi, l’intérêt de la philosophie clinique, c’est qu’elle permet de dégager des représentations auxquelles on n’accède pas si on est seul. Et il n’y a que par un travail de la pensée, dans le cadre d’une pensée collective, que ces représentations peuvent émerger. Et une représentation qui émerge, c’est un paysage qui se dégage. L’atelier philosophique n’est pas la recherche d’une solution mais la recherche d’une issue, d’une perspective. Non pas une issue comme une porte de sortie ou de secours, mais une issue derrière laquelle, si on emprunte le chemin, il y aura peut-être quelque chose qui nous révèlera des représentations comme autant de possibilités à investir. Elles ne seront pas source de guérison, ni source d’un apaisement, plein et total, mais d’une reconsidération de notre réalité.

Je crois au travail de composition, pas au travail de guérison : le travail de composition est justement apprendre à accueillir. En partant du principe qu’accueillir, c’est aussi accepter que ces états sont transitoires et qu’ils alternent. Sauf lorsque l’on est dans un état de détresse aigüe ou lorsqu’un patient est dans un état de crise ou qu’il est proche d’entrer dans un établissement psychiatrique, là on est dans une violence extrême qui impose son empire tout le temps. Alors que les émotions inconfortables, on peut tous s’accorder à dire que ce sont des émotions que tout le monde peut ressentir dans des moments transitoires, avec des teintes et des colorations différentes, et ce ne sont pas des états émotionnels constants.

Soirée ciné débat au cinéma New Vox à Langres
Les spectateurs sont venus nombreux au cinéma New Vox assister à la projection du film « L’important, c’est d’aimer »

Pourriez vous nous parler du film « L’important c’est d’aimer » ?

C’est un film que j‘ai dû voir entre 10 et 15 fois. Je peux parler d’adoration, d’admiration, de fascination pour ce film. Ce film est effrayant à sa façon. Je l’ai proposé puisque le thème des RPL est cette année la sensibilité et il me semble incarner un pan de la sensibilité dont on parle peu. Aujourd’hui quand on parle de sensibilité, il me semble que l’on parle souvent de sensiblerie sucrée alors que la sensibilité peut être quelque chose de violent, extraordinairement violent. Qui s’oppose radicalement à l’incitation d’être raisonnable.

C’est l’inverse de la raison et c’est cela qui fait sa beauté. Car, si la raison est nécessaire, laisser son exact opposé, la liberté de jaillir, est tout aussi nécessaire. Cela révèle une intensité et une beauté que la raison est impropre à proposer. Laisser à ses sentiments, la possibilité d’imposer leur empire, c’est laisser vivre. Quelles qu’en soient les conséquences. Quel qu’en soit le prix. Vibrer dans cette quête de la totalité. On en vient à la question des addictions : quel est le lien entre les deux ? L’excès. Nous passons notre vie à tenter de réguler nos excès, à être raisonnable. Et c’est au prix d’un sacrifice. Et ce sacrifice, c’est une part de soi, une part de notre intime. La déraison, l’excès et la folie ont le droit de citer.

Donc j’ai choisi ce film parce que, avant d’être un film, c’est une expérience de l’intensité.  Et la possibilité de réagir violemment. Ce film est cruel, très cruel, avec des scènes extrêmement dures, mais il est également beau parce que sa beauté est dangereuse. Ce film suscite des sentiments contrastés. On peut être partagé entre la raison qui nous souffle : « Je ne veux jamais vivre cela » et le désir secret au fond dans notre intime, le désir de vouloir vivre, une fois dans sa vie, cette passion consumatrice.

Propos recueillis par Christelle Faieta

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