Saint-Dizier : La langue française leur appartient
EDITION. Professeure en linguistique française, Maria Candea est invitée par la librairie l’Attente l’Oubli, ce vendredi à 18 h, à l’occasion de la sortie en poche de l’ouvrage « Le français est à nous ! », qu’elle a co-écrit en 2019. Présentation.
JHM : Pouvez-vous nous présenter votre ouvrage ?
Maria Candea : J’ai écrit avec Laélia Véron « Le français est à nous », paru en 2019 et qui sort en poche ; et la suite, « Parler comme jamais », en octobre. Ce dernier est issu d’un podcast, le premier est plus un essai. Nous sommes toutes les deux linguistes. « Le français est à nous ! » a été écrit car on avait l’impression d’être dans un discours générateur de peur, d’insécurité linguistique : peur de parler, d’écrire, de faire des fautes ; plutôt que d’expliquer qui régule la langue, quelles sont les idéologies. On y explique ce qu’est une langue, à quoi sert l’Academie française – à rien, il faut le dire – le rôle des dictionnaires, comment se font les grammaires ; les relations entre idéologie et langue, etc.
JHM : Vous parlez de « l’ambition de se saisir de la langue ». Tout le monde doit s’en emparer ?
M. C. : Le but est de donner les outils critiques au public, de donner des repères. Tous les chapitres sont lancés de la même manière : on part d’un cliché et on l’explique.
JHM : C’est ainsi que la librairie annonce votre venue : « On dit « au coiffeur » et non « chez le coiffeur »…»
M. C. : Le français n’est pas figé, il faut évoluer. Pour cet exemple, ce sont deux variantes, toutes deux sont grammaticales et devraient être considérées comme correctes. « Chez », étymologiquement, c’est le domicile, on l’utilisait pour les professions libérales qui travaillaient chez eux, comme le coiffeur. Mais avec les salons, ça n’a plus de sens. C’est l’usage qui fait la loi. Si vous pensez que « chez le coiffeur » est une erreur, il faut se demander pourquoi, connaître l’histoire de la langue.
JHM : La langue française n’est donc pas en danger, elle évolue…
M. C. : Pourquoi dit-on que le français est en danger ? Il n’y a aucun indicateur. La langue varie, elle est diversifiée. Ceux qui arrivent à jongler entre les différentes sortes d’écriture sont meilleurs, il faut penser aux nouveaux usages. L’évolution ne veut pas dire que ça touche aux normes de l’écrit formel. C’est du pur bonheur d’observer comment la langue s’adapte aux exigences nouvelles. Il faut ouvrir les yeux et les oreilles. L’évolution n’a rien d’inquiétant. Certains s’attachent à un fantasme d’une langue du passé, alors qu’elle est fabuleuse quand on regarde sa variation.
JHM : Donc ce n’est pas parce qu’on écrit « jspr » dans un sms que l’on ne va plus savoir l’écrire normalement ?
M. C. : Tout à fait ! C’est comme « posey » (prononcez « poseille »), c’est un jeu de l’écrit très stylisé. Ceux qui maîtrisent la langue jonglent bien. Il faut rationnaliser. Non pas simplifier mais s’adapter.
JHM : Que pensez-vous de la féminisation des mots ?
M. C. : On a cru au fait d’une poignée de féministes. Mais il y a d’abord eu des batailles. Prenez les premières étudiantes. Au départ, le mot n’existait pas (c’était étudiant-fille, ndlr). C’est avec les changements que le langage se met en conformité. Et la pharmacienne, qui signifiait la femme du pharmacien, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Même l’Académie française, qui est la voiture-balai de la langue, l’a banni ! Pour acteur-actrice, auteur-autrice, le débat est moins violent. « Autrice » existait au XIXe siècle, il est revenu dans les années 1980. « Avocate », c’est en train de se faire.
JHM : C’est donc la société qui tranche ?
M. C. : Oui, c’est à nous de décider, pas une autorité comme l’Académie française. A l’usage de trancher. C’est l’espace public qui fait qu’un mot sera dans le dictionnaire ou pas. Tout dépend si on reste majoritaire à l’utiliser ou pas. Prenez « au temps pour moi » : on maintient l’orthographe de prestige, sinon c’est « autant pour moi » qui va s’imposer. Mais il n’y aurait pas perte de richesse de la langue.
JHM : Mais jusqu’à une certaine mesure. On est d’accord que, « au jour d’aujourd’hui », ce n’est pas possible !
M. C. : « Hui » vient de « die », en latin, « le jour où on est ». On a ajouté « aujour » pour renforcer cette notion est c’est resté. Du coup, avec « au jour d’aujourd’hui », c’est la troisième couche ! Pourquoi ? A un moment, les mots s’érodent, et on a besoin d’insister. Si les gens disent cela, il y a forcément une raison. Même si c’est inélégant.
Propos recueillis par Nicolas Frisé
Reprise des « causeries du vendredi », avec Maria Candea, vendredi, à 18 h, à l’Attente, l’Oubli.