Juste un mot : Passe-moi la bouteille (1/2)
Champenoise ou bordelaise, confidentielle ou réservée aux grandes occasions, la bouteille fait partie de la vie des Français. On en débouche une ?
La botele du vieux français découlait déjà du bas latin buttis et du latin populaire buticulla dont la capacité avait réduit, comme son suffixe l’indique. Le vin est d’ailleurs si vieux qu’on ne saurait affirmer si la première buttis a été ouverte à Rome ou à Athènes.
Aujourd’hui, on a tendance à « éponger » en mangeant copieusement pour effacer les effets d’une beuverie prolongée. Au XVIIe siècle, le procédé était déjà connu des bons vivants qui appelaient cela « boucher la bouteille ». On devrait bien réhabiliter cette belle expression.
Notons toutefois que la méthode n’est pas forcément efficace, puisque les pochards ne manquent pas, généralement, d’arroser à grands traits la collation réparatrice, histoire de ne pas « tarauder à sec ».
On l’a un peu oublié, mais depuis Charlemagne, le bouteiller était un des quatre Grands Officiers de la Cour, chargé de l’approvisionnement en vin. Le jaja était donc placé au même niveau que les écrits dévolus au chancelier, la vie privée attribuée au chambrier et le rôle de conseiller tenu par les sénéchaux, chacun dans leur domaine. Le bouteiller devenait échanson lorsqu’il servait le roi à table. On ne cachait rien des ministères, à l’époque.
Ne pas taper dans le flacon
La fameuse bouteille fait l’objet d’une législation définie pour la dernière fois en 2011. Elle doit accueillir entre 5 cl et 5 l de liquide. Certaines mignonnettes, comme celles de pastis (2 cl) ne devraient donc pas entrer dans la famille, pas plus que le Mathusalem de champagne (6 l) et tous ses grands frères, dominés par le Melchiesedech de 30 l, idéal pour réjouir d’un coup 240 convives. Le Maximus, de 570 l, est connu comme la bouteille la plus grande du monde. Un moment de réflexion s’impose avant de l’ouvrir…
Mais bon, pour nous tous, ce sont quand même des bouteilles… La bagarre se poursuit chez les parfumeurs. Pour leurs assemblages d’essences, souvent aussi précieuses que le carburant, le flacon (la fiole éventuellement) est de rigueur, muni d’un système à vis. Plus ordinaire, la bouteille de parfum sera munie d’un bouchon, théoriquement en liège, et renfermera des produits plus basiques, comme l’eau de Cologne.
Risque de bouchon
Parlons là des bouteilles de vin car l’eau ou la bière, par exemple, ont leurs propres usages. La bouteille, la vraie, avec du vin dedans, doit contenir 75 cl de liquide. C’est sa capacité nominale. La pièce de verre est donc en réalité légèrement plus grande. C’est bien connu, on laisse de la place aux bouchons pour un bel embouteillage. La demi-bouteille, si difficile à trouver sur les cartes de restaurant, affiche logiquement 37,5 cl. Cette quantité s’applique, suivant les régions, à la chopine, à la demie, au pichet. On la connaît également sous le nom de gamine, fillette et demoiselle pour le champagne. Le piccolo de 20 cl, à présent rarissime, est réapparu ces dernières années, sous le nom de « pop ». Quelques grandes marques de champagne proposent ces bouteilles mignonnes et festives en coffrets de trois, quatre ou six pièces. Attention, le nourrisson est presque au même prix que la maman…
Le clavelin bien tempéré
Le célèbre quart de vin, dont la petitesse rendait les déjections de soldats si sèches*, ne correspondait pas à la moitié de la demie, mais à la moitié du demi-litre, soit 25 cl.
Vous suivez toujours ? Alors, voici les exceptions. Le vin jaune, joyau issu de plants de savagnin des vignes jurassiennes, ne trouve place que dans les clavelins, de 62 cl. Cette mesure correspond, dit-on à Château-Chalon (Jura), à la quantité de vin restant sur un litre, après le vieillissement légal de six ans et trois mois en fût de chêne. Le procédé est dû à des chanoinesses du VIIe siècle, et le nom de la bouteille (qui n’en est donc pas une) à une famille de vignerons, l’abbé Clavelin ayant fait estampiller ses contenants en verrerie en 1931.
Des chanoinesses, un abbé, on comprend mieux comment la partie qui s’évapore a été nommée « la Part des Anges » et pourquoi certains oenophiles ont fait de la Percée du Vin Jaune** un pèlerinage annuel. Et j’ai des noms… Les grands crus alsaciens de Vendanges tardives, autre trésor doré, sont souvent proposés dans des flûtes effilées de 50 cl, plus discrètes sur les rayons. A déguster entre 10 et 14° avec la plus grande modération. Le verre au pied vert associé aux coteaux d’Alsace ne sera pas de rigueur. Le nez mérite mieux. (à suivre)
De notre correspondant Florent Desprez
* Sec comme une m… de soldat, expression datant de la Première Guerre Mondiale, et encore utilisée en Haute-Marne
** Chaque premier week-end de février.