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Jean-Marie Roulot : une âme de la coutellerie nogentaise s’est éteinte

Jean-Marie Roulot dans son atelier. (photo Dominique Frotté)

Mémoire. Le Nogentais Jean-Marie Roulot s’est éteint le  7 octobre, en toute discrétion, selon sa volonté. Toutefois, l’importance et la portée de son travail pour l’histoire et la mémoire de la Coutellerie nogentaise méritent d’être évoquées. L’historien et érudit nogentais Philippe Savouret retrace son parcours en forme d’hommage.

Ceux qui ne l’ont pas connu ne doivent pas ignorer ce collectionneur invétéré qu’était Jean-Marie Roulot,  grâce auquel Nogent, avec son musée, possède la plus belle collection sur les métiers et les objets de coutellerie des XIXe et XXe siècles. Il est né le 26 mai 1936, à Is-en-Bassigny.  En 1950, à l’âge de 14 ans, c’est l’usine ; chez Jules Hacquin à Is, l’apprentissage est très dur, mais Jean-Marie Roulot est très bien formé par un ouvrier, son cousin Jacques.

Le “rêveur d’ici”

Jean-Marie Roulot allait se détendre en allant en vélo, à Nogent, à 8 km, avec la côte de l’Abondance à grimper. C’est là qu’il rencontre la jeune fille qu’il épouse le 28 juillet 1956. Ils ont trois enfants et quatre petits-enfants.

De retour de 28 mois de service militaire lors de la guerre d’Algérie, Jean-Marie Roulot entre comme monteur de ciseaux chez Dussaussay-Gallier en 1958, où son épouse travaille. C’était un fabricant de ciseaux de tous types, alors installé rue du Champ-de-Mars. L’entreprise déménagera en 1974 sur la zone industrielle. Très proche du patron Maurice Dussaussay, il va devenir en quelque sorte le n°2 de l’entreprise, jusqu’à sa retraite en 1996.

La vie de Jean-Marie Roulot c’est le métal en fusion, le bruit du marteau pilon, c’est meuler, limer, polir. Quand il a terminé une paire de ciseaux, Jean-Marie écoute les lames qui chantent. Il a formé 30 apprentis au cours de sa vie. Il espérait toujours que quelqu’un vienne poursuivre son histoire : « Tout le monde m’appelle le rêveur ici. »

La passion des outils

En parallèle, sa passion, c’est toujours ces merveilleux outils qui ont forgé le bassin nogentais. Dès qu’il découvre d’anciens ciseaux, ses yeux brillent !

Le décès tragique de son fils Patrick en 1979 transforme sa vie. Reclus chez lui  pendant des mois après cette tragédie, il dérouille ses pièces dans son sous-sol pour les faire revivre, les caresser. Il « s’exorcise » en allant à la quête des pièces et outils de coutellerie qui existent encore et qui sont dispersés dans de vieux ateliers, dans des greniers. Le virus du collectionneur chevillé au corps, il parcourt la campagne et va amasser plus de 4 000 pièces. Celles-ci rénovées, il les montre à ses amis.

Face à l’inertie des « officiels », il crée son propre musée le 7 mai 1988 : “Le musée du patrimoine coutelier” que les gens qui s’y pressent appellent “le musée Roulot”. Ceux qui l’ont vu se souviennent de toutes ces machines-outils, roue à homme, roue à chien, archets, perceuses, forges, meules, polissoirs et toutes les objets fabriqués, rassemblés sur 250 m2. Sept mille articles dont une paire de ciseaux datant de 1740. Il l’agrandit en 1989.

A l’origine de l’Encyclopédie vivante

Jean-Marie Roulot joue un autre rôle essentiel.  En 1984, c’est le bicentenaire de la mort de Diderot. A cette occasion, Jack Lang, ministre de la Culture, lance un grand projet d’hommage. Cette opération est appelée Encyclopédie vivante en référence à l’œuvre majeure du philosophe langrois.  Nogent s’implique pour la cisellerie et l’instrumentation chirurgicale. La coutellerie est traitée par Thiers (Puy-de-Dôme).

Pour lancer ce projet, Claude Boulud, principal du collège, est le coordinateur pour Nogent. La première réunion en mars 1984 est le déclencheur des opérations aboutissant à la création du musée de la Coutellerie de Nogent. Pour mener à bien cette opération, il faut créer une structure, l’Association pour la sauvegarde et la promotion du patrimoine du bassin nogentais. On lui accole Encyclopédie vivante. Cette association existe toujours mais pour faire court on l’appelle l’Encyclopédie vivante. C’est la seule en France à porter ce nom issu de cette fameuse année Diderot.

Jean-Marie Roulot en est le premier président. Une expo de préfiguration a lieu en 1984 à Nogent dans le hall du futur centre culturel (la salle ne sera construite qu’en 1993). Elle prépare celle de 1986 qui voit l’aboutissement de cette aventure Encyclopédie vivante car elle a lieu pour inaugurer la Cité des sciences et de l’industrie à la Villette.

L’association pousse pour qu’on n’en reste pas là et qu’enfin on construise ce musée. La Ville rachète le Foyer de jeunes travailleurs en 1983 et engage en 1988 Cyril Dumontet, conservateur pour mener ce projet avec le soutien du maire Robert Henry. Jean-Marie Roulot et l’Encyclopédie vivante oeuvrent pour faire connaître ce musée et le bassin. Avec Jean Pionnier et quelques autres, avec voiture et remorque, ils vont de foires en expos comme Verdun, Dijon…

Un musée vivant !

Le musée enfin créé, Jean-Marie Roulot décide de se séparer de sa collection. Plutôt que la vendre à des étrangers qui offraient des sommes mirobolantes, il préfère que ça reste à Nogent et la Ville achète “la collection Roulot” en 2001.

Ce n’est que le 30 mars 2009 que le fonds Roulot est mis en valeur et fait l’objet de l’exposition de l’année “Le musée sort de ses réserves : la collection Roulot”. Sept cents pièces sur 3 500 sont  exposées.

Jean-Marie Roulot avait de l’amertume, d’autres également, car l’agrandissement du musée prévu en 1994, réitéré en 2005 n’était toujours pas réalisé. Son idée était celle d’un musée vivant avec des couteliers retraités qui devaient meuler, aiguiser les pièces selon des moments bien choisis durant toute l’année. 

Le point d’orgue de cette année 2009 est la Nuit des musées du 16 mai, avec une animation initiée par Martine Humblot, rassemblant 400  bénévoles costumés, démonstrations de forge, restauration… On ne retrouvera ce dynamisme que sous l’éphémère direction de Frédéric Pruvost, qui vient de partir pour l’Alsace.

Jean-Marie Roulot ne doit pas être oublié, estime Philippe Savouret : « Son nom devrait être donné au moins à l’une des salles du musée agrandi, qu’il a tant attendu. »

Propos recueillis

par Maryline Meunier

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