Jean-Louis Foulquier : Dimey, sa conscience
Jean-Louis Foulquier s’est éteint mardi à l’âge de 70 ans. Voix de France Inter à la grande époque, créateur du festival des Francofolies de La Rochelle, Jean-Louis Foulquier avait rencontré le poète nogentais Bernard Dimey à ses débuts sur la butte Montmartre. Il était venu à Nogent en 2006 lors du Festival Dimey pour y enregistrer plusieurs émissions de Pollen.
La chanson française doit beaucoup à Jean-Louis Foulquier qui vient de s’éteindre l’âge de 70 ans. Bernard Dimey aussi. Les deux hommes s’étaient rencontrés à Montmartre au Nazir. «Je tourne la tête et aperçois un molosse courbé sur le comptoir. Il me charrie sur mon profil de loup de mer et m’offre un verre. Je suis en présence de Bernard Dimey (…) Dès le premier regard échangé, j’ai l’intime conviction que l’on ne va plus se quitter», écrira Jean-Louis Foulquier dans son autobiographie «Au large de la nuit». C’est Dimey qui lui fait rencontrer le Jean-Roger Caussimon, Michou, qui lui parle de Michel Simon… «Dimey est le pacha du village. Il règne en maître sur le sommet de cette pièce montée gorgée de traditions», témoignera encore Jean-Louis Foulquier.
Sur les traces du poète
En 2006, au bénéfice des contacts noués par Annie Roquis-Millet et Philippe Savouret, alors chevilles ouvrières du festival Dimey qui fête les 25 ans de la disparition du poète, Jean-Louis Foulquier installe le studio mobile de Pollen, son émission sur France Inter, à Nogent. «Jean-Louis m’a demandé de l’emmener sur les traces du poète. Il est passé acheter des fleurs et nous sommes allés au cimetière. C’était émouvant», se souvient Philippe Savouret.
Le 10 mai de cette année-là, à 20 heures tapantes, le célèbre générique de Pollen diffuse ses notes torrides de saxophone dans la salle du centre socioculturel, suivi d’un éclatant «bonsoir Nogent, bonsoir Bernard».
Durant les deux heures qu’a duré l’enregistrement, «j’eus le bonheur de pouvoir m’exprimer et parler de cette passion pour Dimey. Le plus beau jour de ma vie», assure Philippe Savouret qui voit en Jean-Louis Foulquier la quintessence de l’intégrité et de l’indépendance d’esprit. «Il fit partie des fidèles de Dimey qui ne nous a pas déçu. Il vient trop tôt d’aller rejoindre Nanard, son pote de la nuit.»
A.S
L’hommage intégral de Philippe Savouret à Jean-Louis Foulquier (ci-dessous)
Au Large de la nuit; JEAN-LOUIS FOULQUIER s’en est allé
« Studio de nuit », » Bains de minuit », « Pollen »…Autant d’émissions animées par celui que Claude Nougaro surnommait « le patrouilleur d’étoiles ». Venu de La Rochelle, Jean-Louis Foulquier s’installe à Montmartre et entre à France-Inter. Très vite il animera sa propre émission: le ton est nouveau, la liberté totale. Beaucoup de chanteurs y feront leur première radio. Plus tard naîtront les Francofolies. Sans délaisser la radio, le cinéma l’accapare de plus en plus.
« Dimey ma conscience »
Rochelais depuis 1943, et passionné de rugby, il emménage 28 rue Durantin à Montmartre. Il y restera dix ans. Le soir même, Jean-Louis Foulquier descend au « Nazir » acheter ses cigarettes. Là un homme au comptoir l’interpelle, laissons Foulquier nous raconter la suite :
« Je tourne la tête et aperçois un molosse courbé sur le comptoir. Il me charrie sur mon profil de loup de mer et m’offre un verre. Je suis en présence de Bernard Dimey, figure montmartroise incontournable.
Dès le premier regard échangé, j’ai l’intime conviction que l’on ne va plus se quitter. Grâce à lui, je vais rencontrer Jean-Roger Caussimon, Michou, l’écouter avidement me parler de Michel Simon, apprendre à aimer encore plus la chanson. (Auteur interprète, Jean-Louis fait du cabaret; pris en main par Dimey, il chante « Au Gavroche » chez Jo Attia). Bernard Dimey est un cactus du pavé de la butte. Ancré là et increvable. Lorsque nous passons la rue des Abbesses, il me dit « On va à Paris ». Il m’apprend les dangers de la ville et s’emploie à me faire renifler la vie et les secrets du quartier. Les choses importantes se passent au village et nulle part ailleurs. Lorsque je rencontre Bernard Dimey, je ne sais pas encore qui il est. Pourtant il a déjà écrit « Mon truc en plumes » pour Zizi Jeanmaire, « Mémère » pour Michel Simon et « Syracuse » pour Henri Salvador. Il dit ses textes au Gavroche et au Tire-bouchon et se suffit largement d’une notoriété de cabaret.
Dimey est le pacha du village et règne en maître sur le sommet de cette pièce montée gorgée de traditions. Il aime les rituels. Chaque samedi, il m’attend sur le coup de 14 h. Je suis planté devant un petit bouquiniste, j’attends son signal pour monter. Il gueule sans apparaître : « Foulquier t’as du Bordeaux ? ». Sans attendre, je sors ma bouteille et me présente à lui, la gueule enfarinée, comme un gamin visitant le père Noël. Je l’écoute parler et tourner les pages de son encyclopédie de la vie. Je le regarde avec un tel bonheur qu’il se sent aimé pour la première fois. Je deviens son fils adoptif. On se retrouvait dans une librairie proche et on discutait longuement : « Lis-ça, après tu seras moins con ! », me disait-il en me tendant un ou plusieurs bouquins. Soudain, je n’ai plus honte de mon inculture qui devient une chance. Cette soif d’apprendre et de comprendre bouleverse nos rapports. Désormais, je ne peux respirer sans l’ombre de Dimey. C’est un abri, un havre de paix, un professeur imprévisible. Mon guide, premier de cordée. Ma conscience. » J.L. F « Au large de la nuit » Denoël
Bien que plutôt Rock & Roll, Jean-Louis Foulquier va s’intéresser, bien sûr, aux chansons à textes de B. Dimey mais aussi à Dalida, Jacqueline François. Très éclectique !
Rencontre avec Pierre Barouh.
A 22 ans Jean-Louis entre dans la Grande maison, d’abord au standard de Samedi chez-vous. Puis, vient le temps des remplacements. Il réveille la France en chansons. Mais plutôt oiseau de nuit et propose après des vacances Studio de nuit en 1975 avec une liberté absolue et portes ouvertes. Débarquent alors J. Higelin, B. Lavilliers, Renaud, D. Balavoine, F. Lalanne, P. Kaas…
Le succès est total et va perdurer avec les émissions en direct et en public qui vont suivre : Saltimbanques, Bain de minuit, Y a d’la chanson dans l’air. B. Dimey s’invitera régulièrement à l’émission de son copain. En particulier en 1976 en compagnie de J. R. Caussimon et Léo ferré. Pollen est né en 1984 : son titre extrait d’une chanson de P.Barouh : »Aujourd’hui, je suis ce que je suis, nous sommes ce que nous sommes et tout ça, c’est la somme du pollen dont on s’est nourri ». Emission hebdomadaire installée au Divan du monde, elle est aussi partie quelquefois en tournée respirer l’air musical d’une région.
En 1985 naissent Les Francofolies. « Pour les Francofolies, mon seul critère, c’est ce que j’appelle les gens qui paient comptant; qui devant un public, arrivent à mettre de la rage, de la sueur, de l’émotion ! C’est ce qui fait que le public vibre à un moment donné ».
Des Francofolies auront lieu en 1989 à Montréal, en 1994 à Spa en Belgique. Même si Jean-Louis Foulquier a passé la main, son œuvre demeure. Il reste très attaché à la chanson même si le cinéma et la télévision semblent s’emparer de son personnage.
Pollen au festival Dimey
Ainsi depuis longtemps que Jean-Louis Foulquier affirmait son amitié à Bernard Dimey, il se devait de venir au festival Bernard Dimey de Nogent, ville natale du poète.
Toujours à la recherche de témoignages de personnes avec lesquelles B.Dimey avait travaillé, j’en parlais à Annie Roquis-Millet, la présidente de l’association B.Dimey et cofondatrice du festival éponyme, que rien n’arrête. Je lui ai parlé de J-L. Foulquier et B.Dimey « Bernard Dimey ma conscience » et comme on aime que les actes suivent les paroles, nous nous sommes mis à rêver : d’abord recueillir son témoignage puis pourquoi pas un « Pollen » enregistré au festival ?
Qu’à cela ne tienne, nous allons à France Inter. Connaissant un peu la grande Maison ronde, nous prenons rendez-vous.
C’est Pauline Chauvet, sa fidèle et précieuse collaboratrice, qui nous reçoit. J-L Foulquier doit revenir de Nice, il est en retard. Après lui avoir raconté notre odyssée, Pauline est étonnée de notre passion, de notre force de conviction, de notre honnêteté et du travail qu’on accomplit par rapport à ce poète.
Elle va bien sûr en parler à Jean-Louis, car elle est favorable à notre requête. En redescendant, dans le couloir on croise Jean-Louis Foulquier avec sa casquette, qui rentrait. Je l’interpelle : « Bonjour Jean-Louis; voilà je me présente….et Annie… On vient de rencontrer Pauline…. « Très bien » nous répond-il, l’air fatigué « je vous recontacte ». Nous quittons la maison de la Radio le cœur gai!
Et le miracle s’est produit, Annie a eu des contacts avec Pauline, et Jean-Louis a décidé de s’installer à Nogent le 10 mai 2006, non pour un mais deux directs de Pollen. L’apothéose!
Au préalable, on se rend en avril à Paris pour rencontrer Jean-Louis Foulquier dans l’optique du festival. On emmène Jean-Noël Dubois du JHM. Nono passionné de chansons francophones, fidèle du festival. France 3 Champagne-Ardenne délègue une voiture et va filmer. Rendez-vous au Nazir, le bistrot J-L. Foulquier rencontrait B.Dimey. Il y avait Dominique Dimey. On a marché sur les pas du poète, rue Germain Pilon, sa dernière demeure, puis au Lux-bar rue Lepic, rencontré Michel Célie et fini par un repas rue Lepic. Quelle journée!
Le jeudi 27 avril, Jean-Louis Foulquier est à la Une du JHM et en p.4 Nono nous livre son entretien.
Le 5 mai, début du festival, c’est F3 qui met au journal cette rencontre de Montmartre.
Et le 9 mai, Jean-Louis Foulquier débarque avec son équipe, les cars régie, logistique s’installent à côté de la salle (le public peut visiter). Jean-Louis et Pauline ont compris ce qui se passait ici, notre combat pour faire connaître et reconnaître « Nanard ». Tous très sympas qui ont pris la température du festival et calé la soirée du 10. Jean-Louis m’a demandé de l’emmener sur les traces du poète, il est passé acheter des fleurs et nous sommes allés au cimetière. C’était émouvant !
10 mai à 20 h, le célèbre générique de Pollen, et le « bonsoir Nogent, bonsoir Bernard ! » C’est rare que l’émission soit décentralisée, c’est un cadeau extraordinaire que le public haut-marnais, une fois de plus n’a pas saisi. On aurait du refuser du monde, c’est ce que l’équipe de Pollen craignait. Hélas, la salle ne fut pas pleine. Jean-Louis n’a pas cessé de soutenir notre action durant l’émission, véritable porte parole pour le festival, pour Nogent et la Haute-Marne.
Deux heures enregistrées dans les conditions du direct car diffusées le vendredi ; elles le seront fin mai et en juin :
– La première avec Mon côté Punk, Jacques Yvart, Jean-Sébastien Bressy et Steve Normandin qui va devenir la coqueluche du festival (c’était aussi un festival spécial francophonie avec nos amis québécois et Elizabeth Gagnon de Radio Canada qui avait consacré 10 heures à Bernard Dimey). Elle consacrera une page sur le festival dans Chorus, la revue de référence lamentablement disparue.
– La seconde avec Gérard Morel, Romain Didier et Agnès Bihl.
J’eus le bonheur de pouvoir m’exprimer et parler de cette passion pour Dimey sur les ondes de Pollen, bonheur suprême (merci Annie)! Le plus beau jour de ma vie !?
Ce fut un moment émouvant et super avec une équipe formidable coordonnée par l’indispensable Pauline.
En 3e mi-temps, chère à J-L. Foulquier mais dans le rugby, nous nous retrouvions avec le public pour partager le gâteau symbolisant les 25 ans de la disparition du poète.
Depuis j’ai rencontré une fois Jean Louis Foulquier. Il m’avait dit, si tu vas à La Rochelle, appelle-moi. Et puis Pollen s’est arrêtée (par la volonté de la direction de France Inter, Ndlr), Jean-Louis à la retraite bien malgré lui s’est consacré au cinéma. On l’a vu dans plusieurs films à la télé.
Alors que pas mal d’artistes ou personnalités médiatiques ne mettent pas en pratique les discours qu’ils tiennent comme Henri Salvador, Charles Aznavour… d’autres sont égaux à eux-mêmes comme Gilles Vigneault, Ferrat, Michou… Jean-Louis Foulquier a fait partie des fidèles de Dimey qui ne nous a pas déçu.
Il vient, trop tôt, de rejoindre Nanard son pote de la nuit. Merci Monsieur Foulquier !
L’interview de Jean-Louis Foulquier par Jean-Noël Dubois réalisée à la terrasse du Nazir à Montmartre (paru dans le JHM du 27 avril 2006)
Quand Foulquier “pollinisait” Dimey
Figure emblématique de France-Inter depuis plus de 40 ans, Jean-Louis Foulquier étaità Nogent le 10 mai 2006, pour y enregistrer en public sa mythique émission
“Pollen”. A la terrasse du “Nazir”, rue des Abbesses à Montmartre, il se remémore sa rencontre avec Bernard Dimey : «Ça a changé complètement ma vie…»
Le Journal de la Haute-Marne :
Vous souvenez-vous de votre première rencontre avec Bernard Dimey ?
Jean-Louis Foulquier : Ô combien. C’était dans les années 60,le premier jour où j’ai emménagéà Montmartre. Je n’avais plusde cigarettes, et je suis descendu dans un bar-tabac, “Le Nazir”, là où nous sommes. Il y avait la queue, et au coin du comptoir, devant un verre de rouge, il y avait un bonhomme barbu. Imposant. Il m’a lancé : «Toi, t’as une gueule de boucanier.» J’avais 22 ans. Je pensais qu’il me cherchait. Il a insisté et m’a dit : «Bois donc un coup.» On a bu un verre, et ma femme a terminé le déménagement toute seule, car je ne suis rentré que le lendemain matin… (rires) De là, Bernard et moi, on ne s’est plus quitté pendant des années et des années…
JHM : Qu’est-ce que cette rencontre a représenté ?
J.-L. F. : ça a changé complètement ma vie. Il passait tous les jours chez un bouquiniste, juste en face de chez moi. Le samedi, il m’appelait. Je le rejoignais avec un bouteille de Bordeaux. Et en buvant un coup, il choisissait deux ou trois bouquins pour moi : «Lis ça. Tu seras moins con.» Je ne sais pas si je suis plus intelligent qu’avant, mais je crois que je suis moins con. (Re-rires).
JHM : Et cela a eu une influence sur la suite de votre vie, de votre carrière ?
J.-L. F. : C’est incontestable. Il m’a ouvert sur plein de choses. Et notamment sur une chanson que j’avais mise de côté. Depuis que je fais de la radio, et encore maintenant, quand j’ai une décision à prendre, je me dis encore : “Quand Bernard va l’apprendre, est-ce qu’il va m’engueuler, ou est-ce que j’ai bien fait”. Car malgré la bonhomie du personnage, ses réactions pouvaient être très violentes. Et si je pensais qu’il réagirait mal, j’abandonnais le projet. C’était pour moi une sorte de baromètre. Sans qu’il le sache, d’ailleurs. Ce qui m’a évité de devenir Jean-Pierre Foucault (re-re-rires).
JHM : Que représente encore pour vous Bernard Dimey ?
J.-L. F. : C’était un frère. Un grand frère. Un père spirituel… Un maître sur tous les plans. Et il m’a fait découvrir le vin. Je vais vous donner une anecdote. Quand je l’ai connu, je jouais au rugby. Depuis notre rencontre, j’ai arrêté. Mais je suis le seul à avoir reçu, des mains de la première ligne de l’équipe de France, le “Talent d’or” de la troisième mi-temps. Je suis réputé pour être intouchable… (Et Jean-Louis Foulquier de rire encore)
JHM : Que pensez-vous de son “apport” à la chanson ?
J.-L. F. : Il y avait Brassens, Ferré, Jean-Roger Caussimon… et il y a Dimey. Avant il y avait Villon, Baudelaire… il fait partie de cette catégorie-là. Et il n’a jamais été autant chanté de son vivant que par les jeunes d’aujourd’hui. C’est quelqu’un qu’on redécouvre et qui va être là…éternellement. « Syracuse », c’est immortel. Même si tu n’as fait qu’une chanson comme celle-là dans ta vie, c’est prodigieux. Et il y a “Mémère”, “Mon truc en plume”, et tellement d’autres chef-d’oeuvres… C’est quelqu’un d’exceptionnel. Et même s’il était ingérable, il était avant tout attaché à sa liberté et à sa façon de vivre… C’est un personnage qui s’installera dans la légende.
Propos recueillis par Jean-Noël Dubois