«Je me sens seule et je bois»
Occultées par la classe bien-pensante, les difficultés d’hommes et femmes surgissent chaque semaine lors des audiences de tribunal correctionnel. Femme isolée confrontée à l’alcoolo-dépendance, Emmanuelle Kristel entretient un espoir : continuer à travailler.
Dans le regard d’Emmanuelle Kristel se reflète le mal-être de millions de citoyens étrangers aux petites vies tranquilles de bienheureux et autocrates zélés. Cette quinquagénaire rêvait de choses simples, d’une vie tissée d’amour, de travail et de partage. La réalité en aura décidé autrement. Divorcée, Emmanuelle Kristel s’est pris la vie en pleine gueule. «Je vis seule, je ne supporte pas la maladie de mes parents et je suis sous antidépresseurs. Le soir, je me sens seule et je bois», soulignait la prévenue. Tranchant avec toute notion de misérabilisme, les mots de cette quinquagénaire traduisent le quotidien de pauvres gens, d’hommes et femmes réduits à chercher une once de bonheur virtuel aux confins d’un paradis artificiel, le samedi soir, quand la tendresse s’en va toute seule.
Le 9 août 2001, Emmanuelle Kristel trouve refuge auprès d’amis. L’après-midi est ensoleillée, le rosé est frais, les esprits légers, l’amitié rayonne et les verres s’entrechoquent. Dormir sur place aurait été la meilleure solution. Nul n’y aura pensé. A 20 h 10, Emmanuelle Kristel entre en collision avec la remorque d’un tracteur. Prise en charge par les sapeurs-pompiers, la conductrice est conduite au centre-hospitalier de Chaumont. Effectuée une heure après l’accident, un contrôle sanguin révélera un taux d’alcoolémie de 2,30 grammes par litre de sang.
Mourir en silence
Véritable danger public, la prévenue n’en est pas moins une citoyenne aspirant à une vie meilleure. Une existence marquée par l’amour du travail. Agent contractuel de la Poste résidant dans une commune isolée ne disposant d’aucun moyen de transport collectif, Emmanuelle Kristel effectue chaque jour plus de cent kilomètres. Son travail, sa béquille, cette Haute-Marnaise est appelée à les perdre. Et pour cause : en état de récidive pour conduite sous l’empire d’un état alcoolique, la prévenue est condamnée à subir l’annulation automatique de son permis de conduire. Juste réponse au fléau de l’insécurité routière… La répression tire ses limites des réalités d’un département souffrant de l’absence de structures de soins à destination des citoyens en situation de dépendance. Une situation manifestement ignorée par les garants de l’ordre public. «Votre emploi, il fallait y penser avant, l’alcoolisme est une maladie, mais il est possible de se soigner», soulignera le procureur Clémençon avant de préconiser un sursis avec mise à l’épreuve incluant des obligations de soins. Des soins difficiles à assurer dans le département, faute de nécessaires moyens humains et matériels. Toxicomanes et alcooliques sont trop souvent appelés à mourir en silence dans une contrée affichant par ailleurs un des plus importants taux de suicide du territoire nationale.
Clémence
Promise à une perte d’emploi, à l’isolement et à un suicide social organisé, Emmanuelle Kristel s’en remettait à Me Gromek. «Cette femme n’est pas une délinquante, elle est malade et cet accident a suscité une prise de conscience. Madame participe à un groupe de parole et se rend chez un médecin acuponcteur depuis septembre 2011. Ma cliente a fait part de sa situation à son employeur et un recrutement est d’ores et déjà lancé afin de la remplacer», soulignait l’avocate avant d’appeler le tribunal à une clémence toute particulière. Préoccupé par la situation d’une quinquagénaire en errance, le juge Thil en sera venu, «à titre exceptionnel», à prononcer une décision des plus indulgentes. Condamnée à quatre mois de prison avec sursis, Emmanuelle Kristel devra se soumettre à des obligations de soins durant deux ans. Constatant l’annulation – automatique – du permis de conduire de la prévenue, le magistrat a limité à un mois le délai de délivrance d’un nouveau permis. Continuer à travailler : telle sera la chance d’une femme brisée.