Jany et Émilien Dautrey, 45 battements par minute et des défis gros comme ça
C’est ce qu’on appelle un nid. Il est situé à Bourbonne-les-Bains. Le père et le fils courent à n’en plus finir comme on fait du tricot. À 77 ans, Jany aligne les marathons, parfois avec Émilien qui, à 34 ans, est notamment allé au bout de la Diagonale des fous.
Dans la famille Dautrey à Bourbonne-les-Bains, il y a le père. Jany, 77 ans, aligne les marathons comme on enfile les perles. Il y a le fils. Émilien, 34 ans, est fondu de « courses de l’extrême » comme la Diagonale des fous, qu’il a su terminer. Il y la mère. Michèle assure avec une régularité d’horloge leur ravitaillement sur toutes leurs courses, après avoir elle-même fait un relais aux championnats de France avec Colette Besson, « la Petite Fiancée de la France« .
Dans la famille Dautrey, avant de rentrer en Haute-Marne en 2005, Jany et Michèle ont vécu à l’autre bout du monde. Émilien y vit encore. À Mayotte, pour sa part. ïle qu’il a quittée le temps de fêter son anniversaire sur le Kilimandjaro.
« Je me suis mis à la course à pied : le vélo me prenait trop de temps »
« Je me suis mis au vélo quand nous étions en Côte d’Ivoire ». Treize ans plus tard, Jany et Michèle arrivent à Bourbonne-les-Bains. Dont ils ne bougent pas – enfin pas durablement – durant dix-sept ans. Jany enseigne au collège, Michèle à la maternelle, après avoir, au passage, déroulé un cursus en « sautant » les classes de 6e et 5e, puis de 2nde et de 1ère. En 2001, le couple met le cap sur l’île de Tubuai, en Polynésie. Où Jany pratique le sport « à fond, pendant quatre ans ». Nouveau retour au bercail, le sportif a toujours autant de fourmis dans les jambes. Mais il court à pied désormais. « J’ai commencé le jour de mes 50 ans, le vélo me prenait trop de temps ». Les sensations sont au rendez-vous. « Maintenant, je fais deux sorties par semaine, de dix à douze kilomètres ». Il s’aligne encore au départ du marathon du Lac du Der, en 2023. Avec un Belge qui devient son ami. Deux ans plus tôt, il l’a ficelé avec Émilien. Le fiston a accepté si son père s’engageait à assurer son ravitaillement à la Diagonale des fous, à La Réunion. Topé là.
Fée Michèle
Quand c’est Jany qui galope, les ravitaillements sont systématiquement l’affaire de Michèle. « C’est difficile d’arriver synchro ». Avant chaque course, elle prépare son itinéraire, en comptant ses temps de trajet pour rejoindre sa voiture, et en dessinant le circuit parallèle qu’elle empruntera pour suivre son mari. La fée se charge également du reportage photo. Sans compter qu’au quotidien, elle mitonne une cuisine pour sportif.
« C’est important de douter dans la vie »
« Je ne peux pas vivre sans le projet d’un défi ». À Mayotte, sous le soleil et par 35°C, Emilien se demande s’il ne va pas tenter « 24 heures de dénivelé en 2024 ». Il cherche jusqu’où son corps peut aller. Chaque épreuve lui « apprend beaucoup ». La Diagonale des fous s’est précisément révélée une encyclopédie. Côté adret, les 70 premiers kilomètres le hissent « sur un nuage ». Émilien découvre des sensations « jamais vécues, liées au dépassement de soi ». Sur l’ubac, il traverse des moments de « grande souffrance ». À peine le départ donné, le doute l’assaille : dans quoi s’est-il lancé ? Et s’il lui arrive quelque chose ? Sauf à bénéficier d’un sauvetage en hélico, il ne donne pas cher de sa peau, nom d’un chien qu’il se sent seul. « Je suis parti un peu trop vite… ». Voilà qu’il a juste trois petits kilomètres dans les jambes… et elles lui font mal… Il reprend peu à peu son moral en main, retient que « c’est important de douter dans la vie ». Le plus dur, beaucoup plus dur, est pour après. Le cirque de Mafate est l’enfer promis. Pas moyen de dormir notamment. « Je piquais pourtant du nez ». La délivrance viendra. Une heure d’assoupissement. Royal… L’intensité des perceptions lui donne parfois des hallucinations. « J’ai vu quelques animaux… qui ne sont pas de La Réunion ».
« Quatre-vingts messages par heure ! »
Reste que cette course diabolique sert, nouvelle bascule vers le versant ensoleillé, de révélateur à Émilien, qui s’aperçoit qu’on pousse derrière lui, partout sur la planète. « Nuit et jour, je reçois des messages d’encouragement… Quatre-vingts par heure ! ». WhatsApp bout littéralement. Dans les creux abyssaux, sa compagne lui téléphone, une de ses sœurs aussi. Des déclarations d’amour, des serments d’amitié déboulent sur son mobile – sa situation déverrouille ses soutiens les plus pudiques. On lui avoue tout net qu’on le prendra en exemple. « Je le dis parce que c’est inspirant, je n’en tire pas de gloire ». Jusqu’au bout, Émilien est bombardé d’émotions : « ma maman me prend dans ses bras au dernier ravitaillement… et mon papa m’attend sur la ligne d’arrivée ». Après une descente qui, bien qu’il la connaisse par cœur, l’a saigné.
« Effet retard »
« Le lendemain, il marchait normalement », sourient Jany et Michèle. Émilien prévoit de repiquer à la Diagonale des fous. Même si tout est tellement « trop » qu’elle génère un « effet retard » éreintant : longtemps après, la dépression s’invite. Le fiston de Jany l’accepte car l’alternance de hauts et de bas est à l’image de la vie. Avec son père, il a la chance d’ »avoir la base » : un cœur qui, dans leurs deux poitrines, bat 45 fois par minute, peut-être 50 quand il s’affole.
34 ans au sommet
En attendant, pour fêter ses 34 ans, Emilien a grimpé au sommet du Kilimandjaro avec sa compagne et des amis – à 5 800 mètres. Le mal d’altitude ? « C’est plutôt pour les sportifs ». Son équipage est au contraire « monté doucement » : en cinq jours, aller et retour. Émilien convient tout de même que « 50% des gens réussissent » – autrement dit, la moitié calent. Le Bourbonnais d’ailleurs reconnaît également avoir succombé au mal si redouté des sommets, qui survient quand on ne le craint plus. « En redescendant, à 4 800 mètres, quand on s’est reposé trois quarts d’heure au refuge, on a dû dégringoler dare-dare à 3 800 m ».
Pour souffler les bougies de son gâteau d’anniversaire, l’affaire tombait… à pic. « Plus haut, il y avait une tempête de glace, il faisait -15°C, avec un ressenti -30°C ». Il n’aurait plus manqué que le vent souffle ses bougies à sa place.
Fabienne Ausserre
f.ausserre@jhm.fr