Il y a 79 ans, le massacre de Colombey-lès-Choiseul
Dans la nuit du 26 au 27 juillet 1944, dix-sept ou 18 déportés des îles Anglo-Normandes transportés en train jusqu’en Allemagne ont été tués ou exécutés lors d’une tentative d’évasion entre Merrey et Neufchâteau. Une tragédie ignorée ici.
26 juillet 1944, vers 23 h 30. Garde-barrière au lieu-dit Chapelot, commune de Colombey-lès-Choiseul, Rose Joly venait de se coucher. Mais son sommeil devait être rapidement interrompu. « J’ai perçu le crépitement d’une fusillade à proximité de ma demeure », témoigne-t-elle.
Les coups de feu venaient du kilomètre 32.750, sur la ligne 15 qu’empruntait le train 15 241 passé en gare de Merrey à 23 h 01. « Le train ayant stoppé, j’allais sortir de chez moi, mais en raison de la fréquence des coups de feu, j’ai dû me mettre à l’abri », explique cette employée SNCF de 48 ans.
« Cheveux tondus ras »
La fusillade aura duré une demi-heure, puis le silence est revenu. Au matin du 27 juillet 1944, les gendarmes de Clefmont se sont rendus sur les lieux. On venait de les informer de la présence d’un cadavre, au bord de la voie. « Il est vêtu d’une vareuse gris-vert, d’un pantalon à rayures bleues et blanches, notent les militaires. Il est nu-pieds. Sans coiffure. Le cadavre est à plat-ventre, le visage repose sur les deux bras repliés […] Le visage est crispé […] Les cheveux, châtains, sont tondus ras […] Sur le côté gauche de la vareuse, nous relevons le numéro suivant 17.120, surmonté d’un petit rectangle de tissus rouge ».
Témoins de Jéhovah
Les gendarmes clefmontais ne sont pas au bout de leurs surprises. Un peu plus loin de l’endroit où a été découvert le corps de cet homme touché par trois balles, dont une ayant pénétré l’abdomen, ils retrouvent également le bras gauche arraché d’un autre individu.
Ce qu’il s’est passé, entre Breuvannes-en-Bassigny et Colombey-lès-Choiseul, c’est un massacre. Aucun monument ne rappelle la tragédie. Hormis à Toul, en Meurthe-et-Moselle, où les corps des victimes ont été inhumés. Car il y eut 17 ou 18 tués, cette nuit-là, en Haute-Marne. Des Russes, des Allemands, des Polonais, des Hollandais, âgés de 21 à 47 ans, et pour certains Témoins de Jéhovah.
Tentative d’évasion
Tous étaient des déportés. Ils sont morts sur le sol de Haute-Marne, au cours d’un long périple les ayant menés des îles Anglo-Normandes (lire l’encadré) jusqu’à un Kommando du camp de Neuengamme.
Parti le 2 juillet 1944 de Saint-Malo, le convoi était passé par l’Auvergne et la Bourgogne. A Is-sur-Tille (Côte-d’Or), quinze détenus se seraient évadés. Une autre tentative de fuite devait survenir après Merrey, en direction de Neufchâteau (Vosges). A 23 h, le 26 juillet 1944, des prisonniers du wagon 12 se sont jetés sur un gardien allemand. Ils lui ont pris son fusil, l’ont blessé. Immédiatement, huit déportés ont sauté du train : trois furent abattus. Lors de la lutte ou par représailles, quatorze autres détenus ont été tués, quatorze blessés. Tous les corps ont été remontés ou laissés dans le wagon… sauf celui laissé sur la voie et qui reste encore, à ce jour, inconnu*.
Lionel Fontaine
* D’après son numéro de matricule, son patronyme devait commencer par la lettre S.
Source : La Haute-Marne et les Haut-Marnais durant la Seconde Guerre mondiale, club Mémoires 52, 2022.
Les victimes
D’après le site Internet dédié aux victimes du camp de Neuengamme, les déportés enterrés à Toul s’appelaient : Wassilij Andrejenko, Otto Hermann Willi Goettel, Iwan Janusch, Richard Klonz, Nikolaj Kolodjaschyj, Nikolaj Kudrenko, Wladyslaw Lubecki, Grigorij Lukjanez, Jefim Moroz, Cornelis van den Oever, Iwan Pawlenko, Aleksandr Schirtujew, Pjotr Sergejew, Nicolaj Sukolenow, Nicolas Trotzkyj, Sigismund Wajs, Gosse Wulder, Fritz Wunderlich. A ces hommes s’ajoute l’inconnu retrouvé en Haute-Marne.
Une enquête officielle ouverte cet été
Le système concentrationnaire nazi était également présent sur le sol britannique : le gouvernement anglais vient d’ailleurs d’annoncer l’ouverture d’une enquête nationale sur les camps installés dans les îles Anglo-Normandes, entre les côtes de France et celles d’Angleterre, et notamment à Aurigny (Guernesey). Occupées par les Allemands depuis l’été 1940, ces îles ont servi de camps de travail pour des prisonniers slaves, des juifs français et des républicains espagnols. Plusieurs milliers d’entre eux y seraient décédés. C’est ce que cherchera à établir l’enquête officielle.