Ibrahim Maalouf : «Je laisse mes idées voyager»
Désormais l’une des plus grandes stars du jazz français, depuis sa Victoire de la musique obtenue l’an dernier, le trompettiste Ibrahim Maalouf sera à Langres, avec son quintet, sur la scène de la salle Jean-Favre le vcendredi 16 octobre. Il y interprétera son dernier album, “Kalthoum“. C’est complet.
JHM : Vous venez de publier coup sur coup deux nouveaux albums, “Red & black light” et “Kalthoum” (qui est également le titre du concert), qui se veulent tous deux un «hommage aux femmes». Comment avez-vous composé votre jazz, aux accents volontiers pop-rock dans “Red & black light”, pour atteindre cet objectif ?
Ibrahim Maalouf : «En fait, comme toujours, je laisse mes idées faire leur voyage. J’imagine des choses et j’essaie de les concrétiser musicalement. C’est toujours des moments de bonheur avant tout. L’étiquette jazz, rock ou autres n’est pas une motivation ni même un désir précis. Ce sont des analyses apres coup.»
JHM : “Kalthoum”, que vous interprétez ce vendredi soir, est un album consacré à la diva égyptienne Oum Kalthoum. Pourquoi cet hommage ?
IM : «Parce que c’est la voix que j’ai le plus écoutée étant jeune. Je connais sa voix et ses chansons par cœur. Et à chaque fois, pour mes précédents albums, on me demandait quelle est mon inspiration. Je répondais Oum Kalthoum et les gens étaient toujours étonnés car le langage qu’elle utilise peut paraître très éloigné du mien. Il était donc temps que j’explique que c’est exactement le même langage.»
JHM : Comment honorer une diva dans un album de jazz instrumental ? L’absence de voix est-elle le meilleur hommage à une voix à jamais inimitable ?
IM : «Je pense que si j’avais été chanteur je n’aurais jamais pu oser faire d’hommage à Oum Kalthoum… En effet, la trompette me permet de garder la même expressivité, tout en ne prenant pas le risque de chanter moins bien qu’elle…»
JHM : En plus des quatre albums sortis ces deux dernières années, vous avez composé pour Grand Corps malade et Isabel Sörling, ainsi que la bande originale du biopic “Yves Saint-Laurent”. Comment la créativité musicale s’accommode-t-elle d’une telle productivité ?
IM : «Les projets se nourissent les uns des autres. C’est comme la différence entre voir un ami à la fois ou les rencontrer tous en même temps. C’est vrai que, du coup, l’échange est moins long avec chacun, mais la richesse de votre rencontre passe aussi par le fait que vos amis se rencontrent aussi et enrichissent votre lien indirectement. C’est un peu pareil, je trouve. Mener plusieurs projets à la fois, c’est se donner la chance de les faire se croiser et s enrichir les uns les autres.»
JHM : En janvier 2015, vous avez joué aux obsèques de Tignous, l’un des dessinateurs assassinés lors de l’attentat contre Charlie Hebdo. Qu’avez-vous ressenti à ce moment ?
IM : «Une profonde souffrance d’un peuple égaré et uni face à l’adversité. Ça n’a cependant pas duré longtemps. Mais ce moment était beau, malgré son drame. J’étais fier de pouvoir représenter indirectement cette France, qui est tout sauf raciste ou xénophobe, comme tendent à nous le faire croire certains médias qui se frottent les mains de voir la société aller mal.»
JHM : Depuis la Victoire de la musique qui vous a consacré l’an dernier, vous êtes devenu une star du jazz, au point d’être invité à la 500e de l’emblématique “Taratata”, dans quelques jours. Avez-vous l’impression d’avoir changé de dimension ?
IM : «Aucune idée… Je vis cela avec beaucoup de sérénité et de plaisir. Je ne suis ni impressionné ou intimidé, ni fier ou quoi que ce soit. Simplement, c’est beau, c’est un honneur et un plaisir de pouvoir faire ce métier dans ces conditions. Et j y pense tous les jours en espérant être à la hauteur de ce qu’on attend de moi. Je travaille dur, je suis très conscient de la chance que j’ai et je fais mon travail consciencieusement.»
JHM : Quel regard portez-vous sur le monde du jazz aujourd’hui ?
IM : «J’ai beaucoup d’admiration pour les grands, les anciens, mais aussi pour les nouveaux, ceux qui prennent des risques. J’aime le jazz académique, comme tout le reste qui tend à se diversifier et à moderniser cette musique qui, parfois, dans les mains de certains « ayatollahs » qui l’aiment trop pour avoir du recul sur leur temps, pourrait tout simplement disparaître…»
Propos recueillis par N. C.