Hypersensibilité : un état et non une pathologie
Psychologie. Ce vendredi 13 janvier marque la journée de l’hypersensibilité. Si cette couverture profite à ceux qui ne sont pas conscients de leur hypersensibilité, elle symbolise également un rapport changeant aux émotions. Une psychologue et une hypersensible témoignent.
« L’hypersensibilité n’est pas une pathologie, mais une manière d’être. Mes émotions sont décuplées. C’est très perturbant quand tu ne comprends pas ce qui se passe. Pendant longtemps je ne savais pas ce qu’était, le terme est arrivé dans les médias très récemment. Tu en viens à te demander si tu n’es pas bipolaire ou lunatique », confie Léonie Thélisson*, hypersensible.
Aujourd’hui, le terme est populaire et, depuis 2019, le 13 janvier lui est même consacré. « Dès que vous pleurez devant un film, vous êtes taxé d’être hypersensible », ironise Brigitte Frosio-Simon, psychologue. Elle poursuit : « Malheureusement, aujourd’hui, on veut tout mettre dans des cases. Face à un deuil, on met les gens sous anti-dépresseurs. On ne se laisse plus le droit de pleurer. On veut tout gérer, même les émotions ». La psychologue souligne qu’elle n’est pas contre les traitements médicamenteux.
Tous hypersensibles ?
S’il y a une utilisation abusive du terme, il n’est pas pour autant vide de sens. De manière générale, des périodes sont plus propices à développer une hypersensibilité : l’adolescence, le deuil, les changements liés à la sexualité ou la ménopause. Sommes-nous tous hypersensibles ? Pas vraiment. « La différence entre des gens qui viennent consulter, ou pas, réside dans le degré de souffrance qu’apporte cette hypersensibilité », indique Brigitte Frosio-Simon.
« L’hypersensible n’a pas de portrait-robot »
Une recette magique pour en reconnaitre un ? Pas vraiment. « L’hypersensible n’a pas de portrait-robot », statue la psychologue. Néanmoins, il y a quelques ingrédients à remarquer. L’hypersensibilité se remarque notamment chez des enfants ayant un comportement d’adulte, des personnalités très empathiques ou avec des expressions très marquées avec des pleurs, des cris ou de l’agressivité. D’autres l’expriment par la création artistique ou par leur intuition.
Violence et hypersensibilité
« Les adultes hypersensibles ont souvent évolué dans une ambiance familiale compliquée. Enfants, ils ont donc dû développer un sixième sens pour se prémunir du danger. L’adaptation du comportement amène au développement de la personnalité et, dans certains cas, à une hypersensibilité. La développer aide à anticiper ce qui va se passer et donc se prémunir de certains événements », détaille Brigitte Frosio-Simon.
Pour elle, ces mécanismes ne sont pas exclusifs aux êtres-humains. « Un animal, pour sentir le danger a besoin d’hypersensibilité. C’est même essentiel à la survie de l’espèce, c’est ce qui permet de s’adapter au danger. »
La psychologue fait également un parallèle entre l’hypersensibilité et une hyperviolence de la société. « On entend toujours parler de violence, que ce soit les attentats et les guerres évoqués aux informations, le fonctionnement du monde du travail ou les sujets traités dans les films. A côté, il y a une uniformisation de la société avec l’obligation d’être beau et sportif. Tout cela est très violent et entraine des mécanismes d’adaptation, qui peuvent prendre la forme de l’hypersensibilité. »
Julia Guinamard
*Le nom a été changé.
Ce que traduit la journée nationale
« Peut-être que de faire une journée sur l’hypersensibilité témoigne du fait que nous ne savons plus accueillir nos émotions », interroge la psychologue Brigitte Frosio-Simon. Quoiqu’il en soit, l’hypersensibilité fait de plus en plus couler de l’encre.
Cela est en partie dû au travail de Saverio Tomasella, psychanalyste et auteur de plusieurs ouvrages sur l’hypersensibilité, à l’origine de la journée nationale. En 2018, il a adressé une pétition à Brigitte Macron pour instaurer cette journée.
« Cette journée particulière pourrait permettre aussi de mieux informer les professeurs, les éducateurs et les dirigeants sur l’hypersensibilité », a-t-il alors écrit. Si l’action est louable, il ne faudrait pas qu’elle créé de l’hypocondrie.
« On entend de plus en plus de patients dire qu’ils ont été « diagnostiqué » hypersensible, comme si c’était une maladie. Ça n’en est pas une. Au contraire, c’est même une force qu’il faut valoriser. Mettre des diagnostiques sur tout, c’est mettre des gens dans des cases dès qu’il y a une différence », pointe Brigitte Frosio-Simon.
Vivre avec l’hypersensibilité
Si Léonie Thélisson a été soulagée d’apprendre son hypersensibilité, elle a commencé à travailler dessus quatre années plus tard. « Je venais d’apprendre une nouvelle très dure. Je suis allé à un atelier sur le stress et j’ai rencontré une sophrologue. J’avais toujours été fermée à ce type de pratiques, mais là j’ai voulu tenter. »
Le résultat a été positif. Au fil des séances, les exercices de respirations et de méditations sont entrés dans son quotidien. « Me poser quelques secondes pour respirer m’aide à gérer mes émotions et ne pas partir au quart de tour. Ce n’est pas que je m’empêche de ressentir mes émotions, mais plutôt que je les accepte pour les canaliser. On n’est pas des robots non plus ! »
De son côté, la psychologue invite à éviter les situations. « Si l’environnement de travail est néfaste et qu’il ne permet l’expression de l’hypersensibilité, il faut aller voir ailleurs. » Par ailleurs, ce type de personnalité doit apporter une vigilance particulière quant aux drogues, légales ou non. En effet, face à une gestion difficile des émotions, elles peuvent se présenter comme une échappatoire.