Histoire : cet enfant de Bourmont qui manqua de peu le Goncourt
Fils d’un fonctionnaire en poste en Haute-Marne, André Fribourg avait, en 1917, pour concurrents Jean Giraudoux, Georges Duhamel, Louis Delluc ou Jean Paulhan, tous grands noms de la littérature.
Le Prix Goncourt a été décerné mercredi à Mohamed Mbougar Sarr, attendu prochainement à Chaumont. Evidemment, chaque année, à l’évocation du nom de Goncourt sur les ondes, les Haut-Marnais dressent l’oreille. La plus célèbre récompense littéraire française renvoie, comme chacun sait, à ce village situé près de Bourmont et dont le nom a été donné à une famille d’hommes de loi, de militaires et d’écrivains français. Le père des frères Goncourt était né à Bourmont, leur grand-père, Jean-Antoine Huot de Goncourt, y était avocat, et le berceau de la famille Huot était à Hâcourt (lire l’encadré)
Depuis qu’il a été décerné à partir de 1903 « au meilleur roman, au meilleur recueil de nouvelles », le Prix Goncourt est revenu à deux Haut-Marnais. Durant deux années consécutives, d’ailleurs : Maurice Constantin-Weyer (Bourbonne-les-Bains) en 1928, Marcel Arland (Varennes-sur-Amance) en 1929. Le Bragard Thierry Beistingel n’en a pas été loin, en 2012.
Giraudoux, Genevoix, Duhamel
Mais c’est à un autre goncourable – le mot existe – que nous allons nous intéresser ici. Un auteur né – coïncidence – à Bourmont, en 1887 : André Fribourg. Fils d’un fonctionnaire en poste dans la cité, Fribourg, ancien élève du lycée Henri IV, professeur agrégé d’histoire, a été enseignant. Il a surtout laissé une trace comme parlementaire, élu à 32 ans député de l’Ain. Mais cet ancien combattant de 14-18 a aussi connu quelque notoriété en 1917, lorsque son nom a circulé parmi les potentiels lauréats du Goncourt.
Un an après Henri Barbusse (“Le feu”), l’époque est à la publication de témoignages de Poilus, et “Croire, histoire d’un soldat” est précisément l’œuvre d’un auteur qui, servant au 106e régiment d’infanterie de Châlons (le régiment d’un certain Maurice Genevoix), a été grièvement blessé aux Eparges en 1915.
Dans la lutte – moins violente – pour le Goncourt 1917, le Haut-Marnais se retrouve avec une forte concurrence. Face à lui, notamment : Jean Giraudoux (« La guerre de Troie n’aura pas lieu »), Georges Duhamel, qui sera secrétaire perpétuel de l’Académie française, Louis Delluc, futur célèbre critique de cinéma, ou Jean Paulhan, gérant de la Nouvelle Revue française.
« Chose curieuse »
Quatre tours seront nécessaires avant de proclamer le vainqueur, le 12 décembre 1917. Au deuxième, Fribourg est même en tête. Mais ensuite, écrit le chroniqueur du journal L’Intransigeant, « une chose curieuse se produit : les partisans de M. Fribourg votent pour M. Giraudoux, tandis que les partisans de M. Giraudoux, découvrant le mérite du livre de M. Malherbe, votent pour lui ». Et c’est ainsi qu’un outsider, Henry Malherbe, l’a emporté, et sa victoire proclamée au restaurant parisien Drouant. Comme ce fut encore le cas hier.
L. F.
Les Goncourt vus par André Theuriet
André Theuriet (1833-1907) est mort quatre ans après la première attribution du Prix. Celui qui a vécu de 1856 à 1859 à Auberive n’a donc jamais été lauréat. Mais il a connu, à la fin du Second Empire, l’un des frères Goncourt, Edmond. Et dans son livre “Souvenirs des vertes saisons”, l’enfant de Bar-le-Duc écrira, à propos de ces deux fils de Haut-Marnais : « Sans le vouloir, les deux frères ont eu une influence détestable sur les jeunes écrivains qui se sont succédé de 1875 à 1885 et qui ont cherché, en les imitant, à exagérer leurs défauts. Cela nous a mené tout droit au charabia de l’école décadente. Comme romanciers, les Goncourt avaient le don de la vision, de l’observation aiguë ; mais, hantés par la chimère de “l’écriture artiste”, il leur arrivait de sacrifier la vérité à la recherche de l’effet. » On a connu meilleur éloge… Mais il est vrai que les frères Goncourt étaient également réputés pour avoir la plume grinçante, voire même cruelle.