Festival de Montier : dans l’intimité des chimpanzés
A travers une émouvante et saisissante expo qui était visible au Cosec de Montier, lors du Festival international de la photo animalière en novembre dernier, Sabrina et Jean-Michel Krief ont mis en lumière les chimpanzés du Parc national de Kibale, en Ouganda. Améliorer la cohabitation entre l’espèce et l’Homme est vital pour la survie de ces grands singes.
Le Journal de la Haute-Marne : Depuis combien de temps explorez-vous l’Ouganda ?
Sabrina Krief* : J’effectue des recherches depuis 23 ans et plus spécifiquement en Ouganda depuis 20 ans. Et depuis dix ans, on étudie les chimpanzés dans le parc national de Kibale, à Sebitoli, à travers le Sebitoli Chimpanzee Project. Ils sont entre 80 et 100 chimpanzés dans 25 km² du parc national qui fait 800 km². On en suit régulièrement une soixantaine.
Le JHM : Vous les suivez en permanence ?
S. K. : Nous avons installé notre station de recherche il y a quatre ans. Nous y allons deux à trois fois par an, à raison d’un mois sur place à chaque fois. On a 25 personnes en permanence sur place, des Ougandais, dont des étudiants.
Le JHM : Jusqu’à quel point vous approchez-vous des chimpanzés ?
S. K. : Notre objectif est de ne susciter ni crainte, ni curiosité. Aujourd’hui, on est à huit, dix mètres d’eux. Mais le fait de pouvoir les approcher est le fruit de dix ans de travail. Les premiers mois, on observe de très loin. Il a fallu cinq ans avant de les approcher comme ça. Nous voulons montrer cette proximité entre le monde animal et le monde humain. Il faut qu’on arrive à réduire notre empreinte pour vivre en harmonie avec eux.
Le JHM : Avez-vous bien été accueillis par les locaux ?
S. K. : Oui, depuis qu’on y est, on travaille avec l’université locale, notre station est installée au cœur du parc, elle est bien acceptée. On ne travaille qu’avec les villageois, on essaye de tout faire en collaboration avec eux.
Le JHM : Vous êtes suivis financièrement par la fondation Nicolas Hulot. Est-ce la seule ?
S. K. : La FNH nous suit sur le long cours, pour la lutte contre le braconnage. La fondation Prince Albert II nous suit aussi dans le cadre du projet spécifique actuel, ainsi que le Fonds français pour l’environnement mondial.
Le JHM : Quel est l’objectif prioritaire de votre action ?
S. K. : L’objectif est de réduire la pollution environnementale. Les pesticides qui ont une incidence sur les chimpanzés. Certains portent des traces de cette menace : on a une femelle avec un bec de lièvre, d’autres avec des narines enfoncées ; 25 % qui ont des phalanges, pieds ou mains amputés pour s’être fait piéger dans des collets. Et il y a aussi le braconnage, dû à la pauvreté. Il faut que l’on assure des revenus aux locaux pour faire chuter le braconnage. Ce qui est très clair, c’est que les chimpanzés sont menacés de disparition à cause de l’agriculture. Ils nous on servi de sentinelle. On peut avoir un rôle à des milliers de kilomètres par nos choix de consommation. Tous nos produits du petit déjeuner, le thé, le café, le cacao, viennent de ces endroits. Si on a un petit déjeuner raisonné, on améliore les sols des grands singes et de plusieurs espèces d’animaux.
Le JHM : A travers votre expo, on voit que vous avez donné des noms aux chimpanzés.
S. K. : Oui, pour la recherche, le suivi individuel, on les a identifiés par des noms et des codes. On suit un individu de deux façons : de son lever à son coucher et aussi, qui est avec qui, pour mieux comprendre comment on utilise l’espace, comment ils vivent en société, comment ils répondent aux menaces de l’homme. La photo alliée à la recherche a cela d’intéressant. On a aussi posé des pièges caméras pour les observer : on les a vus chaparder du maïs, le plus souvent la nuit noire, pour déjouer la vigilance des villageois. Ils pillent la nuit. Ils ramènent des paquets de maïs sous leur bras.
Le JHM : Vous êtes un facilitateur en quelque sorte. Votre objectif est que les animaux et les hommes vivent ensemble.
S. K. : Notre objectif est de réhabiliter la cohabitation entre les villageois et les chimpanzés. Les villageois ont été exclus au moment où le parc a été créé. Cette ambition de nature sauvage, ça ne fonctionne que si on implique les populations locales qui auraient un intérêt à défendre cette faune. On essaie de réhabiliter une cohabitation harmonieuse entre les animaux sauvages et les Hommes qui sont autour. Ça passe par la création de revenus. Il y a d’autres façons que l’écotourisme pour vivre. Valoriser un thé ou un café de qualité qui aide à la sensibilisation par exemple. Les producteurs doivent être impliqués.
Le JHM : Comment faire pour y parvenir ?
S. K. : C’est une question foncière. Il faut réussir à mobiliser les petits producteurs pour travailler ensemble. Déplacer les champs de maïs et de canne à sucre trop près de la forêt et qui attirent la faune. Pour que chacun puisse vivre, les villageois avec leurs cultures, et les chimpanzés dans leur forêt.
Le JHM : Que vous apporte un événement comme le Festival ?
S. K. : Je fais beaucoup de conférences qui s’appuient sur les photographies de Jean-Michel. Le Festival est une superbe vitrine. On a des supports de sensibilisation, de diffusion. Ce qui est bien, c’est de sortir des grandes villes. D’échanger avec différentes personnes.
*Sabrina Krief est vétérinaire et professeure au Museum national d’histoire naturelle. Elle œuvre en Ouganda avec son époux, photographe, Jean-Michel Krief.