Ferry Capitain : première matière, la matière grise
L’entreprise de Vecqueville vend toujours d’énormes pièces de métal, mais de plus en plus, aussi de l’intelligence. Et dans le monde entier.
Auguste Capitain se doutait-il, en 1831, en recevant l’ordonnance royale qui lui octroyait le droit d’établir à Bussy, près de Joinville, un brocard mû par une roue hydraulique, que son entreprise exporterait dans le monde entier au 21ème siècle ? Plus que jamais, aujourd’hui, Ferry Capitain, depuis 1967 au sein du groupe “Compagnie Industrielle et Financière de Bussy” (CIF) embrasse l’avenir.
Emblématique représentante de la 6e génération d’industriels, Marthe Prunier, plus forte de ses compétences que de son héritage, dirige le navire amiral avec une précision non feinte. Elle porte en elle l’histoire de Ferry Capitain ; lorsqu’elle engage l’avenir de la société, elle adosse sa réflexion à ce passé riche d’enseignements.
Au 19e siècle, il s’est agi longtemps de transformer en fonte le minerai extrait des collines de Bussy. Las, au changement de siècle, la concurrence du minerai de Lorraine a menacé l’édifice jusque dans ses fondements. Face au péril, déjà, Ferry Capitain définissait une nouvelle stratégie en proposant des produits de seconde métallurgie. Lors de la Première Guerre mondiale, les femmes entrent dans les ateliers ; elles remplacent les hommes montés au front, pas si éloigné. Elles permettent à l’usine de continuer à produire. Les décennies qui suivent voient Ferry Capitain servir des clients essentiellement français avides de fonte et d’acier.
Le choc pétrolier des années soixante-dix est un second séisme. La réaction stratégique de Ferry Capitain ne se fait pas attendre. Ce sera l’export. L’Allemagne et les Etats-Unis sont alors les plus gros clients étrangers, objets de toutes les attentions du nouveau service export, en pleine croissance. Les USA sont aujourd’hui le premier client de l’entreprise. Bon an mal an, 85 % de la production est exportée ; c’est dire si négocier ce virage voilà 40 ans fut décisif.
Ce succès à l’export repose bien sûr sur le passé ; on parlera ici d’un réel savoir-faire, avéré, précieux, sans doute une des meilleures cartes de visite de Ferry Capitain. Ce succès repose aussi, peut-être autant, sur l’innovation, désormais inscrite dans les gènes de l’entreprise. Forts de l’adage qui veut qu’il vaille mieux être suivi que suivant, dirigeants et cadres innovent sans cesse. Il s’agit dès lors d’apporter une valeur ajoutée décisive pour emporter la décision des clients. Puisque la concurrence sur les prix est vaine avec les économies voraces des pays émergents, Ferry Capitain se positionne résolument sur la qualité et tout le précieux plus qui fera désormais la différence.
Les pièces qui sortent des ateliers de Vecqueville ne sont plus seulement de fonderie, mais aussi de mécanique avancée.
Les mines et cimenteries demeurent des clients historiques ; les couronnes dentées de 16 m de diamètre impressionnent toujours autant.
Ces pièces-là, stratégiques pour l’entreprise qui les acquiert et les exploite, sont déjà dûment contrôlées par des sociétés tierces. Sait-on que leurs ingénieurs recherchent dans les entrailles de ces objets de plusieurs tonnes, des défauts de la taille d’une tête d’épingle ? À ce petit jeu, exigeante équation dont la fonction tend vers la perfection, les Chinois, par exemple, apprennent vite et montent en compétence. Tout l’enjeu, pour Ferry Capitain, consiste à rester devant. Mise au point à Vecqueville, la nuance particulière FerryNod®, que maîtrise le site de Vecqueville, est appréciée des experts. Elle est utilisée pour la fabrication des trois quarts des couronnes. Combien de temps conservera-t-elle son avance ? La question appelle une réponse spontanée de Marthe Prunier : «On est tout le temps contraints de se réinventer».
Ce volet recherche et développement ne peut plus s’imaginer à l’échelle de Ferry Capitain, mais à l’échelle du groupe tout entier. Basés sur les différents sites, plus de 90 ingénieurs contribuent chaque jour à ce que l’entreprise vende certes des pièces en fonte ou en acier, mais aussi du service de pointe.
Des décennies durant, Ferry Capitain a vendu, souvent à l’autre bout du monde, des pièces qui étaient associées à d’autres par l’acquéreur. Désormais, les contrats portent de plus en plus sur des ensembles complets et complexes. La nuance, le moulage, l’usinage, additionnent des savoir-faire multiples et complémentaires issus aussi des ateliers d’Hachette & Driout par exemple. Ces “moutons à cinq pattes”, en France, seule la holding CIF sait les réaliser.
Parvenu là, on devine confusément que Ferry Capitain vend bien sûr toujours de la fonte ou de l’acier, mais de plus en plus aussi, de l’intelligence. Cette nouvelle matière grise défie les enjeux de l’avenir. Lorsqu’Airbus a commandé des moules pour des entrées d’air de réacteurs, ou encore des pièces de fuselage, Ferry Capitain a répondu en apportant… des calculs : au creux de ceux-ci naissait encore une nouvelle nuance. Ce n’est pas un hasard si Ferry Capitain a rejoint le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas). On s’éloigne dès lors singulièrement de la simple production de fonte. Avant de prendre livraison de sa pièce, le client vient chercher une approche, une fonction, de la pertinence pour celle-ci et pour la réalisation de celle-ci.
À un moment ou à un autre, le métal en fusion vient toujours envahir un moule, mais en amont, les ingénieurs ont nourri les ordinateurs de données, d’hypothèses, de savantes certitudes mâtinées d’intuitions. La R&D, secteur choyé s’il en est, précède, prépare, justifie la magique coulée. C’est cette intelligence-là que viennent désormais chercher les clients de Ferry-Capitain.
Cette exigence de montée en puissance de la matière grise se traduit en interne par énormément de formation professionnelle, dans une quête perpétuelle de l’expertise. Lors du recrutement, les DRH vendent aux candidats des plans de carrière à l’échelle du groupe et de ses six sociétés, différentes et complémentaires. L’horizon du candidat s’élargit.
Lorsque nous rédigeons ces lignes, la conjoncture tend à s’éclaircir. Faiblement, certes, mais…
Las, la visibilité des carnets de commandes n’excède pas deux ou trois mois, ce qui s’avère notoirement insuffisant. Pour écrire son avenir, Ferry Capitain produira vraisemblablement des pièces ou des ensembles de pièces en synergie avec ses partenaires du groupe CIF, à destination de marchés de niches. Ces produits seront livrés avec le service qui l’accompagne, n’importe où dans le monde.
Depuis 1831, Ferry Capitain avait l’intelligence de faire. L’entreprise a acquis désormais aussi celle de vendre. Plus seulement des pièces – qui conservent leur excellence – mais par exemple aussi de la durée de fonctionnement. Cela s’appelle la fiabilité, la sécurité. Les investisseurs adorent.