Eté 1788 : un orage ravage le grenier à blé de Paris
Le 13 juillet 1788, un an et un jour avant le début de la Grande Révolution française, un refroidissement sur le proche Atlantique engendre une dépression centrée sur l’île d’Oléron. Une cellule orageuse associée remonte vers le nord-est en dévastant tout sur son passage, de la Touraine à la Belgique (alors Pays-Bas autrichiens).
Les astronomes de l’Observatoire, les savants de l’Académie royale des sciences et de la Société d’agriculture, contribuent largement aux progrès des connaissances météorologiques au siècle des Lumières. Une girouette et un anémomètre enregistreurs sont inventés en 1734 par l’académicien Louis-Léon Pajot (1678-1754). La Société royale de médecine, fondée en 1776, établit un réseau de 206 stations d’observations météorologiques à travers l’Europe, jusqu’en Asie et en Amérique. Ce réseau fonctionne jusqu’en 1792. Les médecins s’investissent dans les disciplines scientifiques, dont la climatologie, afin de lutter contre les épidémies.
Le fondateur de la Société royale de médecine est François de Lassone (1717-1788), 1er médecin du roi, qui préside la commission de médecine de Paris instituée par un arrêt du Conseil d’Etat du 29 avril 1776. Cette institution tient une correspondance avec les médecins de province en ce qui concerne les maladies épidémiques et épizootiques. Pour soutenir cette entreprise, le roi ordonne à son 1er médecin de lui présenter chaque semaine le cahier des relevés d’observations météorologiques. Le 1er janvier 1786, Louis XVI décide de présider aux mesures faites à Versailles : les relevés effectués en sa présence portent la mention « observations sous les yeux du roi ».
Le grenier à blé de Paris est dévasté
Le printemps 1788 est marqué par un déficit pluviométrique de 40 % à 80 % selon les régions, avec des températures trop élevées. Une telle sécheresse ne s’est pas produite depuis 1774, année qui a précédé la “guerre des farines”, une révolte consécutive à la hausse du prix du pain survenue au printemps 1775. La perturbation orageuse du 13 juillet provoque des dégâts estimés à 50 millions de livres, soit 10 % des recettes budgétaires du royaume.
Cette masse orageuse, qui génère des trombes terrestres (inconnues à cette époque contrairement aux trombes marines), frappe deux zones parallèles larges d’une quinzaine de kilomètres et longues de 450, orientées nord-est. Elles s’étendent de la Touraine jusqu’à la Belgique actuelle. Les destructions affectent la Beauce, la Brie, le Soissonnais, la Picardie, soit le grenier à blé de Paris où la moisson s’annonçait déjà médiocre.
Louis XVI surpris à Rambouillet
La journée de la veille ayant été très chaude, avec 33 degrés relevés à Paris, Louis XVI assiste à cet orage dans son château de Rambouillet : la toiture d’ardoises et les vitres sont ravagées par des grêlons, tandis qu’un millier d’arbres sont déracinés dans le parc. Des savants, comme le médecin Henri-Alexandre Tessier et l’astronome Charles Messier, observent que certains de ces grêlons pèsent plus de 600 grammes et sont gros comme le poing. En de nombreux endroits, les observateurs notent que les points d’impact atteignent fréquemment trois pouces (7,62 cm) de circonférence. Suite à ce désastre, le roi crée une loterie de douze millions pour secourir les régions dévastées. L’Académie royale des sciences charge le physicien Jean-Baptiste Leroy, Henri-Alexandre Tessier, et le géographe Philippe Buache « de rassembler tous les faits, les détails et les circonstances de cette journée, et de dresser une carte qui accompagnera leur rapport ». Ce document élaboré par Philippe Buache, qui figure les zones sinistrées, constitue la plus ancienne carte d’orage connue.
Un hiver rigoureux et des émeutes
L’hiver 1788-1789 se caractérise par un froid vif dès fin novembre, avec 86 jours de gel à Paris et des températures minimales entre moins 20 et moins 30 degrés. Les fleuves gèlent, ce qui complique le ravitaillement des villes. Le mois de janvier est marqué par une surmortalité de 10 000 décès. Le prix du pain s’envole avec 58 émeutes frumentaires dès 1788 ; on en relève 239 sur les quatre premiers mois de 1789, dont 105 en avril, juste avant la convocation des Etats généraux le 5 mai.
L’historien Albert Soboul (1914-1982) relate dans son “Précis d’histoire de la Révolution française” (Editions sociales 1962) : « La moisson de 1788 a été particulièrement mauvaise. Dès le mois d’août, la hausse du prix du pain commença. Necker (ministre des finances) ordonna des achats à l’étranger. Dans les pays de vignobles, les cultivateurs étaient d’autant plus sensibles à la cherté du pain, que depuis 1788 sévissait une crise de mévente ; le vin était tombé à un prix infime. La crise agricole se répercutait sur la production industrielle déjà touchée par le traité du commerce de 1786 (qui favorise l’industrie textile anglaise).
Les ouvriers ne pouvaient obtenir d’augmentation de salaires, la production étant en stagnation ou en régression. En 1789, un ouvrier parisien gagnait 30 à 40 sous (par jour) : en juillet, le pain coûtait 4 sous la livre, en province jusqu’à 8 sous. Le peuple rendait responsables de la disette les décimateurs (religieux qui prélevaient la dîme) et les seigneurs qui percevaient les redevances en nature, les négociants qui spéculaient sur les grains ; il réclamait la réquisition et la taxation. Les troubles dus à la disette et à la cherté, nombreux dès le printemps 1789, se multiplièrent en juillet lorsque la crise, à la veille de la moisson, fut à son comble ».
De notre correspondant Patrick Quercy
La Convention dissout les sociétés savantes
Dans le cadre de l’état de guerre et de l’avènement de la Terreur, les sociétés savantes et littéraires sont dissoutes par la loi du 20 thermidor de l’an I de la République (8 août 1793).
Source principale : Histoire de la météorologie d’Alfred Fierro (Editions Denoël 1991).