Etat d’urgence : les avocats redoutent une «dérive sécuritaire»
Mis en place dans un contexte empreint de sidération et émotion, l’état d’urgence suscite de vives réserves. Par la voix de Stéphanie Blanchard, les avocats haut-marnais expriment des craintes quant à une «dérive sécuritaire».
Un numéro d’équilibriste… Plus dure sera la chute. Parés sous le linceul de l’émotion suscitée par les attentats survenus en janvier et novembre 2015, les chantres de la République en viennent à négliger des libertés fondamentales.
Dans le sillage de magistrats, libre penseurs ou militants associatifs, les avocats haut-marnais émettent de vives réserves quant à état d’urgence et mesures ou réformes liberticides censées participer une tardive et faillible lutte contre le terrorisme. “En réaction à l’horreur des attentats qui ont frappé notre société toute entière, l’état d’urgence a été décrété par le gouvernement puis prolongé de trois mois, rappelle Stéphanie Blanchard, bâtonnier de l’Ordre des avocats du Barreau de Haute-Marne, dans un courrier communiqué suite à une sollicitation de la rédaction.
«Action arbitraire»
“Un projet prévoit d’inscrire l’état d’urgence dans la Constitution et envisage une déchéance de nationalité à l’égard des binationaux auteurs de crimes constituant une atteinte grave à la nation. Depuis novembre 2015, plus de 3 000 perquisitions administratives sont intervenues et de nombreux dérapages ont été relevés au point de susciter une réaction du Conseil de l’Europe, dénonçant une forme de profilage ethnique lors de certains contrôles d’identité”, précise le Bâtonnier. “Permettre l’action arbitraire de forces de sécurité sans contrôle du juge, c’est renoncer aux droits et libertés qu’un Etat démocratique a le devoir de protéger. Les avocats expriment leur inquiétude face à une dérive sécuritaire sans véritable efficacité dans la lutte contre le terrorisme et rappellent leur attachement à la défense des libertés individuelles dont tout Etat de droit reste le garant”, conclut Stéphanie Blanchard.
Les limites de la mise en œuvre de perquisitions administratives sont particulièrement perceptibles en Haute-Marne. Menées sous couvert d’une discrétion tranchant avec une nécessaire transparence de l’action publique, les perquisitions ordonnées par l’autorité préfectorale, hors cadre judiciaire, auront abouti à la découverte de deux armes et dix grammes de résine de cannabis. Aucune poursuite n’aura été engagée. Un bilan insignifiant. Un échec en partie liée à un élément des plus évidents. Informés – comme tout un chacun – de la mise en œuvre de réquisitions administratives, les individus susceptibles de se prêter à de graves atteintes à la nation ont veillé à ne pas conserver armes ou documents compromettants.
Communication et réalité
L’objet de ces perquisitions peut également prêter à diverses critiques. De nombreuses opérations menées sur ordre préfectoral sur le territoire n’ont clairement aucun lien direct avec une quelconque menace terroriste. Cette réalité inquiète de nombreux observateurs dénonçant «une vaine tentative de grand ménage» menée hors cadre judiciaire.
«La communication vise à étouffer des réalités difficiles à assumer», note par ailleurs un interlocuteur. Un exemple – parmi d’autres – retient plus particulièrement l’attention à l’échelle départementale. En 2014, face à une suspicion de départ en Syrie de Sid Ahmed Ghlam, les services de renseignements avaient motivé la légitimité d’une surveillance accentuée. Fiché S, le Bragard aura eu tout à loisir de préparer l’attentat – avorté – visant un lieu de culte de Villejuif… Aussi prégnante soit la campagne de communication orchestrée en haut lieu, état d’urgence et débats sur la déchéance de la nationalité ne peuvent occulter les échecs avérés des services de renseignement français. Des services souffrant de criants manques de moyens.