Et au milieu coulait une rivière…
Depuis environ cinq ans, et comme d’autres cours d’eau sur le département, la Suize subit des assecs de plus en plus précoces et longs. Face au dérèglement climatique, des solutions visant à renforcer la résilience du cours d’eau vis-à-vis de ces assecs existent.
Rencontre avec le directeur du Syndicat mixte du bassin de la Marne et de ses affluents, Denis Lalevée, qui a permis de dresser un bilan des altérations et des perspectives envisageables.
Les assecs, un phénomène naturel mais pas que…
D’une longueur d’environ 52 km, la Suize prend sa source à Courcelles-en-Montagne et conflue avec la Marne à Chaumont, au niveau de la route de Condes. Depuis plusieurs années, les phénomènes d’assec, bien connus sur ce cours d’eau, s’accentuent fortement : « En 2022, la Suize ne coulait plus au niveau du viaduc de Chaumont à partir du mois de mai et n’a été réalimentée qu’au mois de novembre » explique Denis Lalevée.
« Heureusement, certains affluents, peu nombreux, comme le ruisseau des Sointures à Leffonds et la source Buée, dans le quartier des Tanneries à Chaumont, permettent de maintenir certains tronçons en eau. Ces phénomènes d’assec ne sont pas récents mais les faibles précipitations annuelles de ces dernières décennies accentuent ces évènements ».
Plusieurs raisons expliquent ces assecs. Premièrement, la Suize coule sur un sol karstique qui favorise l’infiltration de l’eau dans un système complexe de réseaux. Plusieurs colorations, réalisées entre 1889 et 1986, ont mis en évidence les différentes interactions entre les nappes. Certaines failles, comme celle de Neuilly-sur-Suize, acheminent l’eau sur d’autres bassins versants localisés à plus de 30 km. Ainsi, les nappes situées à Ambonville (bassin versant du Blaiseron) ou encore à Montheries (bassin versant de la Renne) sont alimentées par la Suize. Afin de limiter les débordements, les travaux de curage réalisés entre 1880 et 1960 ont favorisé considérablement ces infiltrations : « L’extraction des matériaux du ruisseau rendant étanche le fond du lit a fait apparaître certaines failles. En plus de favoriser les assecs, ces travaux ont réduit les zones d’expansion des crues et ont ainsi accentué les débordements sur les tronçons non curés », souligne Denis Lalevée.
La seconde raison de l’accentuation des assecs est le déplacement du cours d’eau hors de son thalweg naturel. Que ce soit pour alimenter un moulin ou pour exploiter une parcelle, un linéaire conséquent de la Suize a été déplacé.
Le ruisseau n’est donc plus en contact avec sa nappe d’accompagnement qui lui permet, en partie, d’être alimenté tout au long de l’année : « Les cartes du cadastre napoléonien, réalisées entre 1804 et 1815, nous permettent d’identifier les modifications d’origine anthropique (opérées par l’Homme, Ndlr) du tracé. Certains tronçons, comme ceux du lieu-dit de Rochevillers avaient déjà été modifiés avant l’établissement de ce cadastre ».
Hormis la déconnexion du cours d’eau de sa nappe d’accompagnement, la rectification, le déplacement ou la suppression de certains linéaires ont entraîné l’augmentation de la pente du profil en long.
Ces travaux ont ainsi accentué les vitesses des écoulements et donc les phénomènes d’érosion des berges et d’incision du fond du lit. Au total, plus de 3,5 km de cours d’eau ont été supprimés sur la Suize : « Le plus emblématique reste la modification du tracé de la Suize au Pâté de Truites en aval du viaduc de Chaumont. Ces travaux ont probablement été effectués pour éviter la construction de plusieurs ouvrages de franchissement sous la route départementale ».
Des travaux pour renforcer la résilience du cours d’eau
Jadis, nos aïeuls se souciaient déjà de ces assecs et plusieurs travaux visant à les réduire ont été réalisés entre 1860 et 1893. Malheureusement, la mise en place de seuils et le glaisage du fond du lit n’ont jamais permis au ruisseau de garder un écoulement pérenne et paradoxalement les curages se poursuivaient.
Aujourd’hui, le SMBMA, collectivité ayant la compétence Gemapi (Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations), se tourne vers des solutions plus durables axées sur un fonctionnement naturel du cours d’eau.
Ainsi, le SMBMA a lancé en 2020 une étude visant notamment à réduire les assecs de la Suize. Deux sites différents, ayant subi des altérations, ont été étudiés. Le site amont concerne une grande partie de la forêt communale de Voisines et de Courcelles-en-Montagne.
Sur ce site, le cours d’eau a été rectifié et recalibré dans les années 50 afin de drainer les parcelles sur lesquelles ont été plantés des résineux. Ces travaux ont entraîné une forte altération des propriétés de la zone humide, à savoir une double perte de capacités : celle de rétention de l’eau en hiver et celle de restitution de l’eau en été.
Afin de retrouver ces fonctions, le projet prévoit donc un reméandrage ainsi qu’une réhausse du fond du lit.
Concernant la partie aval, le lit de la Suize ainsi que celui de son affluent, le ruisseau de la Prêle, ont été déviés afin d’alimenter un moulin qui aujourd’hui n’est plus fonctionnel. Ainsi, les ruisseaux ne se trouvent plus en fond de vallée et leur fonctionnement naturel s’en trouve altéré. La réalisation de ces projets est fastidieuse : « Les usages des différents propriétaires doivent être respectés et leurs accords pour les travaux est indispensable ».
Ces solutions respectant le fonctionnement naturel du cours d’eau ne permettent pas uniquement de lutter contre les assecs : « Ces actions permettent d’améliorer l’état écologique des cours d’eau et de son milieu environnant et ils limitent les inondations ».
A l’instar des travaux réalisés sur le Val Dardé à Foulain, le SMBMA a déjà réalisé plusieurs renaturations de cours d’eau qui ont limité les phénomènes d’assec.
De nombreux sites sur la Suize nécessiteraient une renaturation. Ces travaux bénéficient de l’appui et de l’aide financière de l’Agence de l’eau Seine-Normandie mais les points de blocage restent le plus souvent l’acceptation des projets par le ou les propriétaires : « En responsabilité, il est primordial que chaque propriétaire s’approprie ces projets d’intérêt général. La résilience des cours d’eau face aux assecs ne se fera pas sans travaux ».
Comme l’a affirmé l’hydrologue Emma Haziza, aux assises de l’eau à Nogent du 28 mars, la meilleure zone pour stocker l’eau se situe en terre, dans les nappes phréatiques et la restauration des zones humides est indispensable au cycle de l’eau.