Entretien avec les soeurs Labèque : de Satie à Radiohead
Même chevelure de jais, même sourire écarlate et silhouette fine tout de noir vêtue : le duo le plus célèbre du piano, les soeurs Labèque, est à Paris pour une série de concerts exceptionnels à la Cité de la musique du 18 au 20 février.
D’Erik Satie à Radiohead en passant par John Cage et Philip Glass, le programme décoiffe, à l’image du duo, longues mains fines de pianistes classiques et bottes de motard.
A 60 ans et 62 ans, dont 40 ans de carrière, Marielle et Katia assument tranquillement un répertoire aussi éclectique que leurs amitiés, au nombre desquelles la chanteuse Madonna.
«Elle voit tout sur scène, s’il y a un fil qui dépasse, elle le voit ! On se rejoint sur ce perfectionnisme, et on a envie comme elle de créer nos projets», relève Katia. «On aurait pu se contenter de jouer toute notre vie Mozart et Schubert qui nous enchantent, ou Bach, mais on veut continuer à avoir une part de créativité», souligne-t-elle.
Et de déplorer que les Victoires de la musique classique diffusées le 25 février sur France 3 leur aient demandé de jouer leur «tube» de 1980, la «Rhapsodie in Blue» de Gershwin pour deux pianos, comme si elles n’avaient rien fait depuis. «On a proposé d’autres choses, mais c’était ça ou rien, alors ce sera rien», tranche Marielle.
Pour l’heure, une autre aventure les captive. «Au départ, c’est un formidable critique du Times, Igor Toronyi-Lalic, qui nous a proposé de faire une série de concerts sur les 50 ans du mouvement minimaliste, à King’s Place à Londres», raconte Marielle.
Minimalisme : le mot «fait un peu peur», reconnaît Katia, «alors que cela veut simplement dire revenir à l’essentiel de la musique».
Et d’expliquer que le mouvement est parti des Etats-Unis dans les années 60 en réaction avec la musique «très intellectuelle, très difficile» des grands compositeurs contemporains. Les minimalistes veulent faire une musique «claire, honnête, basée sur le rythme», souligne Katia.
Radiohead et Suicide
Au début des années 60, Yoko Ono ouvre son loft à New York pour des «chamber music concerts», où se retrouvent John Cage, Steve Reich, etc. Le mouvement va essaimer pendant les décennies qui suivent, inspirant de nombreux groupes de rock et la musique électronique.
C’est cette diversité qu’ont voulu explorer les soeurs Labèque, en véritables «Yoko Ono des années 2000», invitant dans leur propre loft à Rome, un studio de 400 m2, les musiciens d’aujourd’hui.
Le résultat est saisissant : sur les trois CD à la pochette d’un blanc très «minimal», les «Quatre mouvements pour deux piano» de Philip Glass voisinent avec Brian Eno, Aphex Twin, Radiohead et Suicide. «C’est une partie que j’ai développée avec mes musiciens, une partie plus rock, où Marielle ne va pas», explique Katia.
«Katia, elle fonce ! Elle prend des risques tout le temps », sourit Marielle. C’est Katia qui a dirigé les travaux colossaux du studio, dont l’album est le premier bébé. «C’est un outil de travail extraordinaire, une vraie liberté, s’émerveille Marielle, parfois on venait après un concert, on enregistrait de minuit à quatre heures du matin !»
Les soeurs nées à Bayonne sont italiennes par leur mère, la pianiste Ada Cecchi, élève de Marguerite Long. S’installer à Florence, puis Rome, après huit ans à Londres, était donc tout naturel. «On est parties à partir de 1985, et depuis, on a beaucoup plus joué à l’étranger», constate Katia.
2013 marque un vrai retour français : «On joue dans les trois salles importantes de Paris : la Cité de la musique, le Théâtre des Champs-Elysées en mai, et en septembre à Pleyel avec Georges Prêtre, qu’on adore, et qui était le chef préféré de la Callas».
«Le public est très fidèle, c’est comme si on était jamais parties !», dit Katia.