En poissonnerie comme ailleurs, la rareté fait le prix
Le seul poissonnier de Chaumont s’évertue à trouver des astuces pour ne pas relever les prix dans son commerce. Il se refuse même de vendre des produits comme le saumon lorsque son prix s’envole. Il trouve des alternatives et puise sur ses marges.
Le prix des produits alimentaires est actuellement en forte hausse du fait, essentiellement, de la hausse des charges, des problèmes d’approvisionnement, de pénuries créées de toutes pièces et, accessoirement, d’un phénomène de spéculation.
Qu’en est-il dans le poisson ? La question a été posée à Bruno Sifferlen, le seul poissonnier sur la place de Chaumont avec sa boutique « Au Phare d’Ar-Men », juste en face des Halles. Pour lui, il est impossible d’effectuer un comparatif avec les deux précédentes années. Avec la Covid, en 2020 et en 2021, la filière était déstructurée avec une demande en dents de scie et des ruptures d’approvisionnements. Ces deux années ne reflètent en rien la réalité du marché.
Trouver des astuces
Pour 2022, Bruno Sifferlen constate une stabilité des prix de manière générale mais avec de grandes différences selon les produits. Il résume le tout en une phrase : « la rareté fait le prix ». Alors, l’homme tente de trouver des astuces pour ne pas « assassiner » ses clients. Il donne en exemple le saumon.
Avant l’été, il a choisi, volontairement, de ne plus en vendre dans sa boutique ou dans ses camions ambulants sachant que les prix avaient fortement augmenté. Le saumon d’Ecosse qu’il achetait était alors victime de spéculations à la suite du Brexit. Les prix étaient totalement décrochés de la réalité du marché et de la loi de l’offre et de la demande.
Le poissonnier chaumontais a donc préféré se détourner du saumon écossais mais également celui venu de Norvège. Il le dit : « dans les petites poissonneries, le respect du client est essentiel en attendant le retour à des prix corrects comme cela est désormais le cas ». Il trouve des astuces pour satisfaire les familles comme « des produits de remplacement de qualité égale ». Il évoque, notamment, des truites de Savoie transformées en filet ou pavés.
Travailler des produits de saison
Autre astuce pour modérer la hausse des prix : travailler des produits de saison. Bruno Sifferlen parle de l’aiglefin, du lieu noir ou du tacaud qui restent tous abordables. Sa force est de se faire livrer tous les matins des principaux ports de France. Il peut ainsi être réactif, s’adapter à la demande et profiter des meilleurs cours du jour.
Ces astuces permettent de compenser une situation globale qui, effectivement, fait monter les prix. Bruno Sifferlen pointe du doigt la hausse du coût des transports. En 2019, il fallait un euro pour un kilo de poisson transporté. Désormais, il faut compter de 1,30 € à 1,50 €. L’autre poste en hausse sont les caisses en polystyrène issues du pétrole et dont le prix augmente en même temps que les énergies.
Prendre sur les marges
D’après le poissonnier, ces augmentations n’ont pas réellement été ressenties par ses clients. Il a joué sur ses marges et notamment pour le surcoût en gasoil qu’il met dans ses camions pour parcourir les routes de Haute-Marne. Il résume : « si le prix de la lotte est haut, je prends sur ma marge pour rester accessible ».
Le poissonnier se dit, malgré tout, victime d’actions agressives de la part de centrales d’achat qui déstabilisent le marché. Il donne en exemple les coups marketing sur les dos de cabillaud. « Les centrales prennent tout, vident l’offre et les prix montent ». Il parle de spéculation déguisée. Il se rassure aussitôt : « la situation a tendance à s’améliorer. Les étals de poisson ont tendance à se réduire dans les grandes surfaces ou à changer de mode de vente. Les petites poissonneries sont de plus en plus attractives ».
Frédéric Thévenin
« Arrêter le massacre dans les océans »
En tant que poissonnier, Bruno Sifferlen souhaite la mise en place d’une pêche plus raisonnée. « Il faut arrêter la sortie des océans sur palette entière. Il faut arrêter le massacre ». Il en appelle à une bonne gestion des volumes sans que les clients ne soient en manque et en fonction de la demande. Ce qu’il appelle les coups sur une espèce l’effraie.
Le commerçant chaumontais donne aussitôt en exemple le cabillaud qui proliférait en masse auparavant et qui, du fait, d’une surpêche, s’est raréfié dans les océans et sur les étals. Et comme la rareté du produit fait le prix, il a vu son prix monter en flèche. De la même manière, il cite le grenadier et le sabre, des poissons extrafins, qui sont « en train de disparaître ».
Bruno Sifferlen se dit néanmoins rassuré par deux aspects. D’une part, il note l’excellence des produits d’élevage en France. « Ils sont contrôlés, respectueux des conditions d’élevage, sans antibiotique, sans pesticide. Les produits corses ou de Normandie sont de qualité. Je conseille le bar ou la daurade bio de Corse ».
D’autre part, il est heureux de voir que la nature reprend très vite ses droits. Par exemple, au large de Terre Neuve, les bancs de cabillauds sont revenus rapidement et, en Méditerranée, le thon rouge. « Il n’est jamais trop tard ». Par contre, Bruno Sifferlen est scandalisé par le manque de soutien de la filière française qui est en train de mourir au sein d’une Europe peu équitable.
Repas de fêtes
Pour les fêtes, Bruno Sifferlen signale des situations très différentes selon les crustacés. Le prix des crevettes s’est stabilisé alors que celui des bulots avait fortement augmenté. Pour les tourteaux et les crabes, la hausse est manifeste depuis deux ans du fait que « l’Asie paie en dollar sur nos côtes » et qu’elle apporte une forte concurrence. Pour les langoustes et homards, il n’y a, pour l’instant, aucune indication.
Par contre, le poissonnier incite les particuliers à acheter la lotte et les Saint-Jacques quinze jours avant les Fêtes. Elles peuvent se conserver sans problème dans le frigo et la technique permet de bénéficier de meilleurs prix.