Les éleveurs mettent la pression sur la grande distribution et sur leur laiterie Sodiaal
Ce 21 octobre, une soixantaine d’éleveurs de Haute-Marne et surtout des producteurs de lait de Sodiaal ont bloqué les accès de la grande surface de Saints-Geosmes puis ceux de la laiterie, à Peigney. Portés par la FDPL, ils dénoncent le non-respect de la loi Alimentaire et donc des prix trop bas qui ne permettent pas de couvrir les charges de production. Explications.
« La laiterie Sodiaal est actuellement le plus mauvais payeur de Haute-Marne. » Florent Cressot, le président de la FDPL, explique ainsi le blocage des accès de l’unité de production de Peigney pendant toute la journée. A titre personnel, il voulait même aller plus loin et mener une action à durée illimitée. D’ailleurs, il a désormais dans le collimateur Savencia, à Illoud.
Il traduit ainsi l’exaspération des producteurs de lait en général et, en particulier, ceux de Sodiaal. Durant les dix premiers mois de 2022, le prix moyen du transformateur est de 405 € les 1 000 l. Il est à 419 chez Lactalis, 423 chez Savencia et 419 chez Eurial. Là où les autres éleveurs progressent de plus de 23 % en un an, Sodiaal n’est qu’à 20 %.
AOP et Bio, le pire du pire pour les éleveurs
Ce décalage est encore plus grand avec l’AOP Brie de Meaux avec 422,30 € les 1 000 litres chez Sodiaal alors que Lactalis est à 455,65 €. Pour le quatrième trimestre, Lactalis promet 465 (et non pas 490 comme annoncé à grand de communication) et Savencia 463 alors que Sodiaal ne sera qu’à 424. Le tout dans un contexte de fortes augmentations des charges et, notamment, en matière d’alimentation après une énième sécheresse.
La situation est encore pire en lait bio qui est désormais payé par Sodiaal moins de 300 € les 1 000 litres soit moins chers que le lait conventionnel alors que les coûts de production sont plus élevés. Ce lait représente 10 % des éleveurs de Sodiaal. En plus, ils ont vu les exigences en matière de qualité augmenter sans que l’aval ne l’accepte.
Florent Cressot a bien conscience de l’impasse dans laquelle se trouve la laiterie. Depuis six mois, elle contourne la grille de fixation des prix qui fait référence. D’un côté, la coopérative est dans le rouge financièrement et de l’autre, alors qu’elle a les clients, elle manque de lait. Les producteurs s’en détournent et la défient. En même temps, comme entendu lors de la manifestation, « elle n’avait qu’à mieux s’occuper de ses éleveurs ». Autant dire que certains ne donnent pas cher de l’avenir de Sodiaal tout en sachant que Savencia, à Illoud, recherche du lait.
Guerre du lait
Florent Cressot est catastrophé par la guerre du lait qui a commencé durant laquelle les éleveurs sont arrachés d’une laiterie à l’autre. « A Peigney et à Montigny, il y a des centaines d’emplois à la clé. Ce sont des amis, nos familles, des connaissances mais si Sodiaal continue ainsi, ils perdront tous les producteurs. » Il poursuit : « La souveraineté alimentaire dont il est tellement question ne sera possible que si les éleveurs sont rémunérés correctement. » Son inquiétude est d’autant plus grande que l’élevage entre dans une phase de renouvellement des générations.
Quant aux deux lois Alimentaire qui indexaient le prix du lait aux charges dans les élevages, elles ne sont que partiellement appliquées. Bérangère Abba, ancienne ministre déléguée à la Biodiversité, le sait et en fait son combat. Elle ne mélange pas tous les distributeurs mais, « certains ne jouent pas le jeu. Ce n’est pas tenable et pas juste et il faut le faire savoir. Les consommateurs doivent être sensibilisés au fait que, sans ça, le maintien des agriculteurs sur le territoire est compromis. La souveraineté alimentaire aussi ». Or, en Haute-Marne et dans toute la France, le nombre de bovins chute inexorablement.
Frédéric Thévenin
f.thevenin@jhm.fr
Les accès à l’hypermarché de Saints-Geosmes bloqués
Durant deux heures, les agriculteurs ont bloqué les accès à l’hypermarché de Saints-Geosmes avec des tracteurs. Une action coup de poing pour dénoncer le refus de l’enseigne de passer le prix du lait à 1 €.
« Aujourd’hui, deux enseignes, Leclerc et Carrefour, ont refusé de passer symboliquement le prix du litre de lait liquide à 1 €. En dessous de ce prix, nous n’arrivons plus à couvrir nos charges et nous savons que nos industriels n’arrivent pas à passer les hausses qui doivent l’être. Nous avons donc voulu montrer à M. Leclerc ce que c’est que de travailler à perte. Nous, cela fait des mois, voire des années, que nous le subissons. Nous arrivons à payer nos charges mais pas à se sortir un salaire. Un éleveur laitier, c’est 70 à 80 heures par semaine. Si nous nous mettions au smic, cela nous ferait 2 400 € et on n’est loin du compte dans la réalité », explique Florent Cressot, président de la Fédération départementale des producteurs de lait de Haute-Marne (FDPL 52).
Une manifestation qui a trouvé le soutien de Bérangère Abba, ancienne secrétaire d’État chargée de la Biodiversité auprès de la ministre de la Transition écologique, et Jean-Luc Vauthier, patron de Vauthier-Sépac, fournisseur d’aliment pour animaux. « Je ne suis pas producteur de lait, mais je vis grâce à ce monde agricole. L’agriculture fait vivre énormément d’activités dans nos départements ruraux et représente près de 7 000 emplois en dehors des exploitations. Si, demain, le paysan disparaît les 7 000 emplois et moi qui en dépendent, nous disparaîtrons aussi. C’est un secteur vital en Haute-Marne. Il était donc normal d’exprimer ma solidarité à leur égard. Il est indispensable que le monde agricole puisse vivre de ses productions et pas seulement de primes ou d’un os qu’on lui donne à ronger », estime Jean-Luc Vauthier.
« Pris en otage ! »
D’où ce blocage “0 client pendant 2 heures”, mené par la FDPL 52 et les Jeunes agriculteurs de Haute-Marne (JA 52). Un blocage plus ou moins bien pris par les clients. Bernadette trouve normal que les agriculteurs défendent leur avenir : « On a déjà des pénuries de moutarde, de farine, d’huile, demain ce sera peut-être le lait. La vie est trop chère. Il faut bien défendre son pouvoir d’achat. Ils ont donc raison de se défendre. »
Même ordre d’idée pour Michel qui sort justement avec un litre de lait. « J’essaie toujours de prendre une marque qui défend les producteurs de lait. Je suis très sensible à leur situation et je trouve normal qu’ils se défendent. »
Mais Pierre, lui, est un peu excédé : « Déjà les carburants, maintenant ça ! C’est toujours le citoyen qui est pris en otage ! Il y a d’autres solutions pour se défendre sans que cela ne nous pénalise ! » Florent Cressot dit comprendre parfaitement cette exaspération : « Leur pouvoir d’achat est tout aussi diminué. Mais aujourd’hui, il y a des priorités et on voit bien que ce n’est plus l’opulence. L’alimentation est une priorité. »
Patricia Charmelot
p.charmelot@jhm.fr
Ils soutiennent les revendications des éleveurs
Olivier Leseur était parmi les manifestants « en soutien aux éleveurs ». Il ne l’est plus, lui-même, depuis deux ans. Faute de main-d’œuvre et donc de salarié à embaucher, il ne produit plus les 800 000 litres de lait qu’il livrait à Lactalis.
Il explique très simplement sa présence à Saints-Geosmes puis à Peigney, aux côtés des éleveurs : « Je suis solidaire sachant très bien ce que c’est. » Il évoque le travail permanent, la traite 7 jours sur 7 et les difficultés de manier du vivant. Tout ça pour, comme il le dit, « des revenus dérisoires. Les éleveurs courent après les charges qui ne cessent d’augmenter et, même si le prix du lait augmente, à la fin, il en reste moins qu’avant ».
Deux ans après sa cessation laitière, il explique qu’arrêter, « c’est comme se couper un bras ». Psychologiquement, « c’est très dur ». Raison de plus pour soutenir encore la filière laitière.
A côté de lui, Philippe Barbier, éleveur à Ravennefontaines, signale l’importance de mettre tous les protagonistes de la filière autour d’une table et que « chacun commence par se respecter ». Pour lui, la filière lait manque de solidarité et dès qu’un maillon saute, elle dysfonctionne. Ainsi, les éleveurs baissent les bras les uns après les autres.
A 28 ans, Simon Micault s’est installé, en mars, au sein du Gaec familial à Euffigneix et il se pose déjà de nombreuses questions. Il produit 450 000 litres de lait en plus de céréales sur 150 ha et 40 vaches allaitantes.
Il explique qu’à son installation, « il y avait une certaine visibilité » mais, depuis, avec la hausse des charges et le prix du lait qui n’est pas à la hauteur, il va vers l’inconnue. Il parle de la hausse du prix du gasoil, des concentrés pour l’alimentation, du matériel… Inévitablement, il entre dans « une réflexion sur l’avenir ». Son constat est très clair : « Grâce à mon père, pour l’instant, c’est bon en main-d’œuvre. Mais, il partira à la retraite dans deux ans et il se posera la question soit d’arrêter le lait, soit d’installer un robot de traite. » D’ailleurs, le projet d’installer un robot de traite existait déjà et il vient d’être stoppé du fait des doutes sur l’avenir et d’un lait payé 410 € les 1 000 l par Sodiaal donc bien insuffisant pour tous projets.
Simon Micault fait enfin remarquer que durant son parcours à l’installation, il était le seul à vouloir produire du lait. Actuellement, sur neuf installations, une seule se fait dans le lait.