Elections américaines : l’avis d’une Chaumontaise en Oklahoma
Françoise Sullivan, chaumontaise d’origine mais professeur de Français en Oklahoma depuis 25 ans, partage ses impressions sur les élections présidentielles et ces quatre dernières années, « très difficiles à vivre ». Rencontre.
« Après la douche froide en 2016 quand H. Clinton, qui était donnée gagnante dans tous les sondages, a été battue, il est difficile de vivre cette période calmement. La période pré-élections a été très anxiogène pour moi. » Françoise Sullivan, est Chaumontaise. Mais, depuis 1995, elle vit aux États-Unis et y travaille comme professeur de français à Tulsa Community College, en Oklahoma.
Françoise n’en oublie pas pour autant ses racines puisqu’elle revient régulièrement et, tous les ans, elle fait même venir ses étudiants à Chaumont pour leur faire découvrir la culture française. La pandémie en aura décidé autrement cette année, mais ce n’est que partie remise.
D’un naturel jovial, elle tente de garder le sourire, même pendant cette période doublement compliquée. En effet, aux Etats-Unis, se jouent en ce moment même les quatre prochaines années. Mardi, des dizaines de millions d’Américains se sont rendus aux urnes, pour choisir qui de Donald Trump, le président sortant, ou de Joe Biden, son opposant démocrate, ira à la Maison Blanche.
« En 25 ans de carrière, c’est la première fois que notre université ferme et annule tous les cours de manière à ce que tous les étudiants, professeurs et employés puissent aller voter. C’est dire l’enjeu de ces élections ! »
Il y a quatre ans, la simple idée que Donald Trump puisse être élu la « terrifiait ». A l’époque, elle le voyait comme « un homme dangereux, avide de pouvoir, qui se moque bien du bien-être de ses concitoyens ». Rien n’a changé. « Ces quatre dernières années ont été très difficiles à vivre. Je trouve que la population est encore plus divisée qu’en 2016. Il faut dire que Trump encourage ces divisions. Diviser pour mieux régner ? Je pense que beaucoup d’Américains sont épuisés mentalement. »
« S’il est réélu, ça n’ira qu’en empirant ! »
La situation sanitaire n’a pas arrangé les choses. « La pandémie qui ne fait qu’accélérer a été politisée et a créé des tensions entre ceux qui sont pour le port du masque, et ceux qui trouvent que c’est une atteinte à leur liberté. Économiquement, je ne suis pas sûre qu’on soit beaucoup mieux lotis qu’en 2016… évidemment l’épidémie est passée par là. Trump parle beaucoup de la bourse qui se porte bien mais, bien des gens n’ont pas de stocks en bourse, et de plus en plus de gens ont du mal à joindre les deux bouts. » Selon Françoise, il était « impératif » que les démocrates reprennent la majorité au Sénat. Malheureusement… « Je crois qu’on est à un moment où il faut sauver la démocratie. Les sénateurs républicains ont permis à Trump toutes ses dérives autoritaires et, s’il est réélu, ça n’ira qu’en empirant. Les résultats sont très décevants. Non seulement, les démocrates n’ont pas repris le Sénat mais, ils ont perdu des sièges au congrès ! Tout cela ne présage rien de bon. »
En restant républicain, le Sénat pourra bloquer les réformes que les démocrates essaieront d’entreprendre, « comme il l’a fait quand Obama était président. » Si Donald Trump passe, Françoise craint beaucoup pour son pays d’adoption et l’avenir de ses habitants. « Au niveau environnemental, c’est une vraie catastrophe. Le président a détricoté beaucoup de lois qui protégeaient l’environnement surtout pour aider les compagnies pétrolières. S’il est réélu, je crains pour l’environnement, le système de santé, l’avenir de mes enfants et pour les droits des femmes, ainsi que ceux de la communauté LGBTQ. »
Comme l’ensemble de ses compatriotes, Françoise suit les résultats avec une certaine impatience mais aussi beaucoup d’inquiétude. Ils sont de plus en plus serrés, et elle, de moins en moins optimiste. Son cœur se serre à chaque fois qu’un état change de couleur. Au fil des heures, la carte des États-Unis se partage entre le rouge républicain et le bleu démocrate.
« Je suis triste pour les jeunes qui ont bien du mal à se reconnaître dans les deux candidats septuagénaires mais je suis sûre que Trump perdra le vote populaire, comme en 2016. Mais, le collège électoral risque d’être serré. Il suffit d’une poignée de votes, dans une poignée d’états pour faire pencher la balance. Lasse des mensonges incessants du président, je voudrais simplement retrouver un peu de normalité et de quiétude ! »
« Il ne faut pas regarder la politique américaine avec nos yeux de Français ou d’Européens. Il n’y a pas le clivage gauche/droite que l’on connaît. Quand le pays a été créé, après la colonisation, il ne voulait plus avoir un chef absolu avec tous les pouvoirs. Ils n’ont pas le suffrage universel mais de grands électeurs. Des paliers de précaution qui sont aussi sources de complexité. C’est un État fédéral constitué de 50 états. Les taxes, l’école, les routes, la police, etc., c’est l’État. Tout ça fait que les Américains s’en méfient beaucoup. » Comme le souligne Henry Luppi, Chaumontais intimement lié avec les États-Unis depuis 50 ans, « il faut le voir, et le vivre, pour comprendre. » Profitant du statut de première puissance économique, militaire, stratégique et autres de son pays, « le président est un peu le maître du monde ! Ainsi, il a eu la possibilité de mener des choses très dangereuses en interne, comme à l’extérieur, et je pense qu’il a déçu beaucoup de Républicains. Mais, tout comme les Français, les Américains sont très pragmatiques. » D’autant plus en cette période.