« Quatrième rue à droite après l’église »… c’est où ? La loi s’en mêle
Sapeurs-pompiers, livreurs, installateurs de la fibre, ils interviennent en zone rurale sans que leurs GPS répertorient toujours leurs lieux de destination. La loi 3DS prévoit donc, pour les communes de moins de 2 000 habitants, de normaliser leur adressage.
« Pour vivre heureux, vivons cachés ». Oui, mais, à l’heure où les GPS ont remisé les cartes géographiques au grenier, il faut utiliser leur langue. « 2 rue du lavoir », le GPS comprend ; « deuxième rue à droite après le virage dans la côte du Petit bois », il est incapable de traduire. Total : virtuellement, l’habitation n’existe pas. Quand on est sapeur-pompier, livreur à l’heure de la forte progression des commandes en ligne sous l’effet des confinements, le législateur a considéré qu’une aventure d’explorateur pouvait commencer.
Le déploiement de la fibre a pesé, et la loi 3DS (comme différenciation, déconcentration, décentralisation et simplification -votée le 8 février) prévoit que les communes de moins de 2 000 habitants procèdent à un adressage. A la charge de celles-ci -en s’adjoignant l’aide rémunérée de La Poste ou de concurrents. Un travail de quelques mois… ou de deux ans.
S’agit-il de céder à une standardisation ou bien peut-on y échapper, en marquant les noms de ses voies du sceau de son identité ? Si peu de maires ont connaissance de cette récente obligation, d’autres l’ont anticipée… il y a 20 ans.
Cette évolution est en tout cas l’occasion de pointer qu’avec les fusions de communes, les noms de celles qui sont associées ont disparu. A Val-de-Meuse, vous êtes prié d’habiter… Val-de-Meuse, et ni Lécourt ou Ravennefontaines. Dans ces communes agrégées, il y a aussi plusieurs « rue de l’Eglise » ou « Grand rue ». Réactions de maires concernés.
« Interprétation citadine » ?
Les secours pourraient échouer à trouver ? Le motif paraît biaisé au président de l’association départementale des maires ruraux de France Éric Krezel. « Avant la ré-organisation territoriale des sapeurs-pompiers, dans tout village, on savait situer les incendies ». Côté sécurité, le nouvel impératif servirait à rattraper les effets de la départementalisation des secours. En tout cas, Éric Krezel pointe qu’en Haute-Marne, il y a du boulot. « Moins de 20 de nos 425 communes dépassent les 2 000 habitants… ». En revanche, il convient que l’adressage est un sujet. Ainsi, dans les communes nouvelles, « les communes associées n’existent pas ». Le signe fâcheux d’une « interprétation citadine » de la vie à la campagne. Au demeurant banal. « Après avoir nettement dépassé le panneau du village, le livreur croit qu’il a loupé son point de livraison ».
« Chez nous, des noms d’oiseaux ou de fleurs, ça n’a ni queue ni tête »
« À Bourg, on a initié cet adressage il y a 20 ans ». A l’époque, « on habitait tous Grande Rue ou Bourg-les-Langres ». Le premier magistrat Dominique Thiebaud reçoit souvent le courrier de ses administrés. Ici, l’opération est bien vécue. « Nommer, ça renforce l’identité du village ». Chaque nom de rue fera écho à son histoire, de la rue du Général Patton -qui a vécu ici- à la rue de la Caillette -du nom du ruisseau local. Une commission, à laquelle les habitants pouvaient siéger, a brassé les idées. « On a éludé la série des oiseaux ou des fleurs ; chez nous, ça n’a ni queue ni tête ». Précurseur, Bourg… oui, mais « nous n’étions pas les seuls ». Et La Poste poussait déjà à la roue. À Bourg, l’adressage a surtout coûté des heures de travail pour réfléchir, puis pour « creuser le dimanche » les trous pour planter les panneaux, apposer les plaques.
« Des livreurs stressés vont rouler plus vite »
Commune nouvelle, Val-de-Meuse réunit neuf communes. « En 2018 ou 2019, on a eu des difficultés avec La Poste ». Qui se rapproche du maire Romary Didier pour l’encourager à procéder à cet adressage. « Il y a en effet plusieurs rues de l’Eglise chez nous ». La Poste propose ses services. « Mais ce n’était pas gratuit… ». Rien n’est conclu. Aujourd’hui, le maire juge l’obligation « pas mauvaise… mais c’est une dépense supplémentaire pour la commune ». Reste que « la géolocalisation GPS est importante : même si les secours se trompent une seule fois, c’est une de trop ». Ensuite, des livreurs égarés sont des livreurs stressés, qui « vont rouler plus vite ». Ici, les adresses ont déjà fait tiquer. C’était du temps du bottin papier (avant fin 2019). « Des habitants m’avaient signalé qu’ils étaient situés à Récourt ou à Lécourt, alors qu’ils habitaient Montigny, il y avait des erreurs. Pareillement, des entreprises avaient des soucis dans la zone du Forum ».
La loi n’est pas d’application immédiate : il faut encore passer un décret en Conseil d’Etat sur les modalités d’application. Il doit être pris en CE dans les 6 mois suivant la promulgation de la loi. Or, à ce jour, la loi 3DS n’a pas encore été promulguée.
Fabienne Ausserre
f.ausserre@jhm.fr
« Les sapeurs-pompiers s’y retrouvent toujours »
« Oui, il arrive que nous tournions un peu ». Parce que les sapeurs-pompiers utilisent les données des fournisseurs de GPS. Reste que, dans ces rares cas, le chef du centre de secours de Langres Benoît Kipper fait état de parades très efficaces au quotidien. Aux secours déjà en route, l’opérateur du CTA CODIS apportera les précisions manquantes. Mais l’ « astuce » courante, c’est « la connaissance secteur » des sapeurs-pompiers qui les fait « arriver à se retrouver ». Oui, la nostalgie des sapeurs-pompiers communaux (la départementalisation date de 1996) a la vie dure. Même si dans la réalité, ils ont bien toujours « une connaissance relativement fine » du territoire. Et, dans les faits, en amont, « l’opérateur du 18 emmène directement au bon endroit ou le plus près possible ». Mais, non, ici, il n’est jamais arrivé à ses hommes « de ne pas trouver ». S’ils peuvent en effet engranger du retard sur des secteurs boisés, ils « s’y retrouvent toujours ».