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De la guerre de Crimée naît la météorologie moderne

La tempête du 13 novembre 1854 entraîne la perte du vaisseau amiral français Henri-IV (Histoire de la météorologie d’Alfred Fierro).

Au milieu du XIXe siècle, les puissances occidentales s’inquiètent des tentatives d’expansion de l’Empire russe sur l’Europe de l’Est et le Moyen-Orient. Ce contexte géopolitique entraîne la meurtrière et inutile guerre de Crimée aux conséquences inattendues.

Philosophe et polymathe grec de l’Antiquité, Aristote (384-322 avant J.C.) rédige le traité des Météorologiques vers 334 avant J.C., ouvrage en quatre tomes qui fait référence en la matière jusqu’à l’ère des Lumières. A propos de la météorologie, l’empereur Napoléon Ier refuse de soutenir les idées novatrices du chevalier de Lamarck (1744-1829), publiées dans son annuaire météorologique périodique : « C’est votre absurde météorologie… Cet annuaire qui déshonore vos vieux jours ! » En ce domaine, Napoléon III se montre plus pragmatique.

La guerre de Crimée

Une crise éclate en 1852 entre les Empires français et russe avec pour prétexte la garde des lieux saints de Bethléem et Jérusalem, la Palestine étant une province de l’Empire turc ottoman. Le sultan de Constantinople, Abdülmecid Ier, favorise les catholiques au détriment des orthodoxes à la suite de menaces de Napoléon III. Celui-ci est poussé par son épouse espagnole, l’impératrice Eugénie de Montijo, à faire la guerre.

L’impératrice Eugénie de Montijo pousse Napoléon III à déclencher une guerre pour protéger les intérêts de l’Eglise catholique en Palestine (peinture d’Edouard Dubufe, musée de Compiègne).

Cette querelle débouche sur un conflit européen : en juillet 1853, la Russie du tsar Nicolas Ier occupe les principautés danubiennes de Moldavie et Valachie, vassales du sultan. Les Français et les Britanniques positionnent une flotte à l’entrée du détroit des Dardanelles tandis que la Turquie déclare la guerre à la Russie le 4 octobre 1853. A la suite de la destruction par les Russes de la flotte turque, le 30 novembre en rade de Sinop, une invincible armada franco-britannique investit la mer Noire en janvier 1854.

Ayant échoué à rallier l’Empire d’Autriche à leur cause, les Franco-Britanniques déclarent la guerre à la Russie le 27 mars. Durant deux ans, les opérations se concentrent sur la presqu’île de Crimée, en Ukraine, tandis que le royaume de Piémont-Sardaigne (qui comprend la Savoie) rejoint la coalition en janvier 1855. Tout d’abord, les Alliés débarquent à Eupatoria le 14 septembre 1854, avec pour objectif la puissante forteresse de Sébastopol, arsenal des Russes. Les Occidentaux obtiennent une première victoire sur les bords du petit fleuve Alma, le 20 septembre, grâce aux zouaves français. Le maréchal de Saint-Arnaud, qui dirige la bataille, meurt peu après du choléra. Quant au lieutenant-colonel russe Totleben, spécialiste du génie, il renforce les fortifications de Sébastopol et coule ses navires dans la rade après avoir récupéré leurs canons.

Le 5 novembre 1854, les Russes attaquent les Alliés sur le plateau d’Inkerman (peinture de Victor Adam, musée de l’Armée, Paris).

Durant onze mois, les Alliés encerclent la forteresse dans une interminable guerre de tranchées ; ils repoussent des attaques russes à deux reprises. Le 25 octobre, le sacrifice de la brigade de cavalerie légère de lord Cardigan, contre les cosaques, permet de contrer l’adversaire à Balaklava. Les Français l’emportent difficilement le 5 novembre, au cours de la sanglante bataille d’Inkerman, grâce à la contre-attaque des zouaves du général Bosquet. Dans la nuit du 13 au 14 novembre, une violente tempête anéantit la flotte franco-britannique qui mouille devant Sébastopol : 38 navires et 400 marins sont perdus ! Deux vaisseaux de premier ordre coulent : le vapeur britannique Prince, transportant 7 000 tonnes de médicaments, bottes et vêtements d’hiver, ainsi que le Henri IV, fleuron de la flotte française armé de 100 canons.

Le 25 octobre 1854, la charge de la brigade légère, à Balaklava contre les cosaques, tourne au massacre sous le feu des canons russes (peinture de René de Moraine, musée royal de l’Armée, Bruxelles).

Mal équipé, le corps expéditionnaire subit un hiver rigoureux ponctué d’épidémies de typhus et choléra. Grâce à des renforts, les Français enlèvent la redoute du Mamelon vert le 7 juin 1855, puis les Russes sont écrasés le 16 août au pont de Traktir, sur la rivière Tchernaïa, par les Piémontais et les Français. Le général de Mac Mahon s’empare de la tour de Malakoff le 8 septembre, tandis que les Russes évacuent Sébastopol le 10 : la guerre de Crimée s’achève. Pour la première fois dans l’histoire, ce conflit a été couvert par des photographes et des journalistes transmettant leurs dépêches à l’aide du télégraphe électrique Morse.

La prise de Sébastopol est effective le 10 septembre 1855 après 350 jours de siège (Lithographie, musée de l’Armée, Paris).

Le traité de Paris

L’intervention du royaume de Prusse et de l’Empire d’Autriche décide le nouveau tzar Alexandre II à négocier, ceci lors de l’ouverture du congrès de Paris le 26 février 1856. Signé le 30 mars, le traité de paix accorde leurs autonomies aux principautés danubiennes, préserve l’intégrité de l’Empire ottoman, tandis que les chrétiens de Turquie obtiennent l’égalité des droits avec les musulmans.

Enfin, la mer Noire est neutralisée et interdite aux flottes de guerre russe et turque. L’influence française resplendit pour la première fois depuis 1815, tandis que le prestige du royaume de Piémont-Sardaigne favorise la prochaine unification italienne. Le bilan humain de cette tragédie, très lourd chez les Russes, se solde par environ 750 000 tués dont 100 000 français, la plupart morts de froid ou de maladie. Les vainqueurs rapportent une mode turque qui fera fureur en Occident : la cigarette.

Naissance de la météorologie moderne

A la suite de cette fâcheuse campagne, les anciens Alliés se rejettent la responsabilité des erreurs commises. Napoléon III, qui accepte mal le désastre naval du 13 novembre 1854, s’est aussitôt adressé au mathématicien et astronome français Urbain Le Verrier (1811-1877) afin de prévoir les tempêtes et protéger la marine.

L’astronome et mathématicien Urbain Le Verrier (1811-1877), inventeur de la planète Neptune, devient le père de la météorologie moderne en 1855 (Histoire de la météorologie d’Alfred Fierro).

Natif de Saint-Lô, ce savant bénéficie d’une renommée mondiale pour avoir découvert la planète Neptune par déduction mathématique en 1846 ; après coup, sa trouvaille a été confirmée par un observatoire astronomique allemand. Suite à l’enquête du gouvernement, on découvre des traces du passage de la dépression atmosphérique à l’origine de la tempête, en Europe centrale et dans les Balkans. Il est alors possible de reconstituer sa trajectoire pour les trois jours précédant le désastre. On en conclut que ce phénomène aurait pu être prévu suffisamment tôt pour que la flotte de la mer Noire s’abrite.

Chargé du dossier, Le Verrier présente un projet de réseau de stations d’observations et de prévisions météo communiquant par télégraphe. Ceci est approuvé par l’empereur le 17 février 1855. Plus d’une fois, la Société météorologique de France s’était préoccupée de faire placer les télégraphes à son service. Pour l’obtention de cette facilité, et malgré le soutien financier du maréchal Vaillant qui dispose des subsides nécessaires, Le Verrier connaît les pires difficultés. Il en tire cette maxime : « Il y a des gens qui font et laissent faire, il y en a d’autres qui ne font pas, mais laissent faire ; la pire espèce, ce sont ceux qui ne font pas et ne veulent pas qu’on fasse ! ». Dans les années qui suivent, le premier réseau météorologique mis en place par la France s’étend progressivement au monde entier.

Les soubresauts de l’histoire font que la vieille guerre de Crimée, aujourd’hui oubliée, présente des similitudes avec le conflit contemporain d’Ukraine. Quant à la météorologie, destinée à l’origine à prévenir des tempêtes, elle nous alerte désormais du réchauffement climatique. Selon le géophysicien André Lebeau (1932-2013), « il n’est pas un météorologiste digne de ce nom qui ne sache que sa discipline plonge ses racines dans les profondeurs de l’histoire ».

De notre correspondant Patrick Quercy

Sources principales : Histoire de France (Encyclopédie Larousse 1985) et Histoire de la météorologie d’Alfred Fierro (Denoël 1991).

Traité de météorologie publié en 1843 dans la collection Ville de Paris : les principes de base de la météo sont vulgarisés bien avant la guerre de Crimée (photo Patrick Quercy).

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