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De la complexité de juger

Formés à ce délicat exercice, encadrés par différents Codes, des êtres humains, par définition faillibles, peu nombreux, débordés, raillés pour leur laxisme, leur corporatisme, des femmes et des hommes sont amenés à juger, à appliquer des lois votées par des representants du peuple, à condamner ou relaxer.

Que s’est-il passé, à Neuilly-l’Evêque, le 21 août 2021 ? Un homme a-t-il violenté un enfant de 15 mois ? La mère de la victime a-t-elle sciemment omis de dénoncer de mauvais traitements ? Réfutant la moindre violence, la moindre maladresse, homme et femme sont-ils ancrés dans le déni, solidaires, machiavéliques ou tout simplement sincères ? Bref, sont-ils coupables ou innocents ?

Cinq heures de débats

Les débats débutèrent à 14 h 15. En novembre 2021, suspectant des violences commises à l’encontre d’un de ses fils, un père de famille déposait plainte contre X. Les motivations de la plainte renvoyaient à des suspicions de maltraitance émises le lundi 23 août 2021. Agé de 15 mois, l’enfant est confié par sa mère à une nourrice. Cette assistante maternelle s’inquiète de la présence d’une ecchymose sur la joue gauche du bambin. Les traces sur le visage de l’enfant font furieusement penser à la forme d’une main, à une gifle. La mère de l’enfant livrera une explication. « Le 22 août au matin, j’ai constaté une trace sur sa joue, j’ai pensé que Louis* s’était blessé avec les barreaux de son lit, j’ai commandé un nouveau tour de lit, la trace s’est estompée, nous avons été à la fête foraine, comme prévu. » Morgane D assure avoir pensé à se rendre aux Urgences. Elle le fera le lundi 23 août. Un médecin émettra un signalement tout en notifiant, hors ecchymose à la joue, « le bon état général de l’enfant ».

Nouvelles suspicions de maltraitances le 16 novembre 2021. L’assistante maternelle remarque des « marques rectilignes » sur le visage et une fesse de Louis. Un simple accident aux dires de la mère de l’enfant. « Avec un jouet. » Plainte sera déposée par le père de Louis, séparé de son épouse. En couple, cette dernière assure la garde des enfants.

“Rora tape Louis”

De premiers éléments à charge sont exploités par les enquêteurs. Le frère aîné de Louis a eu des mots équivoques. « Roro tape Louis et maman ». Autre élément : des photographies des ecchymoses relevées sur l’enfant sont adressées à un expert en médecine légale. Les marques identifiées sur le visage de l’enfant le 23 août 2021 ne peuvent correspondre à un choc avec les barreaux du lit. Le médecin fait état de « traces évocatrices de violences ». Cet expert semble en outre écarter une « cyanose congénitale », connue sous le nom de « maladie bleue », une explication un temps évoquée par la mère de l’enfant. Une femme sous l’emprise de son compagnon ? Un homme « impulsif », condamné et incarcéré à de multiples reprises pour des faits de violence, heureux de goûter à une vie normale suite à sa sortie de détention en 2019. Morgane D aura répété ne jamais avoir subi la moindre violence de la part de son compagnon, ne jamais avoir suspecté la moindre maltraitance de monsieur à l’encontre de ses fils. Des SMS rajoutent au doute quant à la sincérité des prévenus. Volontiers odieux dans ses échanges, R. aura exprimé redouter d’être mis en cause. “ On dirait qu’il s’est fait tabasser. (…) A l’hôpital, ce sont des fils de putes ”. « Oui, j’avais peur qu’on pense à des coups ! » Le prévenu, se présentant en « coupable idéal », n’en est pas moins affirmatif. « Oui, j’ai pu être violent par le passé, oui, j’ai passé cinq ans en prison, mais je n’ai jamais été violent avec des enfants ! »

Vérité judiciaire

Les coprévenus sont séparés. Homme et femme adoptent une ligne de défense similaire. On pourrait deviner une forme de complicité. Une question brûle les lèvres. Le juge Launoy la posa. Des retrouvailles sont-elles envisagées à l’avenir ? Morgane D finit par se montrer plus précise. « André, c’est le moindre de mes soucis. » Ses enfants ont été placés avant d’être accueillis chez leur père. Les visites sont rares. « Les questions que vous vous posez, je me les pose aussi, en attendant, mes enfants ont une miette de maman de temps en temps. »

A 17 h, blessé suite à un récent accident de la route, R. était contraint de rejoindre le Centre hospitalier. A 18 h 55, présidente et assesseurs se retiraient pour délibérer. Décisions ? Relaxe pour les deux prévenus concernant les accusations relatives aux blessures constatées à la mi-novembre 2021. Les deux prévenus furent respectivement déclarés coupables des délits de violence aggravée et de non dénonciation de maltraitance suite aux blessures constatées en août 2021. Peines ? Dix-huit mois de prison ferme pour R.. Huit mois de prison avec sursis pour Morgane D.

T. Bo.

* Le prénom de l’enfant a été modifié.

Parole à l’accusation

« Contestation légitime ou déni ? Ce dossier contient assez d’éléments à charge pour entrer en voie de condamnation. (…) Les faits s’inscrivent dans un contexte de violence, cet enfant a été victime de violences en deux reprises. Qui est l’auteur de ces violences ? C’est monsieur ! (…) Si monsieur n’avait rien à se reprocher, pourquoi craindre un signalement comme il l’exprime dans un SMS envoyé à madame ? (…) Madame a agi par peur ou par amour, peut-être un peu des deux, je note une forme de dépendance affective à l’égard de monsieur. (…) Monsieur s’inscrit dans une forme de contestation totale, mais cet homme a le profil d’une personne impulsive ne contrôlant pas ses émotions », aura souligné le procureur Djindian avant d’appeler le tribunal à condamner le prévenu à deux ans de prison ferme et Morgane D à une peine de douze mois de prison avec sursis.

Parole aux parties civiles

« En août, la joue gauche est touchée, il s’agit donc d’un coup porté par un droitier, le fils aîné de madame le dit, “Roro a fait mal à Louis”. (…) Louis a été victime à deux reprises de violences, dans cette maison, il n’y avait que deux adultes ! (…) Des réactions de cet enfant peuvent laisser penser à une forme de traumatisme en lien avec la mémoire de la douleur, cet enfant a une réaction symptomatique lorsqu’on lui touche la tête par surprise. Que s’est-il passé précisément, on ne le saura jamais, une chose est sûre, cet enfant a été violenté », tonna Me Gambini au nom du Conseil départemental, administrateur ad hoc de l’enfant violenté.

« Le père de cet enfant n’instrumentalise pas son fils, ce père ne mène pas un combat contre madame. (…) Le déni, c’est puissant, la vérité, c’est simple, le mensonge, c’est plus compliqué parce qu’il faut le nourrir le mensonge. (…) Madame l’a dit, elle a pu se lever jusqu’à 18 fois en une nuit parce que son fils pleurait, les pleurs d’un enfant, ça use, ça énerve, monsieur a très bien pu se lever sans que madame ne s’en aperçoive. (…) Le père de Louis a alerté le Centre de protection maternelle et infantile de Langres dès le mois d’août, il ne s’est rien passé, face aux traces de nouvelles maltraitances, il a décidé de déposer plainte, de déposer plainte contre X ! (…) Il ne s’agit pas d’une hallucination collective, cet enfant a pris une claque, une claque monumentale. Monsieur a frappé cet enfant avant de s’enfermer dans le déni, comme madame », poursuivit Me Alfonso au nom du père d’un enfant, cet enfant, « la seule victime dans cette affaire ».

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