David Covelli : « louper une visite avec des enfants ?Guide, patrimoine, Langres, c’est direct poubelle »
Le responsable du service patrimoine de la ville de Langres David Covelli est un historien patenté, qui se préoccupe ardemment de faire tomber ses connaissances dans le pot commun. Parce qu’un patrimoine qui se garderait jalousement perdrait son sens.
« Avant de faire de l’histoire, il faudra leur raconter des histoires ». Estomaqué, l’étudiant David Covelli : c’était son sacro-saint prof qui lui promettait d’avoir à ruser pour transmettre les savoirs qui le grandissaient. Il allait pourtant vite être raccord avec l’universitaire. « Est-ce que le nom de François Ier vous dit quelque chose ? ». Saint-Dizier, c’est David Covelli qui a posé la question à une classe de 4e d’un établissement du quartier du Vert-Bois. Première réponse. « C’est une clinique ». Seconde. « C’est une pharmacie ». Dans une situation où « il n’y a pas de faux-semblant », loin de l’idée du guide de se moquer. Ou de désespérer. « François Ier, ça ne va pas de soi pour tout le monde ». D’ailleurs, ce monarque-là peut retrouver sa place dans les têtes des moins avertis d’entre nous. À condition de réfléchir au moyen de s’y prendre : l’historien ne va pas sans le médiateur. « Il faut utiliser des mots un peu sexy ». En opposition aux termes doctes. « À quoi sert de faire état d’un savoir qui écraserait » ceux qui sèchent ?
Comprendre les questions
« Combien pèse la Tour Navarre ? ». Au mioche qui a tiré son interrogation de la grande périphérie de l’histoire, David aurait pu, du tac au tac, répliquer « Petit c… ». Sauf à deviner que le gamin n’attendait pas qu’il se lance dans un calcul du cubage, en tenant compte des matériaux. « En réalité, le poids du monument lui importait peu, c’était sa manière d’exprimer qu’il n’avait jamais vu un édifice aussi grand, sentiment que la seule différence de température avec l’extérieur avait pu lui inspirer ». David va finalement, à partir d’une seule pierre, extrapoler pour livrer un ordre d’idée au jeune curieux.
À chaque public une pédagogie
« J’ai déjà conduit des visites de Langres sans rien dater ». À la place d’une kyrielle de repérages temporels qui ne renseignent pas celui qui n’en a aucun dans sa musette, le médiateur évoque le dessus et le dessous, le dedans et le dehors, de sorte qu’il égrène les matériaux successifs des bâtisseurs de Langres -pierre, métal, bois. Pas non plus question de dégainer un décamètre pour mesurer la cathédrale, David Covelli préfère placer des enfants main dans la main à son entrée et au niveau du chœur : ces chaînes humaines suffisent à « démontrer que la nef n’est pas rectangulaire ». À chaque public une pédagogie. « On doit sortir d’une visite en se disant qu’on n’a pas seulement rencontré un guide ». Sauf, s’il s’y est mal pris, à s’exposer à une sanction définitive avec le public des tout jeunes. « Une visite loupée avec des enfants, ça signifie que tout est jeté à la poubelle » : la ville et son patrimoine partent avec l’eau du bain. Or, le patrimoine « est la plus généreuse et la plus lumineuse des notions qui font émerger l’histoire », notre socle commun. « Imaginez-vous dépourvu de mémoire. Que, tous les 5 ans, les fâcheuses expériences avec le fer à repasser, avec le couteau se volatilisent… ce serait un peu dommageable ». C’est qu’on se constitue au fil des empilements.
Fabienne Ausserre
f.ausserre@jhm.fr