Dans les petits papiers
SOCIETE. Michel Offerlé est l’invité des Causeries du vendredi, aujourd’hui à 18 h, à Larcelet. Le co-auteur de « Ecrire au président : enquête sur le guichet de l’Elysée » nous explique la démarche inédite qu’a été son immersion au sein du service de la correspondance présidentielle.
jhm quotidien : Quelle est la genèse de l’immersion que vous avez réalisé avec Julien Fretel ?
Michel Offerlé : L’idée a été de travailler autrement sur le président de la République. Non pas du point de vie institutionnel ou constitutionnel mais sur son rapport avec les Français. Une des amies de Julien Fretel travaillait au service de la correspondance présidentielle, on a eu une opportunité par cette voie. Nous avons fait une demande sous François Hollande, ça a pris du temps, on ne rentre pas comme ça. Finalement, ça s’est débloqué car il ne se représentait pas. On a eu l’occasion d’y aller fin décembre 2016, on a pu travailler à raison de trois à quatre séances par semaine par intervalles entre 2017 et 2020. Le livre est sorti fin 2021. Même si avec le Covid, on n’a pas pu faire tout ce qu’on voulait.
jhm q : Vous vous êtes concentré sur les courriers adressés à François Hollande uniquement ?
M. O. : Non, nous avons fait une demande pour les archives de Nicolas Sarkozy. Nous avons aussi rencontré le directeur des services de François Mitterrand, qui est resté pendant dix ans à la direction du courrier. Les archives de Jacques Chirac également. Et on a terminé sur Emmanuel Macron. Nous avons pu comparer les courriers. Nous avons consulté des documents confidentiels, des dossiers médicaux, les problèmes privés des gens, des requêtes, leurs feuilles d’imposition. Une espèce de livre ouvert sur la misère du monde.
jhm q : Quelles différences avez-vous noté entre les présidents ?
M. O. : On a rencontré Sarkozy et Hollande qui nous ont raconté leur rapport au courrier. Sarkozy voulait que le service tourne mais était plus intéressé par les sondages. Hollande lisait davantage le courrier, il y avait plus de proximité. Il en lisait plus et répondait plus que Sarkozy. Sous son quinquennat, une sélection était effectuée et il lisait une vingtaine de courriers par semaine. Avec le courrier, Macron a fait des courbes, des pourcentages, des statistiques. Il a vraisemblablement moins de contact avec la « base » car il n’est pas passé par un parti ou un mandat local.
jhm q : C’est une analyse complète du courrier envoyé à l’Elysée.
M. O. : C’est un livre écrit par des sociologues mais dans lequel on a voulu donner la parole aux acteurs. On a vu un peu de tout, des lettres anonymes, parfois à la limite du délire, des lettres classées comme d’opinion. 60 % des lettres sont des requêtes, proches des revendications des Gilets jaunes, les angoisses des fins de mois difficiles. Il y a aussi les drames : le courrier du conjoint du pompier ou gendarme tué en service, l’étudiante qui dit avoir l’impression de mourir pendant le confinement…
jhm q : Combien de personnes travaillent au SCP ?
M. O. : Ça a monté jusque 90 et là, ils sont 70. Soit un dixième du personnel de l’Elysée mais c’est un peu fantôme car ce sont des personnes mises à disposition par les ministères. Ces personnes trient, commentent, classent, hiérarchisent. On était dans le service. Elles nous ont donné ce qu’elles ont bien voulu nous donner, puis un climat de confiance s’est instauré. Le chef de service a collaboré, on a pu avoir des lettres qui remontaient à l’Elysée ensuite. On a dû lire plus d’une dizaine de milliers de lettres. C’est répétitif. Une espèce de balayage, tout le monde peut potentiellement écrire au président. C’est un guichet où on ne vous demande rien.
jhm q : Toutes les lettres obtiennent une réponse ?
M. O. : En principe, toute lettre doit avoir des réponses, bien souvent frustrante car pour les requêtes, ce sont souvent des lettres types qui indiquent que la demande est partie dans tel service, telle préfecture. Mais il y a aussi de l’empathie. Derrière le travail du rédacteur qui répond, il y a un va-et-vient avec le cabinet pour vérifier si la réponse engage le président indirectement. Il faut répondre à tous de manière empathique, qu’il n’y ait pas de favoritisme.
jhm q : Que retenir de cette expérience ?
M. O. : Le côté émotionnel très clair. Les gens analysent la manière dont le président se comporte. Quelqu’un a reproché à Macron de ne pas avoir bien salué lors du 14 juillet 2017. Le « casse toi pauvre con » de Sarkozy, les « sans dent » de Hollande et « le pognon de dingue » de Macron ont aussi été reprochés par courrier. Il y a des centaines de rappels à l’ordre. La manière dont les gens peuvent juger au sens large est un très bel observatoire.
N. F.