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Claude Alphandéry, son « apprentissage de la vie citoyenne à Chaumont »

Claude Alphandéry, d’origine chaumontaise, a fêté son centenaire en novembre 2022. (Photo Marion Germa).

HISTOIRE. Claude Alphandéry, 100 ans et quelques mois, est peut-être le dernier grand résistant français encore de ce monde pour témoigner. Lui qui a été missionné par Jean Moulin pour présider, à 21 ans, le Comité de libération de la Drôme, qui a côtoyé notamment le poète Louis Aragon dans la clandestinité se souvient très précisément de ses vacances à Chaumont, ville dont son grand-père Georges Lévy-Alphandéry était député-maire. Entretien.

jhm-quotidien : Quels souvenirs conservez-vous de la ville de Chaumont, celle où est né votre père et qui était administrée par votre grand-père ?

Claude Alphandéry : Depuis mon enfance, j’allais passer mes vacances – en général les vacances de Pâques et les grandes vacances – à Chaumont, dans cette belle maison qui se trouve après la préfecture, devant le Boulingrin (Ndlr : 11/13, avenue Carnot). Sans doute à partir de mes 12 ans, je rejoignais mon grand-père qui allait à 10 h à la mairie. J’avais le droit d’aller le chercher à midi, et en revenant à la maison par la rue Victoire-de-la-Marne, on s’arrêtait dans trois cafés. Mon grand-père n’y buvait jamais d’ailleurs, mais il discutait avec les gens. Cela me passionnait car j’avais l’impression de connaître l’existence de toute la ville. Cela durait une heure, et tous les jours des gens racontaient leurs difficultés. C’était des cahiers de doléance et des cahiers d’espérance (…) Je garde à 100 ans encore le souvenir de ça, ça a été un formidable apprentissage de la vie citoyenne. Il y a eu un souvenir plus particulier. En 1936, je n’avais pas encore 14 ans – car je suis né en novembre 1922 -, aux vacances de Pâques, juste avant les élections du Front populaire, j’ai fait avec mon grand-père quinze jours de campagne, dans les villages tout autour. C’était des villages pauvres, il y avait beaucoup de fumier dans les rues – cela me frappait -, mais les gens étaient très avenants. Les discussions portaient autour de l’Office du blé, pour un projet de loi que défendait mon grand-père.

jhm-quotidien : Où habitiez-vous à cette époque ?

C. A. : J’étais à Paris, au lycée Carnot. Après mon « bachot », je suis rentré en hypokhâgne, en préparation de Normale sup’. Toutes les prépas n’étaient pas restées par crainte des bombardements, j’étais donc à Bordeaux à ce moment-là. C’est à Bordeaux que mes grands-parents et mon arrière-grand-mère m’ont rejoint juste avant l’armistice. Ils ont pris le bateau Massilia qui emmenait une centaine de parlementaires au Maroc où devait en principe être continuée la résistance. Mais Paul Reynaud a démissionné et a été remplacé par le maréchal Pétain, il n’y a pas eu de résistance et ma famille est revenue une semaine plus tard à Marseille.

« J’ai été chargé de la Drôme »

jhm-quotidien : Votre Résistance a commencé très tôt. Pouvez-vous nous raconter votre action ?

C. A. : A cette époque, que faisait-on dans la Résistance, en 1941, 1942 ? Il y avait des petits journaux : Combat, Libération, Franc-tireur qu’on rédigeait, qu’on ronéotait*, qu’on distribuait. Il y avait des petites manifestations : le 11 novembre, le 14 juillet. On aidait également les réfugiés, et en particulier les réfugiés espagnols très nombreux dans le Sud de la France. Mais tout cela était très dispersé, cela n’avait pas beaucoup d’impact politique. Il y en a eu surtout un en 1943, quand le général de Gaulle avait été très fâché de ce que les Américains aient nommé le général Giraud comme gouverneur de l’Algérie, et non pas lui, quand ils ont débarqué au Maroc. Pour être considéré par les Alliés, De Gaulle devait incarner la Résistance. Il a donc demandé à Jean Moulin de venir en France et d’organiser une Résistance beaucoup plus politique (…) Le mot d’ordre du général de Gaulle en 1943 était d’unifier toutes les forces de Résistance et de faire cela sous forme de Comités de libération, un par département. J’ai été chargé de la Drôme. C’était l’époque du Service du travail obligatoire, quand les Allemands obligeaient les gens à travailler chez eux : des centaines de milliers, et non plus quelques milliers, ont été obligés de se cacher. Alors on a organisé les maquis. La Résistance s’est faite autour de l’organisation, de la sécurisation, du ravitaillement des maquis (…) Dans la Drôme par exemple, on a eu des milliers de gens venant de toute la France. On n’avait pas assez d’armes, et entre les coups de main, il fallait discuter. C’est là que s’est préparé le programme du Conseil national de la Résistance.

« Presque tous les mois à Chaumont »

jhm-quotidien : Etes-vous revenu à Chaumont après la guerre ?

C. A. : J’avais été nommé à l’ambassade de France à Moscou. Pendant six mois, en attente des visas soviétiques, j’apprenais le russe, et je venais souvent à Chaumont où mon grand-père avait repris la main dans le journal. J’ai écrit, une dizaine d’éditos dans La Haute-Marne libérée (Ndlr : Le Haut-Marnais républicain, en réalité) (…) Ensuite, je revenais à Chaumont après la mort de mon grand-père. Ma grand-mère, elle est comme moi, elle a été centenaire, j’allais la voir dans cette belle maison qui avait été vendue en viager à un médecin de Chaumont. J’allais presque tous les mois passer une nuit à Chaumont. Ma grand-mère est morte en 1970. Après, je n’avais plus beaucoup d’attaches familiales, plus d’endroits à habiter, je suis venu beaucoup moins souvent.

Propos recueillis par Lionel Fontaine

Ils ont échappé à l’extermination

Maire de Chaumont de 1919 à 1940, député (radical-socialiste) depuis 1924, Georges Lévy-Alphandéry (1862-1948) n’a pas eu à se prononcer sur le vote des pleins pouvoirs au maréchal Pétain, le 10 juillet 1940, puisqu’il était hors de la métropole. « Je me suis demandé souvent, après, ce qu’il aurait fait, témoigne Claude Alphandéry. J’espère qu’il ne les aurait pas votés, mais je n’en suis pas tout à fait sûr car il était très légaliste, profondément à gauche mais pas du tout révolutionnaire ».

Juif, le député-maire de Chaumont a échappé aux rafles de l’Occupation. Avec son épouse, « ils étaient réfugiés avec ma mère dans une petite commune de Sâone-et-Loire. Un jour, ma mère a voulu me voir et j’ai fini par céder, je suis monté à motocyclette de la Drôme où je commandais les maquis. Je savais que c’était risqué. Je suis arrivé à minuit et je suis reparti à 4 h du matin, et en repartant, un peu avant d’arriver à Lyon, j’ai croisé des Citroën. Ce n’était pas la Gestapo, c’était la Milice vichyste qui montait pour m’arrêter. Les miliciens ont arrêté ma famille, l’ont transférée à Lyon. Il y avait beaucoup de gens dans la Résistance, y compris le directeur de cabinet du préfet que je suis allé voir et qui est arrivé à les faire libérer après une journée »

Un homme de gauche

Communiste jusqu’au milieu des années 50 (il a démissionné pour cause de désaccord), Claude Alphandéry, issu de la première promotion de l’Ecole nationale d’administration (ENA), a exercé une grande carrière dans la fonction publique. Mais il est surtout vénéré à gauche pour son engagement dans l’économie sociale et solidaire (ESS). Il a fondé le Labo de l’ESS dont il reste le président d’honneur. Il est également président honoraire du Conseil national de l’insertion par l’activité économique, fondateur et président honoraire de France Active. Claude Alphandéry est notamment l’auteur de « Citoyens et résistants. 1943-2020. Le programme du Conseil national de la Résistance vécu et revisité » (2020), déclinaison d’une tribune parue durant la crise du coronavirus, et de l’ouvrage « Une famille engagée » (2015).

Il y a 80 ans, les maquis

La loi (française) du 16 février 1943 a été un tournant dans l’histoire de la Résistance. Elle appelait en effet les jeunes Français nés entre 1920 et 1922 à travailler dans les usines en Allemagne. Si, à la date du 29 mars 1943, 655 requis ont quitté la Haute-Marne, des dizaines se sont cachés. Ils prendront le maquis. L’un d’eux, créé dès le mois de mars 1943, accueillera plus d’une centaine de réfractaires, pour moitié Haut-Marnais : le maquis de Lamarche. Nous reviendrons dans une prochaine édition sur son histoire. 

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