Cirque Rasposo : une étrange “Oraison”
Surprenant, inattendu, captivant. Les adjectifs sont insuffisants pour qualifier le spectacle, mi-circadien, mi-théâtral, offert par le cirque Rasposo sur l’esplanade de Güe, du 21 au 23 avril. Intitulé “Oraison”, il a emporté les spectateurs dans une succession d’émotions.
Dans une musique joyeuse, ce furent d’abord les rires avec un faux numéro de mentaliste et la sculpture d’un animal en ballon puis les classiques cerceaux ont joué leur farandole, berçant la vigilance du public. Dans une semi-obscurité, le violon jouant sa mélopée, est apparue la funambule en un étrange ballet défiant l’apesanteur et les spectateurs ont retenu leur souffle, la tension palpable montant crescendo. Un fin voile entourant la piste s’est abattu devant les spectateurs alors que l’équilibriste se contorsionnait sur la machine à pop-corn au son de l’orgue de barbarie. Une dispute factice entraînait les artistes dans des corps-à-corps improbables, stoppés net par des coups de feu provoquant la stupeur dans le public pendant que des chiens barzoï s’approchaient subrepticement des corps allongés.
La fildefériste s’est à nouveau élevée, dansant, sautant, réagissant dangereusement aux coups de la grosse caisse. Le temps a paru s’arrêter pour les spectateurs saisis d’une peur implicite quand la valse des couteaux a commencé, point d’orgue du spectacle. Les dagues se fichaient contre les pieds de l’artiste qui avançait en un sillon tracé par des bougies, semblaient animées d’une vie propre pour atteindre le corps s’agitant au sol ou celui plaqué contre une paroi et glissant silencieusement. Les spectateurs ne se sont extraits de cette atmosphère presque hypnotique que lorsqu’ils ont vu les artistes revêtir leurs habits de lumière et s’éloigner dans la nuit.
“Oraison”, joué par Marie Molliens qui l’a écrit en 2019 et mis en scène, Robin Auneau, Zaza Kuik et Hélène Fouchères, évoque (de façon prémonitoire ?) le chaos, formidablement traduit par les artistes en de folles acrobaties mais aussi par la musique tour à tour bienveillante ou dramatique. L’autrice, enfant de la balle et sur scène depuis l’âge de 4 ans, a expliqué son objectif : « Une oraison est une prière, une ultime prise de parole. J’ai cherché à travers ce spectacle à réveiller nos consciences, notre poésie et nos sensibilités profondes, à poursuivre la quête d’une vérité concrète par l’expression corporelle qui touche directement le spectateur. Le côté intimiste est renforcé par l’étroitesse de la piste ». Après une tournée internationale qui l’a conduit en Belgique, en Espagne, en Italie et en République tchèque, “Oraison” se produira encore dans le Grand-Est, à Commercy du 28 au 30 avril, à Saint-Dié-des-Vosges du 4 au 6 mai avant de gagner la Bretagne.