Cigéo : la bataille des terres entre dans le dur
Dans le but d’acquérir la centaine d’hectares nécessaires à la construction de son centre de stockage de déchets nucléaires, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), a lancé, lundi 18 mars, une enquête parcellaire. Manque d’informations, délais jugés très courts, la méthode employée pour la mener fait grincer des dents, agriculteurs et opposants au projet.
« Vas-y entre. » À Mandres-en-Barrois, dans la bâtisse bardée d’affiches hostiles au projet qui ne cesse de les irriter depuis plusieurs dizaines d’années, les mines sont graves. Inquiétudes et questionnements se lisent sur les visages des riverains concernés par cette nouvelle vague d’acquisitions initiée par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) en vue d’établir son centre industriel de stockage géologique : Cigéo. « On voulait expliquer les enjeux juridiques et les rapports juridiques qui peuvent se créer », explique Angélique, membre de la coordination Stop Cigéo, à l’initiative de la rencontre.
300 habitants concernés dans huit communes haut-marnaises et meusiennes
Cette réunion publique portait, mercredi 20 mars, sur l’enquête parcellaire lancée quelques jours plus tôt par l’Agence, une étape dans le processus d’obtention des derniers terrains nécessaires à la construction et à l’exploitation de Cigéo. « À ce jour, l’Andra dispose d’environ 84 % de la maîtrise foncière nécessaire aux installations de surface du centre de stockage. Restent à acquérir environ 100 hectares, principalement des surfaces agricoles, des chemins, des routes, ainsi qu’une ancienne plateforme de voie ferrée », détaille l’organisation. « Outre les terrains nécessaires en surface, l’Andra doit également acquérir environ 185 hectares de tréfonds (zone située sous la surface du sol) pour réaliser la première partie du stockage. »
Pas moins de 300 propriétaires sur huit communes de Haute-Marne et de Meuse sont touchés par cette nouvelle procédure. « Les premières personnes ayant reçu le dossier qui nous ont contactées ont été abasourdies. Ça fait 30 ans que Cigéo est là et que ça a un impact sur leur vie, mais c’est la première fois que ça se concrétise dans les boîtes aux lettres, dans leur intimité », ajoute Angélique.
Manque d’informations…
Au-delà de l’aspect émotionnel, la méthode en elle-même est sujette à diverses controverses. Parmi elles, la date à laquelle elle a été envoyée. Une période jugée « mauvaise », « avec des agriculteurs en reprise des travaux dans les champs ». Il y a aussi sa durée. « Elle ne dure que trois semaines et les documents ne sont pas en ligne », se plaint Jean-Pierre Simon, propriétaire de terres agricoles à Cirfontaines-en-Ornois, surpris de devoir à nouveau céder des terres. L’agriculteur pointe surtout du doigt un manque d’informations, notamment celles liées aux emprises : « On n’a pas la totalité des emprises. On n’a que ce qui correspond à la phase pilote qui va servir à préparer l’enfouissement des MA-VL (les déchets nucléaires de moyenne activité à vie longue, ndlr). En revanche, pour les HA-VL (les déchets nucléaires de haute activité à vie longue, ndlr), on ne sait pas le volume des emprises, ni si ce sera du tréfond ou de la surface et ni le calendrier. »
Exploitants, les oubliés de l’enquête ?
Lors de la réunion publique se trouvait également Axelle. Maraîchère, membre des Semeuses, elle est installée depuis cinq ans sur trois hectares de terrains de Jean-Pierre Simon. « Ils prendraient la moitié des terres. L’autre partie sera inutilisable. On est usagères, mais on n’est pas consultées », regrette-t-elle. Un problème, selon les opposants au projet, puisque certains exploitants pourraient ne pas être prévenus par les propriétaires et se retrouver du jour au lendemain sans terres à cultiver. « C’est une procédure de pseudo-consultation pour imposer un projet qui politiquement a l’air d’être très voulu », déplore, quant à elle, Héloïse, elle aussi membre du collectif des Semeuses.
L’enquête parcellaire doit prendre fin le 12 avril. Si les cessions « à l’amiable » n’aboutissent pas, sous couvert d’utilité publique du projet, reconnue par décret le 7 juillet 2022, l’Agence pourrait avoir recours à « une procédure d’expropriation » afin d’arriver à ses fins.
Dominique Lemoine
La réponse de l’Andra
Contacté par jhm quotidien, Patrice Torres, directeur du Centre Meuse/Haute-Marne de l’Andra a précisé que si l’Andra n’était pas à l’origine de la durée de l’enquête, elle a choisi la période afin de pouvoir gérer la procédure d’acquisition des terres « de manière sereine » et « avoir le temps nécessaire d’échanger avec les propriétaires, mais aussi les utilisateurs ». Après avoir dialogué avec les agriculteurs concernés, la documentation liée à la procédure a finalement été mise en ligne. Pour ce qui est des emprises liées à l’enfouissement des HA-VL, l’Agence note que « la majorité des déchets de haute activité seront stockés plus tard », et donc qu’ils « n’ont pas besoin de la totalité du tréfonds dès maintenant » : « Le décret d’utilité public de Cigéo nous permet de réaliser une deuxième phase d’expropriation (avec une enquête parcellaire) avant 2050 ou avant la fin de la phase industrielle pilote de Cigéo ». Enfin, en ce qui concerne les ayants-droits, comme le collectif des Semeuses, Patrice Torres tient à préciser. « La première partie de l’enquête parcellaire, c’est justement de contacter pour vérifier avec eux les informations, élaborer une offre amiable, mais aussi pour savoir si leurs terres sont utilisées par des ayants droits. Ça nous permet ensuite de pouvoir les contacter. Certains l’ont par ailleurs déjà été, d’autres sont en cours de l’être ou le seront dans un avenir très proche. »