Châteauvillain : Jacques Désormeau s’inscrit dans l’Histoire
Portrait. Aujourd’hui âgé de 90 ans, ce Castelvilanois n’a eu de cesse de mener des recherches historiques. Artiste qui travaille le bois, ancien directeur des Bottes Le Chameau, il a également dû s’astreindre au travail obligatoire en Allemagne avant de se rendre en Indochine avec l’armée coloniale.
Les hasards de la vie font parfois que certains parcours sont très riches. L’Histoire de France, qui passionne Jacques Désormeau (Mise à jour : Jacques Désormeau s’est éteint en février 2019, à l’âge de 94 ans), a toujours été étroitement liée à sa vie, dont il a accepté de narrer quelques passages clés au Journal de la Haute-Marne. Parisien de naissance, il a vu le jour dans le 6e arrondissement. Quelques années plus tard, ses parents ont emménagé à La Rochelle, la ville où il a grandi. «À cette époque, la tour de Saint-Nicolas était complètement libre d’accès. Gamin, j’allais y faire les 400 coups», se souvient-il en souriant. C’est certainement là, dans ce formidable terrain de jeu, qu’est née sa passion pour les monuments historiques et l’Histoire tout court.
L’arrivée des Allemands
Le jeune homme qu’il était a assisté à l’arrivée des Allemands dans sa ville. En 1940, à l’aube de ses 15 ans, il a vu ses petites copines de l’époque se pâmer devant les tanks allemands pour ces beaux nemrods. À une époque «où l’on n’avait pas de capotes anglaises», il se souvient aussi que ceux qui ont ensuite été qualifiés d’envahisseurs sont apparus dans un premier temps comme «disciplinés, gentils, rassurants». Ils donnaient même des concerts avec les musiciens de leur armée, place de Verdun, à La Rochelle… Mais rapidement, tout a changé et ce fut «la panique, l’exode».
Son bac technique en poche, en 1942, le fringant Jacques Désormeau est arrêté un beau jour par la police allemande, avec un copain à la sortie du cinéma. «Je n’avais pas de carte d’identité.» Il a échappé aux camps de déportation de justesse : «Les prisons étaient pleines et mes parents avaient un ami ancien officier, un peu collabo, qui a intercédé pour moi. Je n’ai pas échappé au Service du travail obligatoire.» A 17 ans à peine, il a été conduit en Allemagne, vers Munich. Plutôt mince à l’époque, il a finalement trouvé un poste qui lui convenait, après plusieurs transferts. «Je m’occupais de l’étanchéité des cylindres de locomotives, avec des prisonniers russes et français.»
La guerre du Vietnam
En 1945, il retrouve enfin La Rochelle. Là, «le travail étant rare», il s’engage dans l’armée coloniale. Après ses classes à Meknès, il prend le départ pour l’Indochine. Sans tabous, il narre quelques épisodes cocasses, à l’instar de ceux mettant en scène «des armées de dames» aux camps de Cais, près de Toulon, «distribuant contre espèces de peu sympathiques cadeaux» aux soldats, tels les chancres de Syphilis… Dans ces camps, il se souvient avoir côtoyé «une étrange humanité» constituée «de SS dans la Légion, bandits et racailles de toutes origines, souhaitant échapper aux arrestations».
À la fin de l’année 1946, Jacques Désormeau s’est donc retrouvé en Indochine, pour deux ans. Jusqu’en 1948, il a arpenté les rizières, pourchassant les quelques Japonais restants ou les Viêt-minh, «au milieu des moustiques et des sangsues dont on se débarrassait avec une brûlure de cigarette». Marqué à vie parce qu’il a vu là-bas, il a laissé sa petite fiancée vietnamienne dans son pays pour retrouver La Rochelle.S
Naissance d’une passion pour Châteauvillain
Après un passage aux Chantiers navals de La Pallice (en 1948), en spécialiste du caoutchouc Jacques Désormeau dessine sa propre machine à vulcaniser. Un projet adressé aux grosses entreprises françaises. Semelflex le recrute et il passe une année dans l’Isère. Il œuvre ensuite pour Hutchinson, à Montargis. «J’y suis resté sept ans. J’ai beaucoup appris sur la technique du caoutchouc et la conduite du personnel», rapporte-t-il. C’est en répondant à une annonce, en 1961, qu’il est recruté par les Bottes Le Chameau comme directeur de trois usines (Châteauvillain, Pont-d’Oully et Ain-Sébaa). Il y a plus de 50 ans, il s’est ainsi établi dans la cité castelvilanoise, pour laquelle il s’est pris d’affection. «J’ai découvert et fait connaître à une population qui l’ignorait la riche Histoire et le patrimoine qui sont d’une importance extrême», observe-t-il. Après avoir réhabilité la tour Saint-Marre, puis celle de l’Auditoire et tous les « trésors » qui y sont aujourd’hui présentés, il a signé un ouvrage historique, “Châteauvillain en Champagne”, en 1981. Constitué sur la base de la documentation collectée, cet ouvrage était le deuxième dédié à cette petite cité de caractère. Le premier, émanant de l’abbé Didier, datait de cent ans plus tôt. Ne s’arrêtant pas là, l’auteur-historien prépare un deuxième ouvrage. Pour aider ceux que cela intéresse à mieux comprendre Châteauvillain, il a également constitué une maquette en bois, de l’ancien château du village. Un travail impressionnant, rendu possible grâce à des recherches menées aux Archives départementales. De même, il a réalisé une maquette du château de Dinteville, exposée dans le charmant édifice. Et qui sait quelles seront ses prochaines réalisations…
Sylvie C. Staniszewski