Charles Nodier : Jacques-Rémi Dahan en fait tout un roman
LITTERATURE. L’historien langrois de la littérature Jacques-Rémi Dahan achève plusieurs décennies de travail sur Charles Nodier avec la publication, sous sa direction, des Œuvres complètes commentées de l’un des pionniers du romantisme et mentor de Victor Hugo.
Charles Nodier (1780-1844). Ce nom ne parle plus guère au commun des mortels, sinon aux professeurs de français et de littérature. Aujourd’hui tombé dans l’oubli, il était pourtant considéré de son vivant, au XIXe siècle, comme un auteur majeur et populaire. A la fois romancier, conteur et journaliste, membre de l’Académie française, Charles Nodier est un des pionniers du romantisme. Son salon littéraire, à l’Arsenal de Paris, était l’un des plus courus de son époque. Victor Hugo, rien de moins, le considérait comme son mentor.
Pourtant, Charles Nodier n’est étrangement pas passé à la postérité. Une injustice aux yeux de l’historien de la littérature Jacques-Rémi Dahan, bien connu à Langres puisqu’il préside, depuis de nombreuses années, l’association des Amis des musées. Charles Nodier, Jacques-Rémi Dahan l’a découvert à l’occasion de ses études universitaires : « J’y ai consacré ma thèse ». Depuis, l’écrivain romantique ne l’a pas quitté. Au fil des décennies, l’historien langrois a récolté nombre de documents et d’informations. Ces dernières années, il a publié une anthologie en deux volumes de l’ensemble des articles et écrits critiques du journaliste Charles Nodier, qui a longtemps œuvré au très prestigieux Journal des débats.
Cette fois, c’est à ses romans que Jacques-Rémi Dahan s’est intéressé. Sous sa direction, et avec la collaboration de nombreux pairs universitaires, Jacques-Rémi Dahan vient de publier, aux éditions Classique Garnier, les Œuvres romanesques complètes, critiquées et commentées, de Charles Nodier. Ressortant ainsi des limbes la partie la plus méconnue de l’œuvre fictionnelle de l’écrivain qui ne s’est taillée une (petite) part de postérité que par le biais de ses contes. « C’est tout simplement la première fois qu’une telle édition critique est publiée. Quant aux œuvres complètes brutes, la dernière édition, par la Maison Charpentier, date du début du XXe siècle », explique, en expert, Jacques-Rémi Dahan.
Charles Nodier entre libertinages et progressive sagesse
Au départ républicain, avant de se convertir progressivement au royalisme, le jeune Charles Nodier publie son premier roman, baptisé “Les Proscrits”, en 1802. « Les proscrits, ce sont les émigrés royalistes. Dans ce premier ouvrage, Nodier dépeint un puissant complètement déconnecté de son époque », analyse Jacques-Rémi Dahan. La tonalité très politique de premier roman, « qui rencontre un certain succès critique et commercial », trouve ensuite son écho dans une ode très féroce contre Napoléon Bonaparte, que Charles Nodier publie sous pseudonyme. Mais, l’année suivante, sans doute pour réaliser un coup d’éclat, il en revendique la paternité dans une lettre écrite directement au Premier consul. Un affront qui lui vaut un séjour en prison.
La même année, il publie “Le Peintre de Saltzbourg” et, sous anonymat, un roman libertin, intitulé “Le dernier chapitre de mon roman”. Par la suite, il s’assagit et délaisse l’activité romanesque pour, d’abord, se consacrer à sa nouvelle profession de directeur du Journal officiel de la province illyrienne (actuelle Slovénie), puis à celle de journaliste et critique littéraire. Son retour n’en sera que plus frappant. En 1818, il publie (sous pseudonyme, mais celui-ci est rapidement éventé) “Jean Sbogar”, qui est un immense succès et fait l’objet de nombreuses réimpressions.
Un fan nommé Napoléon
Fait étonnant, l’année suivante, le journal La Renommée affirme que, dans son exil de Sainte-Hélène, l’empereur déchu Napoléon Ier a lu le roman et l’a « beaucoup apprécié ». Pendant longtemps, Jacques-Rémi Dahan a considéré cet entrefilet comme douteux. Mais, il y a deux ans, il découvre, grâce à l’historien Jacques Jourquin, que “Jean Sbogar” a bien été expédié, le 26 mai 1819, à Napoléon par Lady Holland, qui lui faisait régulièrement parvenir de nombreux ouvrages.
Par la suite, Charles Nodier écrira encore plusieurs romans et est admis à l’Académie française en 1833. Il meurt en 1844, et Honoré de Balzac écrira sans doute l’épitaphe le plus juste qui soit, résonnant encore cruellement de nos jours : « Il est toujours resté secondaire, même quand il a quelquefois mérité la première place ».
Nicolas Corté