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« C’est la nature ! »

Henri-Pierre JEUDY

Nous vivons avec la certitude que notre corps fait partie de la nature. Nous prenons pour preuve que tout dérèglement provoque des « troubles naturels » qui nous affectent et dont nous reconnaissons parfois les causes. Nous ne doutons pas que, si nous avons des souffrances hépatiques, cela vient du mauvais traitement que nous faisons subir à notre foie. N’importe quelle partie de notre corps nous rappelle ainsi que nous sommes des « êtres de la nature » en état de péril.

Comment osons-nous désigner ce que nous estimons n’être point naturel ? Nous le faisons pour des raisons morales ou politiques, et nous savons fort bien que nous abusons de l’expression « ce n’est pas naturel » pour nommer un comportement qui n’est pas conforme aux règles de la société. Nous nous acharnons à façonner une « autre nature », celle que nous imaginons gouverner tant bien que mal. Pour « respecter la nature », l’évidence de certains principes nous aide en s’imposant comme nécessaires pour éviter autant que possible la catastrophe. En ce sens, le moralisme écologique tente de développer un véritable système de représentation de la nature. Tenu pour responsable du devenir de la nature, l’être humain se doit d’obéir à des règles universelles de survie. Du coup, la nécessité reconnue exclut la contingence de la nature dans une lutte ostensible contre toutes les figures du péril.

Le temps de la nature est-il encore le temps du destin de « notre » corps ? L’équilibre se mesure en référence à la durée, la jouissance en référence à l’instant. Comment concilier les décalages temporels qui rythment « la vie du corps » ? Personne n’est dupe : les « caprices de la nature » viennent de nos propres caprices. Si ce jeu avec la nature n’avait pas lieu d’être, l’existence humaine dépendrait d’un équilibre immuable – cette sagesse que donne l’absence d’excès et de défaut (Aristote) -.

Faut-il croire que la recherche de l’équilibre n’est qu’une fiction nécessaire à la bonne conscience ? Son rôle moralisateur ne cesse d’être légitimé par le maintien ostensible de la santé, par l’obsession de la longévité. Ce qui ne concourt pas à la figuration de l’équilibre est banni comme un désastre des dérèglements physiologiques. La conquête de l’équilibre, c’est le temps lui-même, le temps de la vie. Chacun devient alors le grand responsable des menaces qui l’accablent. Mais est-ce là le « temps de la nature » ?

Aujourd’hui, l’expression « faut laisser faire la nature » risque d’apparaître politiquement incorrecte, parce qu’elle semble signer une démission de l’être humain. Et pourtant nous gardons toujours cette vieille idée selon laquelle la nature pourrait bien créer son propre équilibre.

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