Bugs interdits – L’édito de Patrice Chabanet
La panne des numéros d’urgence n’aura pas provoqué l’hécatombe qu’on aurait pu craindre. Cinq victimes, peut-être, ce que devront établir les enquêtes en cours. Des victimes de trop, car par définition les urgences sont là pour maintenir le mince fil de la vie pour des personnes en grande difficulté. Inacceptable pour les familles. Elles ne sauraient entendre les raisons techniques censées expliquer ces dysfonctionnements fatals. La très faible fréquence de ces derniers ne les consolera pas non plus. Des audits seront effectués pour identifier l’origine de la panne et déterminer la responsabilité d’Orange qui gère l’ensemble des centres concernés. Une belle bataille juridique en perspective, sachant que les opérateurs sont astreints à une obligation de résultat. Si l’enquête révèle la défaillance d’un équipement, qui devra porter le chapeau ? L’équipementier, assurément. Mais sans doute aussi le donneur d’ordre qui n’a pas su être prévoyant en imposant le doublement du matériel, comme cela se fait dans l’industrie aéronautique. Ou en négligeant la mise au point d’un plan de secours.
Cette affaire prouve une nouvelle fois la fragilité de nos sociétés interconnectées. Rapidité et efficacité quand tout marche bien. Mise à l’arrêt et panique dès le moindre grain de sable. En l’occurrence l’origine de la panne paraît accidentelle, puisque la thèse de la cyberattaque a été tout de suite écartée. Mais quand la malveillance et le désir de détruire sont à l’oeuvre, les conséquences prennent une autre dimension : tout un secteur économique peut être paralysé, une armée désorganisée par la mise hors circuit des liaisons entre ses unités, des peuples déboussolés par des vagues massives de fake news ou, tout simplement, des châteaux d’eau incapables de fonctionner en raison d’une panne informatique généralisée. Dès lors, on comprend la fébrilité des autorités lorsque survient une panne des numéros d’urgence. Nos sociétés ne sont pas toujours en état d’urgence, mais elles vivent au rythme du temps réel. Ce qui n’est guère différent.