Bernard Dimey, une vie, une œuvre
Saisi, à 19 ans, par la puissance d’un poème de Bernard Dimey lu par Michel Simon, Francis Couveaux s’est pris de passion pour un des plus grands poètes contemporains français. Cinquante ans plus tard, l’ancien documentaliste présente “Bernard Dimey – Le destin contrarié d’un poète hors norme”. Une biographie de référence richement illustrée.
Une biographie, « une histoire vieille de 50 ans ». Francis Couvreux a 19 ans lorsqu’il se pose devant un poste de télévision. Animée par Guy Béart, l’émission en noir et blanc met à l’honneur Michel Simon. « Dix ans plus tôt, Michel Simon avait enregistré “Mémère”, un texte refusé par Edith Piaf. J’ai vu Michel Simon réciter “Mémère” devant Bernard Dimey, quand j’ai entendu cette chanson d’amour pour vieillards, il s’est passé quelque chose en moi. Je me suis rendu dans des librairies chaumontaises, Bernard Dimey, personne ne connaissait. J’ai appris, par hasard, que Bernard Dimey était né à Nogent. J’ai écrit au maire de Nogent pour savoir comment contacter Bernard Dimey, on m’a répondu que sa mère habitait à Chaumont. J’ai pris un annuaire, j’ai multiplié les appels avant de tomber sur sa mère. Je me suis rendu chez elle, elle m’a notamment présenté un 33 tours sorti en 1969, j’ai été entraîné dans un engrenage, je n’en suis jamais sorti. »
« Accueillant, bienveillant »
Francis Couvreux rêve de rencontrer le poète. « Sa mère m’avait dit qu’il venait deux fois par an à Chaumont, j’ai pu le rencontrer le 4 janvier 1975, j’ai découvert un homme très accueillant, très bienveillant. Il m’a donné son adresse à Paris. En 1976, je suis parti étudier à la Sorbonne. Arrivé à Paris, je me suis tout de suite rendu rue Germain-Pilon, à Montmartre. J’ai à nouveau pu échanger avec Bernard Dimey, j’ai ensuite été le voir sur scène, nous nous sommes vus quatre ou cinq fois avant notre dernière rencontre, en 1978, à Chaumont, au café Le Parisien. Bernard Dimey était un véritable personnage, très impressionnant, son regard vous déshabillait en deux minutes. En 1981, j’ai assisté à ses obsèques, à Nogent. Par la suite, je suis resté en contact de nombreuses années avec sa mère. »
Seul, aux côtés des plus grands
Bernard Dimey a fréquenté les plus grands, comme en témoignent des illustrations issues du fonds patrimonial Bernard Dimey et de la collection personnelle de Francis Couvreux. Le poète nogentais a posé aux côtés de Marcel Mouloudji, Jean Ferrat, Zizi Jeanmaire, Eddy Barclay, Jacques Brel, Charles Aznavour, Edith Piaf, Francis Lai, Jean-René Caussimon, Peter Ustinov, Georges Brassens, Michel Simon, Joséphine Baker, Jean Sablon, Léo Ferré, Denise Glaser et tant d’autres. Des amis ? « Bernard Dimey détestait le show-business, il n’a par exemple jamais rencontré Yves Montand qui a chanté “Syracuse”. La vie de Bernard Dimey, son monde, son village, c’était Montmartre, il passait ses journées avec des ouvriers, des peintres ou des prostituées, on retrouvait également Marcel Mouloudji et Jean-René Caussimon à ses côtés, ses amis de Montmartre. Bernard Dimey avait très peu d’amis, il passait ses journées au bistrot mais était assez solitaire, il n’allait jamais trouver les artistes pour proposer ses textes, il attendait que les interprètes viennent à lui. Bernard Dimey vivait au jour le jour, comme un anarchiste, un anarchiste pur et dur, son objectif était d’avoir 200 ou 300 francs en poche pour passer la journée, pour bien manger, picoler et refaire le monde au bistrot. Bernard Dimey n’a jamais eu de maison, de voiture ou même de compte en banque. »
Mouloudji à Nogent
En 1981, le décès d’un des plus grands poètes contemporains français passe quasiment inaperçu. « Il y a eu des papiers dans Le Monde et les grands titres nationaux, en dehors de ces articles, ça a été silence radio. En 1991, dix ans après la mort de Bernard Dimey, j’ai dit à mon ami Philippe Savouret qu’il serait bien de mettre ce poète à l’honneur. J’ai trouvé un éditeur, j’ai contacté les ayants droit et les éditeurs musicaux, des textes ont été publiés en deux volumes et deux compilations sont sorties, sous format CD. Mouloudji, un des rares amis de Bernard Dimey, est venu à Nogent, après dix ans de trou noir, Bernard Dimey était à nouveau présent. »
Une passion pour le dessin
Fruit d’une passion pour les écrits du poète et de nombreuses recherches, “Bernard Dimey – Le destin contrarié d’un poète hors norme” met notamment en évidence la passion du poète pour le dessin. « Bernard Dimey avait plusieurs dons. Dès l’enfance, il a commencé à dessiner, à caricaturer ses professeurs avant de se mettre à la peinture à l’occasion de son passage à Troyes. Arrivé à Montmartre, Bernard Dimey a rencontré de nombreux peintres dont Gen Paul, il a rapidement compris qu’il n’était pas à la hauteur, mais il n’a pas abandonné le dessin, il aimait croquer ses copains, Michel Simon ou Pierre Brasseur. »
Cette biographie met en évidence le talent, pour ne pas dire le génie, d’un homme singulier tout en retraçant la vie d’un électron libre, ses rencontres artistiques, ses envolées, ses doutes, ses failles, ses amours avec un homme, avec des femmes. « Bernard Dimey, c’est une feuille morte au fil de l’eau. Ce personnage aurait pu percer au cinéma, il a commencé à écrire des scénarios, mais il n’acceptait aucune concession. L’œuvre de Bernard Dimey n’est pas reconnue à sa juste valeur, mais j’en suis certain, dans dix, 20 ou 50 ans, Bernard Dimey resurgira et occupera la place qui est la sienne. »
T. Bo.