Au cœur de la manœuvre de 300 militaires en Haute-Marne
Trois cents militaires du 61e régiment d’artillerie de l’armée de terre de Chaumont sont déployés depuis lundi 16 mai à une encablure de Langres. Pendant dix jours, ils s’entraînent sur terrain libre. Une manœuvre d’une ampleur rare, surtout en Haute-Marne.
« L’armée est un sujet brûlant d’actualité… Pourtant, le métier de militaire est méconnu de la population ». Le Lieutenant-colonel Thomas, chef des opérations de l’exercice Mort homme au sein du 61e régiment d’artillerie (RA) de Chaumont, pointe ainsi que la Grande Muette, toujours soumise à une discrétion absolue, desserre l’étreinte du mystère… sans dévoiler aucun secret. Depuis lundi, l’entièreté du régiment est déployée en terrain libre, fait rarissime, surtout en Haute-Marne. C’est que la guerre sévit toujours au cœur de la vie quotidienne… avec ses habitants. « On est demandeurs d’impromptus ». Or, à Mandres-la-Côte, à Rolampont, une bête qui s’évade d’une prairie, un tracteur qui surgit dans un virage serré sont autant d’évènements inattendus pour une patrouille. Et l’illustration que l’imprévu peut s’inviter dans un paysage « d’apparence banale ». Aux militaires de réfléchir au quart de tour face à l’incertitude… sans quitter des yeux les positions ennemies. « Nous nous préparons au mieux à ces situations ».
Il y a du réseau… mais privé
« Un des objectifs de l’exercice est de vivre en autonomie ». Dans le poste de commandement du groupe de recherche de renseignements, dont l’entrée est soumise à une procédure stricte, des militaires devant des ordinateurs, partout. Alors, oui, il y a du réseau. Sauf que la connexion web, le réseau téléphonique, la radio des militaires sont… à eux seuls. Cette indépendance ultra-sécurisée pour communiquer « peut être source de gains tactiques face à l’ennemi », souligne le Lieutenant-colonel Thomas. Conformément au programme Scorpion, « on doit pouvoir partager l’information entre tous les niveaux de commandement ». Mais les cartes géographiques et le papier ont aussi toute leur place dans ce lieu… « en cas de perte d’alimentation électrique ». En tout cas, ici, le souvenir de la salle des fêtes est ardu à convoquer…
« Menaces aériennes au sein d’une zone mal sécurisée »
« Les objectifs sont contextualisés ». En clair, un scénario a été mis sur pied pour que cette manœuvre XXL soit « la plus réaliste possible ». Ainsi, pour ces dix jours, « il y a des menaces aériennes dans un cadre d’opposition au sein d’une zone pas totalement sécurisée ». L’actualité nous démontre qu’ « on est dans un monde où la loi du plus fort prévaut sur la latéralité », rappelle le Lieutenant-colonel Thomas. On se prend à imaginer que le virage est pris assez au sérieux par l’État pour qu’un exercice d’une telle ampleur ait été organisé. Déjà, il a un coût, au regard des ressources humaines et matérielles mobilisées. Ensuite, plus de neuf mois ont été nécessaires pour le planifier.
Fabienne Ausserre
f.ausserre@jhm.fr
En route vers le système drone tactique
Le Lieutenant Pierre occupe le poste à découvert du véhicule blindé, le « PVP ». Sur la tourelle, avec un fusil « capable de faire des tirs très loin » à portée de main, le récepteur radio à l’oreille, en « évitant de trop parler -même si le risque d’interception est prévenu, on l’a toujours en tête », la carte de la région dépliée tout à côté. Il communique avec un autre véhicule imposant qui ressemble vaguement à un énorme 4×4 de la vie civile et qui ouvre la voie. Des tirs du PVP permettraient de couvrir son avancée. « On se dirige vers le système drone tactique (SDT) de Rolampont, en progressant par petits bonds ». Cette patrouille a pour elle la mobilité et la discrétion. « C’est une espèce de pion léger rattaché à un groupement, un pion plus indépendant. Sur les théâtres d’opération, il peut ponctuellement se détacher de la colonne ». Dans l’habitacle du PVP, chaque chose à sa place et rien de plus. Les micro et mono drones -« spécialités de l’unité »- la radio, la musette avec de quoi manger et se vêtir deux jours (15 à 20 kg). Les quatre occupants du PVP sont tous ficelés dans un « SMB » (système modulaire balistique, soit gilet pare-balles 15 kg « sans les plaques »), coiffés d’un casque (2 kg), et pour le seul Lieutenant Pierre, un fusil HK en bandoulière (4 kg). « On doit avoir le dos solide. Pas question de devoir s’adapter le jour J ». Bref, c’est logique, commente l’officier de communication et lieutenant Mélanie. « Répétez message (…) Bien reçu (…) Passage en mode tactique (…) Passage en mode convoi (…) Passage en mode vitesse ». Dans le paysage haut-marnais en paix, après avoir croisé la patrouille, les conducteurs de tracteurs dégainent leurs mobiles : il y en a, du treillis chez nous…
Un régiment de plain-pied dans l’ère des drones
À l’heure où les drones « font la différence » dans les conflits, le régiment chaumontais, qui les utilise depuis 1999, s’est érigé au rang de « régiment expert ». Sa « trame drone est assez conséquente ». La livraison du drone tactique Patroller est en cours -envergure 18 mètres. Il viendra s’ajouter au nano drone (30 grammes), au micro-drone (proche de ceux commercialisés) et au mini-drone de 1,50 m d’envergure et d’une quinzaine de kilos. « On est l’unité qui est en train de se transformer ». C’est parce que le Patroller pourra être utilisé sur une piste « pas forcément en bitume », comme celle de l’aérodrome de Rolampont que le Capitaine Colin y a déployé ses militaires. Comme le poste de commandement a dissous la salle des fêtes de Mandres-la-Côte, le camp a remisé aux oubliettes l’ambiance de l’aéro-club -qui a pourtant droit à un couloir aérien pour continuer à fonctionner- : sur les hauteurs de Rolampont, place aux « vols de renseignement ». Mardi 17 mai, il y en a eu un de 10 h, qui impose une relève de l’équipage à mi-vol. Cet après-midi, dans un caisson surchauffé, des duos (un militaire hautement expérimenté et un jeune homologue) analysent les images récupérées « suite à une frappe aérienne de l’armée française » qui permettent d’établir la situation résultante au sol.