André Gouriet, bouilleur de cru pur jus
Né à Bourg, André Gouriet n’en a jamais bougé. Son père faisait de la goutte. Il a pris le relais en étant des créateurs du syndicat du village, il y a près de soixante ans.
« Je suis le dernier des créateurs du syndicat des bouilleurs de cru de Bourg ». André Gouriet est des vingt-cinq « clients » à « faire un emprunt » pour acheter un alambic. C’est donc presqu’un quart de la population de ce petit village à une encablure de Langres, en allant vers le sud, qui se mobilise autour de ce projet. L’affaire est engagée en 1963, André a beau jeu de s’en souvenir, « c’est l’année de (son) mariage ». En réalité, c’est plutôt une souscription qui est lancée pour « trouver les sous ». On n’est jamais mieux servi que par soi-même, « on a mis chacun 14 000 francs (NDLR anciens francs) ». Des « parts » qu’ils rembourseront tous « pendant au moins quinze ans ». Sachant qu’il y a eu des années « où l’on ne remboursait pas car on ne distillait pas ». Près de soixante plus tard, le syndicat des bouilleurs de cru de Bourg tient le coup : il compte quinze adhérents.
Le « papier » des douanes
« Avec mon frère Bernard, on est allé aux douanes à Chaumont ». Le duo a besoin d’ « un papier » pour être autorisé à rapatrier l’alambic qui est à Ormancey, on ne promène pas un alambic comme ça. On ne l’achète pas davantage selon son seul bon plaisir. En effet, un alambic inutilisé entame une nouvelle vie si et seulement si son acquéreur est un syndicat de bouilleurs de cru. Sinon, « on doit le casser ». En clair, la machine est promise à la destruction. Le syndicat naissant de Bourg s’acquitte de 450 000 francs (NDLR des anciens francs, toujours) pour faire redémarrer l’alambic. Un modèle « à bain marie », qui, grâce à deux couches d’eau intermédiaires, épargne les fruits qu’il cuit, contrairement à celui « à feu direct ». André s’en sert deux ans plus tard. « Avant, c’était mon père qui distillait… c’était encore un truc… ». Son fils a le droit de le faire, il est propriétaire d’un verger de pommes, de mirabelles, de madeleines…. Toutefois, l’activité de bouilleur de cru est très réglementée. « Dans le temps, j’avais le droit aux mille premiers degrés gratuits, soit dix litres d’alcool pur ». Qu’il distille davantage, et il doit à l’époque « payer en plus les droits d’assise, à 100% ». Mais qu’une autre personnes, qui n’appartient pas au syndicat, se mette en tête de fabriquer son eau-de-vie, et, « dès le premier degré, il paie ». C’est la fédération nationale des syndicats des récoltants familiaux de fruits et producteurs d’eau-de-vie naturelle (FNSRPE), alors présidée par Guy Richard, qui a obtenu du législateur que tout propriétaire de verger soit autorisé à distiller 500°.
« On ne gaspillait pas»
« On a toujours fait de la goutte… pour le plaisir de faire de la goutte ». Le maire de Bourg Dominique Thiebaud qui est le président de la fédération départementale voit encore son grand-père revenir « vers 9 h » pour déjeuner, après avoir soigné les bêtes -il avait déjà quatre heures de travail derrière lui. « Il remplissait de goutte à moitié son bol en Arcopal pour accompagner son repas ». L’eau-de-vie se consomme alors comme du petit lait, et on lui prête des vertus fortifiantes. Reste que non et non, jamais personne n’en a versé une lichette dans le biberon des nourrissons, ça, c’est pour la légende. Or, précisément, « les gens se dépensent ». Aujourd’hui, notre rapport à l’alcool a bien changé et le tableau est proprement inimaginable… pour les bouilleurs de cru en premier lieu, désormais attachés strictement à perpétuer la tradition du propriétaire récoltant de fruits distillateur. Si le plaisir de faire de la goutte résiste au temps, hier, il correspondait aussi à un principe qui s’imposait dans les campagnes : on ne perd rien. « On ne gaspillait pas les fruits. On conservait les pommes à la cave comme on faisait de l’eau-de-vie des poires, des mirabelles… On distillait tout ». De sa production, on n’attendait pas davantage une recette en argent : « ça ne se vend pas ».
« La goutte, ça se garde cinquante ans »
« On ne boit plus de goutte ». André lui-même, qui a force distillé, vient de retrouver deux bombonnes d’eau-de-vie sous la table de son écurie. « Je les avais oubliées ! ». Il a juste vérifié leur titrage, sans même goûter. « Elles font toujours 54° ». Cet alcool-là ne bouge pas. « Ça se garde cinquante ans ». En revanche, André savoure son meilleur souvenir, qu’il tourne et retourne : une goutte à la poire -de la Williams. Le maire de Bourg est raccord : on ne fait pas mieux que cette espèce, les deux générations de bouilleurs se rejoignent dans leurs préférences. Dominique Thiebaud a beau faire partie, comme ses pairs, des défenseurs de la qualité de l’eau-de-vie, quand André est de celle qui a aussi connu l’époque où c’était la quantité qui comptait avant tout, il témoigne de la même passion pour ce breuvage à l’élaboration mystérieuse. Et qu’on se le dise, quand on parle de Williams, « c’est de la Williams qui n’est plus bonne à manger, mais qui n’est pas pourrie ». D’ailleurs, il n’y a pas de bonne goutte sans « bons produits », et d’Une. Les fruits doivent être sûrs, tout pile. « Verts, ils ne vont pas bouillir, mais pourrir ». Après, pour bouillir à proprement parler, « il faut un petit savoir-faire… ». Il y aurait « un coup de main » à prendre, dès la mise des fruits en tonneaux. « Ça s’apprend… ». Bon, pour la recette… merci de revenir, en somme. Tout juste le binôme concède-t-il à expliquer qu’après la première cuisson des fruits, qui fait « la petite eau – « la cuite »-, on améliore sans aller trop vite » -c’est alors « la repasse », qui descend le volume d’eau et augmente le degré d’alcool. Une étape qui résulte de « réglages ». Le mystère s’épaissit…
Objectif rattachement ministériel
« Tant qu’on pourra, on gardera le syndicat ». Dominique Thiebaud souligne que « même si ses adhérents ne distillent pas une année, ils paient leurs cotisations ». Or, pour ces moments de disette, des structures homologues s’en affranchissent. « Ce n’est pas du jeu ! ». La fédération a besoin de moyens sonnants et trébuchants pour protéger la production de goutte et le maintien des vergers -breuvage et paysage sont indissociables. « Avec Jean-Charles Cheritat (NDLR le président haut-marnais de la fédération nationale), notre combat, c’est d’être affiliés à un ministère ». Les bouilleurs pourraient relever du ministère de l’Agriculture, du ministère de l’Écologie ou bien encore du ministère des Finances. Toutefois, ce dernier peut-il encore être dans la course au rattachement ? « Jusqu’à présent, c’était la loi de finances qui fixait les droits d’assise. Aujourd’hui, c’est un décret. Or, si la loi se renouvelle, un décret s’applique tant qu’on n’y touche pas ». Et qui sait si une entrée dans le giron du ministère de l’Écologie ne serait pas la solution qui a le plus de sens ?
Fabienne Ausserre
f.ausserre@jhm.fr