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Albapetra : une “micro humanité” racontée par Pierre Bongiovanni

Bien connu dans le milieu culturel haut-marnais pour les expositions à la Maison Laurentine, sur les sites de Châteauvillain et Aubepierre-sur-Aube, Pierre Bongiovanni vient de publier son premier roman, « Albapetra ».

Localement, il est plus particulièrement connu pour être le commissaire d’exposition des nombreux opus des manifestations artistiques de la Maison Laurentine. Mais Pierre Bongiovanni vient d’installer une nouvelle corde à son arc : auteur de roman. Oeuvrant dans le domaine artistique depuis 40 ans, ce photographe, ce critique d’art, cet éditeur de revues et ce réalisateur (entre autres) vient de publier son premier roman aux Editions Sama/Esprit de résistance. Interview.

Jhm quotidien : Qu’est-ce qui a motivé l’écriture de ce premier roman ?

Pierre Bongiovanni : J’écris depuis toujours. Au collège j’écrivais les lettres d’amour enflammées des élèves en manque d’inspiration. Dans ma vie professionnelle j’ai écrit des quantités d’articles sur des sujets sérieux ou non et beaucoup de textes dédiés aux artistes que j’admire, parfois sous mon nom, parfois avec des pseudonymes plus ou moins fantaisistes. Je n’écris jamais de texte « à charge » et j’ai cessé depuis longtemps d’écrire des pamphlets vengeurs sur tels ou tels évènements. Mais c’est Rachel Deghati qui m’a proposé, puis convaincu, de publier les textes que je partageais avec elle, comme elle partageait les siens avec moi. Je n’aurais jamais rien publié de tel sous mon nom si elle n’avait pas créé les conditions pour que ces ouvrages finissent par exister. Il m’arrivait parfois de lire quelques extraits pour nos amis et artistes de passage à la Maison Laurentine et leurs yeux gourmands et brillants ont fini par me convaincre qu’il y avait là, peut-être, quelque chose à partager.

Jhm : Albapetra, c’est le nom que vous avez souhaité donner à votre premier roman. Le nom latin “Alba Petra” signifie “Pierre Blanche” et peut être raccordé au village d’Aubepierre-sur-Aube, où vous avez installé, il y a plusieurs années, un centre d’art discret

P. B. : Albapetra est effectivement aussi le nom latin d’Aubepierre-sur-Aube. Lorsque nous avons eu le projet de créer, avec Marie Solange Dubès, un centre d’art nous avons commencé par discuter avec le Maire, Jean-Michel Cavin, qui nous a formidablement bien accueilli et encouragé, comme ensuite les habitants du village, dont certains nous accompagnent chaque année au moment de la préparation des expositions estivales. Faire de notre village le lieu d’une fiction littéraire qui rassemble des êtres venus de partout sur la planète était donc une évidence.

Jhm : Qu’est qui a nourri votre roman ? Faut-il le voir comme une autre façon d’exprimer les messages que vous souhaitez faire passer par le biais des expositions que vous organisez notamment chaque été sur le site Le Chameau à Châteauvillain ?

P. B. : Oui tout est lié, même si un livre a ses propres singularités notamment de s’adresser à des lecteurs de partout. D’ailleurs, c’est ce qui est en train d’advenir : le livre commence à circuler dans d’autres régions de la francophonie.

Les points communs entre le livre et les manifestations artistiques que nous organisons sont multiples. Premièrement, le fol espoir dans les capacités de l’humanité à surmonter ses pulsions de destruction : cela représente un engagement de tous les instants. Deuxièmement, la nécessité de révéler à la fois la part sombre et la part lumineuse des êtres, sujet constant de nos manifestations comme nous l’avions formulé en 2017, avec l’exposition intitulée “ordinaire du désastre / permanence de la joie”. Et troisièmement, le souhait de toujours se rapprocher de “l’autre” qu’il soit proche ou lointain en les reconnaissant comme partie d’une même humanité. »

Jhm : Dans cet ouvrage, vous évoquez nombre de créatures qui peuplent Albapetra ? Qui sont-elles ?

P. B. : “Albapetra, fragments d’humanité dans un village du monde”, premier opus d’une trilogie, est un composé de cinq parties distinctes, complémentaires, qui sont, chacune, autant de manières différentes d’entrer dans le livre. Ces cinq parties sont les suivantes, la première est une description de que l’on croit savoir du village d’Albapetra et de ses habitants supposés. Même si le nom “Albapetra” est le nom latin d’“Aubepierre” où je vis, cela n’implique nullement que je raconte la vie des habitants du village réel. Il m’arrive d’utiliser des noms de rue, ou de lieux-dits, ou même parfois des surnoms réels mais c’est juste pour les commodités du récit. Pour les noms inventés des autres villages, par exemple “Arcencieux” on pensera sans doute à “Arc-en-Barrois”, et pour “Auberivesalte” à “Auberive”, mais ce qui advient dans ces localités reste de pure fiction.

La deuxième partie, intitulée “le cortège des âmes” réunit plusieurs dizaines de personnages, que le narrateur invite au fil de l’eau. Aucun de ces personnages n’a d’existence réelle et pourtant chacun parle aussi de nous et pour nous.

La troisième partie est composée des réflexions solitaires du narrateur, lorsque, comme cela arrive parfois, des pensées en désordre le traversent lorsqu’il erre dans les bois ou le long des rivières.

La quatrième partie rassemble des hypothèses sur l’aventure éternelle et intemporelle qui consiste à écrire, pour qui ? pourquoi ? Questions éternelles…

La partie finale est la lettre adressée par l’auteur à son éditrice par laquelle l’auteur s’attache à répondre à des questions concernant la genèse et les bases de son travail d’écriture.

Ces différents chapitres impliquent qu’“Albapetra” est à la fois un roman, un récit, un hommage aux “anges déchus” mais aussi un essai dédié au statut de l’écriture dans une période de mutations profondes de nos sociétés. Cela explique aussi pourquoi parfois les lectrices et lecteurs peuvent se sentir quelque peu surpris ; mais c’est une volonté assumée de ma part que d’inscrire la fiction dans un contexte plus global qui questionne le statut d’auteur, les responsabilités du lecteur, la société dans laquelle nous vivons et les manières que nous avons de concevoir l’avenir. »

Jhm : Votre ouvrage constitue la première publication des Editions Sama. Vous avez partagé avec leur fondatrice Rachel Deghati la conception des dernières expositions de la Laurentine. Cette confiance mutuelle était-elle primordiale pour cette première fois respective ?

P. B. : Il se trouve que Rachel Deghati avait le désir d’ouvrir sa propre Maison d’édition, “les éditions Sama / esprit de résistance”, et il se trouve qu’“Albapetra, fragments d’humanité dans un village du monde” est son premier ouvrage publié. Lancer une nouvelle entreprise d’édition dans le contexte actuel est un acte courageux, tellement le secteur éditorial est en crise profonde du fait des concentrations féroces (faire de l’argent à tous prix) et de la menace potentielle des Intelligences Artificielles qui ont pour effet d’inonder le marché de productions textuelles vite produites, vites consommées et vite oubliées. Les éditions Sama font le pari que les lecteurs seront les constructeurs des ponts à construire pour enjamber les gouffres… Et c’est pour nous le souffle salvateur dont nous avions besoin pour résister, de toutes les manières possibles, à l’évanouissement et à la vacuité.

Le second volet de la trilogie

Jhm : Ce premier roman “Albapetra, fragments d’humanité dans un village du monde” aura une suite : “Albapetra, fragments d’une révolution dans un village du monde”. Vous êtes d’ailleurs en cours d’écriture de ce deuxième roman. Le révolté calme que vous êtes, va conduire le village d’Albapetra vers quel destin ?

P. B. : “Albapetra, fragments de révolutions dans un village du monde” réunira une dizaine de personnages, certains déjà présents dans le premier et d’autres récemment arrivés jusqu’à Albapetra. Chacun de ces êtres, dépositaires de parcours de vie chaotique, labyrinthiques ou lumineux prendra la parole devant l’assemblée constituée de ces voyageurs en transit pour tenter d’élucider les raisons de sa présence en ce lieu, tout en se débarrassant méthodiquement, un par un, des faux semblants qui leur servirent de béquilles tout au long de leur chemin. Chacun des personnages sait pouvoir compter sur l’attention silencieuse de tous les autres. Chacun a le pressentiment qu’une invraisemblable communauté pourrait advenir de ce séminaire clandestin. Chacun est là en conscience et incarne la liberté tellurique des âmes propulsées vers demain.

Car pour chacune et chacun, demain est à l’ordre du jour qui constituera le menu gourmand du troisième volet intitulé “Albapetra, fragments de constellations dans un village du monde”. Evidemment ce parcours d’écriture est aussi un marathon de longue haleine à réaliser dans un temps court : quelques années tout au plus, et cela dans un contexte de mutations globales qui annoncent toutes, chacune à leur manière, ce que Rachel a nommé avec beaucoup d’acuité “le débâtissement du monde”.

Ce “débâtissement”, le mot fait peur, mais nous oblige à voir plus grand, plus haut, plus radicalement, plus clandestinement aussi, et à instruire des protocoles d’écriture, de pensées et d’actions qui nous autorisent à parler, encore et encore de la joie, sans sombrer dans le ridicule.

Propos recueillis par notre correspondante Catherine Jeanson

Pour l’instant le livre est disponible sur le site de l’éditeur www.samaeditons.com ; également à la Maison Laurentine ou l’épicerie du village à Aubepierre-sur-Aube (le cocos’bar). Il sera courant février sur toutes les plateformes de vente en ligne. Puis, à partir de fin mars en librairie.

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