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Affaire Meunier-Ardinat-Bruyère – 3ème journée

«Je n’ai pas de haine envers eux»

Marquée par la dignité de la mère de Cyrille Segard, la troisième journée du procès de Steven Ardinat, Kévin Bruyère et Mathieu Meunier n’aura pas permis définir les implications de chacun, les accusés livrant trois versions contradictoires.

 

La dignité d’une mère aura tranché avec le laxisme narcissique de trois accusés incapables de livrer un juste déroulement des faits. Les craintes de chacun auront étouffé une vérité à jamais cloisonnée dans les non-dits, mensonges et contradictions de Steven Ardinat, Kévin Bruyère et Mathieu Meunier.

A 17 h 55, la mère de Cyrille Segard s’avançait à la barre. Après avoir décrit l’enfance douloureuse du défunt, l’altesse se tournait vers le box des accusés avant de fixer, droit dans les yeux, les bourreaux de son fils. «Je n’ai pas de haine envers eux, je les plains, leur vie est brisée», lançait la mère de Cyrille Segard. Palpable, l’émotion gagnait l’assistance. Une femme venait d’éclairer de son humanisme trois hommes enfermés dans une piteuse et égoïste logique.

Quatre heures durant, Steven Ardinat, Kévin Bruyère et Mathieu Meunier auront livré des versions fourmillant d’imprécisions et de déclarations discordantes. Concédant avoir «repoussé Segard» avant de lui asséner un violent coup de pied à la face, Mathieu Meunier attribuait à Steven Ardinat la présence d’une bouteille d’essence ramenée sur les lieux du crime suite à une première série de violence. «Bruyère a versé l’essence sur Segard et Ardinat a mis le feu. J’ai entendu comme des rugissements et Bruyère a lancé à plusieurs reprises une pierre sur Segard.» Une pierre de huit kilos venue s’écraser sur le visage d’une victime toujours en vie après avoir été brûlée aux deuxième et troisième degrés sur 70 % du corps. «N’avez-vous jamais pensé à alerter les secours», lançait Me Gromek, au nom de la mère du défunt. «Ça ne m’est pas venu à l’idée», répondait Mathieu Meunier. «Ne devez-vous pas la vérité à Cyrille Segard ? C’est important pour la maman de la victime, pour ses enfants, c’est également important pour vous», poursuivait l’avocate. «Je ne sais pas quoi vous répondre», affirmait, d’une voix frêle, un accusé prostré et incapable d’exprimer la moindre excuse à l’adresse des parents et proches du défunt. «L’enjeu n’est pas de sauver sa peau, mais de faire preuve de dignité devant la famille de la victime», conclura Me Henriot sans parvenir à arracher la moindre réaction de son client.

A chacun sa version

«Mathieu Meunier n’assume pas ses actes», affirmait Kévin Bruyère avant de livrer sa vérité. L’accusé reconnaissait une première phase de violences impliquant les trois accusés ponctuée par un coup de pied porté par Mathieu Meunier. «Nous avons pensé qu’il était mort», poursuivait Kévin Bruyère avant d’admettre avoir versé l’essence sur la victime. «Meunier est venu avec un briquet et il a allumé le corps, Segard a un peu bougé, j’ai pris peur, j’ai jeté une pierre sur Segard sans pouvoir le regarder. Ardinat et Meunier ont également frappé Segard avec cette pierre.» Avocat général, Géraldine Moré renvoyait l’accusé aux multiples versions présentées à enquêteurs et juge d’instruction. «Vous avez tellement menti dès le départ qu’il est difficile de vous croire», soulignait la représentante du Ministère public. «Meunier et Ardinat se sont absentés pendant quinze minutes avant de revenir avec une bouteille d’essence, Segard a t-il bougé pendant cette période», questionnait Me Charlot, avocat de Kévin Bruyère. «J’étais accroupi derrière un arbre, il n’a pas bougé, je pensais qu’il était mort», répondait l’accusé. Il n’était pas question de coup de folie bref et soudain. De longues minutes auront filé entre le premier coup et la mise à mort de la victime. Kévin Bruyère ne sera pas parvenu à retrouver une once de raison.

Minimisant son implication, Steven Ardinat reconnaissait avoir porté «une ou deux claques». Bruyère aurait ensuite versé l’essence sur le corps, Meunier assurant la mise à feu. Eloigné de la scène du crime, l’accusé aurait entendu trois bruits sourds. «Meunier m’a dit que Bruyère avait lancé la pierre à trois reprises sur Segard», indiquait Steven Ardinat avant de se dire «désolé».

Les aveux tant attendus n’auront pas surgi au cours d’une audience éprouvante. La dernière journée sera notamment marquée par le réquisitoire de l’avocat général et les plaidoiries des conseils des accusés. Le verdict est attendu en début de soirée.

 

Témoignage de la mère de Cyrille Segard

«Je n’ai jamais eu le bonheur de le voir une dernière fois»

Mardi, un examen – partiel – de la personnalité de Cyrille avait laissé percevoir une profonde marginalité. Assise au premier rang de l’espace réservé à l’assistance, la mère de la victime a marqué les esprits par sa dignité, son humanisme, son calme et sa peine. Les informations communiquées par l’altesse ont permis à magistrats et jurés de cerner une partie de la personnalité du défunt. «Cyrille était serviable, aimant et toujours prêt à rendre service, indiquait le témoin. Cyrille a voulu travailler très jeune, il a déserté l’école, il préférait aller au bois. (…) Il a quitté la maison à 22 ans, il a fait des bêtises, mais il a payé ses erreurs !»

Interrogée par le président Theuret, la mère de la victime a fait état d’un parcours familial particulièrement douloureux. «J’ai eu douze enfants, une de mes filles est morte d’une méningite, une de mes filles s’est noyée, une de mes filles a été tuée par un tracteur et Cyrille a été assassiné, a révélé le témoin. Mon mari est décédé, il était violent, Cyrille était son souffre-douleur et il était régulièrement corrigé à coups de ceinture ou à coups de poing. Cyrille ne buvait pas, puis il est parti et je n’ai pas eu de nouvelles de lui jusqu’à sa première incarcération. Je me cachais de son père pour répondre à ses courriers. Après sa dernière incarcération, il devait venir me voir, mais je n’ai jamais eu le bonheur de le voir une dernière fois. Cyrille ne méritait pas de mourir ainsi. Je n’ai pas de haine envers eux, je les plains, leur vie a été brisée.»

 

Plaidoirie de Maître Chapusot (avocate représentant les enfants de Cyrille Segard)

«La voix de trois orphelins»

Représentant les enfants de la victime, Me Chapusot a livré une plaidoirie caractérisant les souffrances endurées par trois orphelins. «Quelle dignité, quelle dignité que celle de cette maman venant fixer droit dans les yeux les trois accusés sans exprimer la moindre haine, soulignait l’avocate, en écho à la leçon de vie livrée par la mère de Cyrille Segard. Je ne peux malheureusement pas dire que les trois enfants n’ont pas de haine envers les accusés, ils souffrent tous les jours de l’absence de leur père. Je suis la voix de trois orphelins de père, pas parce monsieur Segard a manqué un virage au volant de sa voiture, mais parce que ces trois personnes ont massacré un homme, oui, massacré, il n’y pas d’autre mot ! Je ne me demande pas qui a donné les coups de poing, de pied, de pierre ou de poing américain, les trois ont frappé et pas un seul n’a tenté de mettre un terme à tout ça ! Messieurs Bruyère et Meunier sont pratiquants, mais la bouteille d’essence n’est pas arrivée par le hasard du Saint-Esprit. Il ont entendu des “ronflements” avant d’achever monsieur Segard. Ne soyez pas dupes, en trois ans de détention, ces hommes là n’ont pas changé, ils sont violents, ils le seront toujours, ils présentent une véritable dangerosité sociale. La drogue et l’alcool n’ont jamais été des circonstances atténuantes, les accusés ont eu une enfance difficile, mais tous les enfants placés ne finissent pas dans ce box. (…) Mathieu Segard buvait, mais il était présent pour ses enfants. Le matin de sa mort, à 8 h 30, il les accompagnait au centre aéré. Les enfants y vont désormais sans leur père ! La mère a emmené les deux plus grands sur la tombe de leur père, la pierre tombale n’avait pas encore été posée et les enfants ont gratté la terre pour voir leur père. Un des fils de monsieur Segard est venu à ma rencontre il y a mois. Nous avons parlé de la peine encourue par les accusés. Il m’a demandé “la prison longtemps, c’est plus long que la prison à vie”, je lui ai répondu et cet enfant de neuf ans m’a dit “je veux qu’ils aillent en prison à vie, mon père, je ne le reverrai jamais”. Je n’ai pas su quoi lui répondre. Je laisse à la Cour le soin de le faire.»

 

Version de Mathieu Meunier

«L’enjeu n’est pas de sauver votre peau»

Entouré de deux policiers, Mathieu Meunier a été le premier à s’avancer à la barre, hier matin. Durant plus d’une heure, l’accusé aura tenté de répondre à de nombreuses questions. Tête et voix basses, longiligne, épaules tombantes, crâne rasé, pull “lie de vin”, comme prostré, entre réponses étayées, laconiques et longs silences, Mathieu Meunier a fait valoir sa version des faits. Morceaux choisis…

Président Theuret : «Avant d’en arriver aux faits, pouvez-vous nous replacer dans le contexte de cet été 2009 ?»

Mathieu Meunier : «J’étais en formation à l’EPIDe de Belfort, j’ai été mis à pied et je suis retourné à Langres, chez mon père. J’avais décroché un contrat et je devais retourner à Belfort.»

Président Theuret : «Vous avez repris contact avec Ardinat et Bruyère une fois à Langres, vous n’aviez pas d’autres connaissances ?»

Mathieu Meunier : «Je connais Steven (Ardinat) depuis le CP et je connaissais bien le demi-frère de Kévin (Bruyère).»

Président Theuret : «Ardinat et Bruyère avaient une petite réputation à Langres, ils affichaient une série de condamnations, ça se savait…»

Mathieu Meunier : «Je ne le savais pas forcément. J’ai été à Bar-le-Duc, Charleville et Belfort et quand je revenais le week-end, je passais du temps avec mon père.»

Président Theuret : «C’est un peu difficile à entendre… Parlez-nous de monsieur Segard ?»

Mathieu Meunier : «Il connaissait Ardinat… J’ai eu un contentieux avec Segard au sujet d’un téléphone portable, ce devait être en 2006. Je ne l’appréciais pas particulièrement, je le saluais en ville, sans plus…»

Président Theuret : «L’avez-vous vu les jours précédents les faits ?»

Mathieu Meunier : «Oui, deux ou trois fois, notamment à l’occasion d’un barbecue, mais je suis parti tôt.»

Président Theuret : «Vous avez déclaré aux gendarmes que Steven Ardinat vous considérait comme une balance, vous aviez fait le premier pas pour renouer une amitié…»

Mathieu Meunier : «Oui, en effet, mais nous ne nous sommes jamais véritablement expliqués.»

Président Theuret : «Venons-en aux faits !»

Mathieu Meunier : «Nous avons passé l’après-midi ensemble, puis nous nous sommes retrouvés chez le père de Steven. Segard a appelé Kévin par la fenêtre, il a voulu rentrer, mais le père de Steven ne voulait pas. Segard voulait nous offrir à boire, nous sommes partis avec lui. Segard était complètement ivre. Nous n’avions pas l’habitude de nous rendre à cet endroit, c’était calme, la nuit commençait à tomber et nous avons bu. J’avais déjà consommé de l’alcool l’après-midi.»

Président Theuret : «Une fois sur les lieux, vous parlez à Segard de ce que vous confié “la Gothique”, la compagne de Segard. Elle lui reprochait de ne pas vouloir mette “le Polonais” à la porte…»

Mathieu Meunier : «Je ne savais pas tout ça, je savais juste qu’elle cherchait Segard. On lui en a parlé et il a voulu partir et ça a commencé à devenir violent. Bruyère a mis des claques à Segard, il n’a pas répliqué, ça m’a surpris… Puis Bruyère a tenté de monter Segard contre moi. Bruyère voulait que je montre comment je me battais. Je me suis levé, j’ai repoussé Segard et il est tombé. On l’a relevé avec Bruyère, nous l’avons assis sur le banc et nous avons continué à boire. Ardinat a commencé à s’en prendre à Segard au sujet d’une dette. (…) Segard a voulu partir, nous lui avons frappé dessus tous les trois, nous lui avons mis des coups de pied et de poing. Ardinat avait frappé en premier. Segard était accroupi et je lui ai mis un coup de pied dans la tête. Il s’est écroulé.»

Président Theuret : «Vous n’étiez pas concerné par le conflit entre Ardinat et Segard, pourquoi avoir porté ce coup de pied ?»

Mathieu Meunier : «Je ne sais pas, l’alcool, l’effet de groupe… J’ai essayé de le réanimer, il ne se réveillait pas, son visage était couvert de sang. Steven et moi sommes partis une bouteille d’eau chez son père. Nous en avons profité pour ramener son fils.»

Président Theuret : «Pourquoi vous ? Bruyère et Ardinat étaient très proches…»

Mathieu Meunier : «Je ne sais pas… Une fois à l’appartement, je me suis lavé les mains, j’ai rempli une bouteille d’eau, Steven avait un sac dans la main, son père était dans le salon… Nous sommes repartis. A notre arrivée, Segard n’avait pas bougé, j’ai versé de l’eau sur sa tête, il n’a pas réagi. Kévin a sorti la bouteille d’essence du sac et et il aspergé Segard.»

Président Theuret : «Comment savait-il qu’il y avait de l’essence sur place, il était resté sur place. Lui aviez-vous dit que vous alliez chercher de l’essence ?»

Mathieu Meunier : «Oui, peut-être… Bruyère a versé l’essence sur Segard et Ardinat a mis le feu. J’ai entendu comme des rugissements et Bruyère a lancé à plusieurs reprises une pierre sur Segard.»

Président Theuret : «Bruyère vous implique dans l’incendie et les jets de pierre. Pour quelle raison ?»

Mathieu Meunier : «Je ne sais pas…»

Président Theuret : «Seriez-vous en mesure d’assumer avoir participé à la mise à feu ?»

Mathieu Meunier : «Oui !»

Président Theuret : «La brûlure décelée sur votre né pour trouver son origine d’un retour de flamme…»

Mathieu Meunier : «Non, je me suis brûlé le lendemain avec un briquet.»

Président Theuret : «Vous n’avez pas de chance, il y avait un jour où ne pas se brûler avec son briquet, c’était ce jour là ! (…) Vous dites aux enquêteurs “on a attendu qu’il brûle et Bruyère a jeté la pierre à trois reprises, Segard continuait à crier”…»

Mathieu Meunier : «Oui, ça m’a fait encore plus paniqué»

Président Theuret : «Deux points de combustion distants d’un mètre vingt ont été repérés. Monsieur Segard a bougé ?»

Mathieu Meunier : «Non, il criait, mais il n’a pas bougé.»

Président Theuret : «C’est peut-être trop dur à dire… Après les faits, vous avez préparé vos emplois du temps et vous n’avez pas craqué lors de votre première audition…»

Mathieu Meunier : «J’ai dit ce que nous avions prévu de dire…»

Président Theuret : «Quand avez-vous compris qu’il y avait de l’essence dans le sac de Steven Ardinat ?»

Mathieu Meunier : «Sur le chemin du retour ! Je ne l’ai pas vu prendre la bouteille d’essence à l’appartement.»

Président Theuret : «Vous avez éclairé le visage de Segard lorsque Bruyère a lancé la pierre !»

Mathieu Meunier : «Oui !»

Président Theuret : «Vous évoquez des coups portés par Ardinat avec un coup de poing américain…»

Mathieu Meunier : «Oui, au début, mais je n’ai rien vu…»

Président Theuret : «Vous avez dit tout et son contraire dans vos déclarations successives. Avez-vous vraiment cru que Segard était mort avant de retourner à l’appartement ?»

Mathieu Meunier : «Oui !»

Représentant la mère de Cyrille Segard, Me Gromek haussait le ton.

Me Gromek : «Comment réagissez-vous à la vue du sang ?»

Mathieu Meunier : «Ca ne me panique pas.»

Me Gromek : «Aviez-vous déjà vu autant de sang ?»

Mathieu Meunier : «Non, c’était la première fois.»

Me Gromek : «La victime avait le visage en sang, vous aviez du sang sur les mains, n’avez-vous jamais pensé à alerter les secours ?»

Mathieu Meunier : «Ça ne m’est pas venu à l’idée ! Je ne me l’explique pas.»

Me Gromek : «Vous êtes catholique, vous croyez en Dieu, quand on est chrétien, n’a t-on pas pour premier réflexe de porter secours à une victime ?»

Mathieu Meunier : «Si, mais je n’ai pas réagi…»

Me Gromek : «Pourquoi être parti avec Steven Ardinat ?»

Mathieu Meunier : «Pour chercher de l’eau !»

Me Gromek : «Juste pour l’eau, pas pour l’essence ? C’est un mensonge monsieur, vous parlez devant les enquêteurs de Steven prenant une bouteille de mélange pour cyclomoteurs sur le balcon de l’appartement. Pourquoi dire le contraire aujourd’hui ?»

Mathieu Meunier se réfugiait dans un profond silence.

Me Gromek : «Ne devez-vous pas la vérité à Cyrille Segard ? C’est important pour la maman de la victime, pour ses enfants, c’est également important pour vous !»

Mathieu Meunier : «Je ne sais pas quoi répondre.»

Me Gromek : «Vous savez Segard vivant, vous voyez Bruyère prendre une bouteille d’essence, qu’avez-vous compris à cet instant ?»

Mathieu Meunier : «Je ne sais pas…»

Me Gromek : «Quel regard portez-vous sur cette nuit du 16 juillet ?»

Mathieu Meunier : «C’est un cauchemar !»

Me Gromek : «Quand vous voyez Bruyère prendre la pierre de huit kilos et la jeter sur la victime, vous venez en aide de Bruyère en éclairant le visage de Segard…»

Mathieu Meunier : «Je n’avais pas conscience de la gravité des faits.»

Me Gromek : «Vous êtes resté là à regarder Bruyère lancer une pierre de huit kilos à trois reprises sur la victime…»

Mathieu Meunier : «Oui !»

Me Gromek : «Monsieur, j’espère que vous arriverez un jour à regarder la vérité en face !»

Avocat général, Géraldine Moré s’enquérait d’un éventuel sentiment d’infériorité influençant un accusé étranger à tout acte de violence avant le déferlement de sévices survenu le 16 juillet 2009.

Géraldine Moré : «Vous enviez assez que Segard votre traite de gamin…»

Mathieu Meunier : «Oui !»

Géraldine Moré : «Et vous vouliez prouver à vos camarades que vous étiez capable de vous battre…»

Mathieu Meunier : «Oui !»

Géraldine Moré : «Vous dites l’avoir cru mort, puis vous allez chercher de l’eau…»

Mathieu Meunier : «Oui !»

Géraldine Moré : «Avez-vous bu après les faits ?»

Mathieu Meunier : «Non !»

Géraldine Moré : «Le médecin évoque, au sujet de la lésion sur votre nez, une brûlure susceptible d’avoir été générée par la flamme d’un briquet, mais uniquement suite à une consommation d’alcool ou de stupéfiants. Vous dites vous être brûlé le lendemain des faits. Le lendemain, vous n’étiez plus sous l’effet de l’alcool…»

Mathieu Meunier : «Je ne me sentais pas bien.»

Géraldine Moré : «Qui a mis le feu ?»

Mathieu Meunier : «Steven !»

Géraldine Moré : «Qu’avez-vous pensé, le lendemain, quand Steven Ardinat et Kévin Bruyère sont partis sans vous ?»

Mathieu Meunier : «J’ai pensé qu’ils m’abandonnaient.»

Avocate de l’accusé, Me Henriot appelait son client à se livrer.

Me Henriot : «L’enjeu n’est pas de sauver votre peau, mais de faire preuve de dignité devant la famille de la victime. Après le coup de pied, que se passe t-il ?»

Mathieu Meunier : «Il ne bouge plus, j’essaie de le relever…»

Me Henriot : «Une décision est-elle prise à ce moment là ?»

Mathieu Meunier : «Je ne me souviens pas…»

Le président Theuret interrompait l’avocate de l’accusé afin d’apporter une réponse à une question susceptible de conforter la préméditation du crime de sang.

Président Theuret : «Oui ou non ?»

Mathieu Meunier : «Non !»

Me Henriot poursuivait son interrogatoire.

Me Henriot : «Avec Steven Ardinat, n’avez-vous jamais eu l’idée de brûler le corps ?»

Mathieu Meunier : «Non ! Je me suis rendu compte que Steven avait de l’essence sur le chemin du retour.»

Me Henriot : «Pourquoi ne pourriez-vous pas être à l’origine du feu ? Comment s’est passé la mise à feu ?»

Mathieu Meunier : «Ardinat a sorti un briquet, il y a eu un retour de flammes…»

Me Henriot : «Je vous pose cette question pour la dernière fois, la famille de la victime est dans la salle, avez-vous mis le feu au corps ?»

Mathieu Meunier : «Non ! J’ai paniqué quand le corps a brûlé, j’ai cru qu’il était mort, j’ai entendu du bruit, Kevin a pris une pierre, je ne sais pas pourquoi il a fait ça. (…) Le pire, c’est de ne pas avoir essayé de le sauver.»

 

Version de Kévin Bruyère

«Je dois la vérité à la famille de monsieur Segard»

Qualifiant tout assassinat, la préméditation des faits a plané sur des débats visant à établir un strict et exact déroulement des faits. Particulièrement disert, Kévin Bruyère n’aura pas tardé à décrire les scènes d’horreur vécues par les accusés. «J’ai retrouvé Steven Ardinat et Mathieu Meunier vers 20 h ou 20 h 30 chez Alain Ardinat, le père de Steven, a indiqué le prévenu avant de se lancer dans un long monologue. Cinq ou dix minutes plus tard, monsieur Segard est arrivé, il a toqué à la fenêtre, il souhaitait que nous parlions d’un différend autour d’une bouteille de whisky. Steven ne voulait pas qu’on reste chez son père, Segard a versé un ou deux verres au père de Steven et nous sommes partis. Nous avons bu la bouteille et nous avons discutés de quelques problèmes. Segard s’est emporté, il a voulu partir, je n’ai pas aimé ce qu’il a dit. Je l’ai poussé et il s’est pris les pieds dans un banc. Segard s’en est ensuite pris verbalement à Mathieu Meunier, Mathieu l’a poussé, monsieur Ardinat également.»

Kévin Bruyère admettait avoir porté «une ou deux claques» durant cette première phase de violence ponctuée par le coup de pied à la face «porté par Mathieu Meunier», «un coup mal placé et trop fort». La suite ? Effrayante… «Segard était inconscient, Meunier a voulu lui prendre le pouls et il lui a mis quelques claques. J’ai également tenté de prendre son pouls. Nous avons entendu du bruit, comme des ronflements, mais nous pensions qu’il était mort. (…) Meunier voulait se nettoyer les mains, il est parti avec monsieur Ardinat et son fils. (…) Quand ils sont revenus, j’ai ouvert le sac, j’ai pris la bouteille et j’ai renversé l’essence sur le corps. Meunier est arrivé avec un briquet et il a allumé le corps. Meunier s’est pris un retour de flammes. Segard a bougé un peu, ses bras et ses jambes bougeaient, mais il n’a pas crié. J’ai pris peur, j’ai jeté une pierre sur Segard sans pouvoir le regarder. Ardinat a fait la même chose, Meunier également.»

Au cours de son récit, Kévin Bruyère faisait état d’une volonté délibérée d’éliminer un corps laissé à l’abandon au triste milieu d’une clairière. «Nous étions allés trop loin, nous étions presque certains qu’il était mort. (…) J’ai vu ses membres bouger et j’ai pris une pierre.» L’accusé veillait également à mettre en doute la crédibilité des déclarations de Mathieu Meunier. «Il n’assume pas ses actes, il met tout sur le dos des gens», assurait l’accusé. «Vous chargez Mathieu devant le juge d’instruction et devant nous, c’est peut-être beaucoup pour un seul homme», soulignait le juge Theuret. «J’assume, j’ai renversé l’essence sur le corps et lancé la pierre, une seule fois», répondait Kévin Bruyère. «Que pouvez-vous nous dire au sujet d’un poing américain», poursuivait le magistrat. «Monsieur Ardinat l’a sorti avant le coup de pied porté par Meunier et il a mis deux ou trois coups avec», affirmait l’accusé.

«Faire disparaître le corps»

Me Gromek mettait en lumière des éléments contradictoires. «Vous dites être partis tous les trois sans souhaiter en découdre avec Cyrille Segard, il veut partir une première fois, vous ne voulez pas qu’il parte avec la bouteille puis vous l’empêchez de partir une seconde fois, alors qu’il veut vous laisse le magnum, n’est-ce pas étonnant de la part de personnes ne cherchant pas à en découdre», soulignait l’avocate. «Je l’ai empêché de partir la première fois, pas la deuxième. Ensuite les coups sont partis, nous l’avons frappé tous les trois.» Ivre, Cyrille Segard aurait tenté de porté quelques coups sans pouvoir se défendre. «Vous parlez de coups de poing, de pied, de poing américain puis du coup de pied porté par Meunier, Segard était au sol, pourquoi ne pas vous être arrêtés là», questionnait l’avocate. «Après le coup de pied de Meunier, nous pensions qu’il était mort», répondait Kévin Bruyère.

Me Gromek portait à nouveau l’estocade. «Vous passez seul quinze minutes à côté de Segard, il fait nuit noire, vous êtes dans un bois et le corps d’un homme que vous pensez mort est à côté de vous, n’avez-vous jamais pensé à alerter les secours», lançait l’avocate. Kévin Bruyère évoquait une «panique totale» avant de faire état d’un certain agacement. «Je l’ai déjà expliqué, quand ils sont revenus, ils m’ont dit qu’ils avaient de l’essence», assurait l’accusé. Quelques minutes plus tôt, ce dernier avait fait état de la volonté du groupe de «faire disparaître le corps». En perpétuel mouvement, manifestement tendu, Kévin Bruyère faisait état d’un profond sentiment de culpabilité. «Pour être honnête, je me demande si j’arriverais un jour à me le pardonner, on ne peut pas donner la mort à un homme, surtout de cette manière…»

«Vous avez tellement menti»

L’avocat général revenait aux racines du mal. «Vous considérez-vous comme un homme violent», questionnait Géraldine Moré. «Je n’arrivais pas à parler, j’étais violent, le suivi psychologique engagé en prison m’a beaucoup aidé. Et puis ce soir là, l’effet de groupe a joué», répondait l’accusé. «Vous avez tellement menti, dès le départ, qu’il est difficile de vous croire», poursuivait l’avocat général avant d’évoquer un détail caractérisant l’état d’esprit de l’accusé : Kévin Bruyère a eu une relation sexuelle quelques heures après les faits…

«Je dois la vérité à la famille de monsieur Segard», affirmait le père de famille, réitérant le synopsis d’un triste scénario. «Vous dites avoir voulu brûler un cadavre», lançait la représentante du Ministère public. «Le mot “grave” n’est pas adapté, si on m’avait raconté ça, j’aurais trouvé ça inimaginable», concédait Kévin Bruyère.

Me Charlot tentait de voler au secours de son client. «Lorsque vous parlez du coup de pied en pleine face de Meunier, vous dites avoir pensé que Segard était tombé sur une pierre», soulignait l’avocat. «Je l’ai pensé, il y avait tellement de sang. (…) Quand je suis resté seul, j’étais accroupi derrière un arbre, Segard n’a pas bougé.»

Parrain du fils de Steven Ardimat, l’accusé était à nouveau malmené, Me Henriot – conseil de Mathieu Meunier – émettant des doutes quant à la réalité d’une déclaration incriminant son client. «Vous parlez d’un retour de flammes, Mathieu Meunier a seulement été brulé à la narine gauche, les sourcils n’ont pas été brûlés», soulignait l’avocate. «J’ai vu le retour de flammes de mes propres yeux et plus tard, j’ai vu la brûlure sur le nez de Mathieu», répondait Kévin Bruyère. «Au départ, vous prenez tout sur vous, pourquoi ne pas avoir incriminé Mathieu Meunier dés le départ», interrogeait l’avocate. «Je l’ai impliqué après», répondait l’accusé…

 

Version de Steven Ardimat

«J’ai juste mis des claques»

Evoluant dans un milieu interlope, accusés et victime entretenaient des différends. «Quand Segard était en prison, j’ai appris qu’il en voulait après moi, soulignait Steven Segard dès les premières minutes d’un interrogatoire mené par le président Theuret. Langres est une petite ville, j’en ai entendu parler, mais je ne comprenais pas, je n’avais jamais été impliqué dans une affaire avec lui. Segard était une connaissance de mon père, quand il est sorti de prison, j’ai pu discuter avec lui et il a nié vouloir s’en prendre à moi.» Une querelle avait pourtant éclaté avec Cyrille Segard à l’occasion d’un barbecue. «J’avais des béquilles, Kévin Bruyère est intervenu, mais il ne s’est rien passé, Segard ne m’e voulait pas», affirmait l’accusé.

Après avoir croisé Cyrille Segard dans l’après-midi du sinistre 16 juillet 2009, Kévin Bruyère a reçu, à l’appartement de son père, la visite de la victime. «J’ai pris mon fils avec moi, nous sommes partis boire la bouteille de whisky, il n’était pas prévu de lui faire la misère, soulignait l’accusé. Segard nous a mal parlé, Kévin Bruyère s’est interposé, Segard s’en est pris à Mathieu Meunier, ça ne lui a pas plu, et il l’a poussé, Segard s’est relevé et il est venu se rasseoir. J’ai ensuite parlé à Segard d’une somme d’argent qu’il doit à mon père. Il a répondu qu’il me rembourserait avec l’argent de ses enfants, ça nous a énervé, je lui ai mis des gifles, puis Meunier a porté le coup de pied à la tête.»

Minimisant ses violences aux dites claques, Steven Ardimat accablait Mathieu Meunier et Kévin Bruyère. «Je voulais ramener mon enfant, Mathieu est venu avec moi, pendant que je couchais mon fils, Mathieu a trouvé une bouteille d’essence, il l’a mis dans un sac, je n’ai pas posé de question. (…) Nous sommes repartis sur les lieux, Segard n’avait pas bougé, Kévin Bruyère a pris la bouteille, il a versé l’essence et Meunier a allumé le corps. Il a été brûlé par le retour de flammes. J’ai voulu partir, je me suis mis à l’écart et j’ai entendu trois coups, Kevin et Mathieu sont venus me rejoindre et Mathieu m’a dit, “Kévin a mis trois coups de pierre”. (…) Nous sommes repartis chez mon père.»

Le président Theuret rappelait l’accusé à ses déclarations fluctuantes à enquêteurs et juge d’instruction. «Vous êtes certainement celui qui a le plus changé d’explications au cours du dossier. Au départ, vous savez que Bruyère va tout se mettre sur le dos par amitié pour vous et vous l’incriminez avant de changer de version. Plus tard, devant le juge d’instruction, vous apporterez des déclarations surréalistes sur la bouteille d’essence. (…) Aujourd’hui, il y a un grand blanc lorsqu’on vous interroge sur un éventuel déplacement de la victime», regrettait le magistrat, en écho à la présence de deux zones de combustion sur les lieux du crime. Face à l’absence de réponse, le magistrat interrogeait l’accusé au sujet des coups portés à l’aide d’un poing américain. «J’ai juste mis des gifles», répétait le prévenu. «Vous estimez avoir une responsabilité inférieure aux autres, dites le», tonnait le président Theuret. Steve Ardimat acquiesçait.

«Nous avons décidé de le brûler»

«Pourquoi avoir emmené votre fils avec vous», questionnait Me Gromek. «Je ne le voyais pas souvent, il ne faisait pas nuit, je voulais profiter un peu de mon fils», osait l’accusé. «En l’emmenant boire avec vous, dans un bois, votre enfant avait cinq mois. (…) Il était à deux mètres de vous lorsque Segard a été frappé. (…) Au bout de trois jours de procès, vous continuez à vous moquer de la Cour», regrettait l’avocate. «Comment Meunier a pu trouver l’essence chez votre père», questionnait Me Gromek. «Il savait très bien où était rangé le mélange, mon frère avait un cyclomoteur. (…) Nous étions partis chercher de l’eau, pas de l’essence», rétorquait Steven Ardinat. «Et vous n’avez à aucun moment demandé à Meunier pour quelle raison il avait pris une bouteille d’essence», renchérissait Me Gromek. «Nous n’en avons pas parlé, ni à l’appartement, ni sur le chemin, affirmait l’accusé avant de lâcher une phrase lourde de sens. A notre retour, Segard n’avait pas bougé, nous avons décidé de le brûler, je ne sais pas qui a trouvé l’idée, nous voulions trouver une solution.»

Steve Ardimat continuait à nier avoir participé ou assisté aux jets de pierre sur la face d’une victime brûlée sur 70 % du corps. Sans un regard vers les membres de la famille du défunt, l’accusé exprimait de profonds regrets. «Enlever la vie à quelqu’un, il n’y a rien de plus grave, je pense à la famille de Cyrille Segard, je pense à ses enfants. Je suis désolé. Plus jeune, Cyrille Segard m’avait pris entre ses mains, j’étais tous les jours chez lui.» Me Gromek achevait son intervention en renvoyant les accusés à leurs propres souffrances. «Vous saviez que Cyrille Segard avait trois enfants, aujourd’hui, il y a trois orphelins, vous avez tous eu des problèmes avec vos pères et vous vous comportez ainsi !»

Géraldine Moré déclenchait une ultime salve de questions. «Kévin Bruyère dit que vous avez jeté la pierre. (…) Considérez-vous toujours Kévin comme votre frère, votre ami», questionnait l’avocat général. «C’est toujours un ami», répondait le prévenu. «Vous avez toujours le projet de vous retrouver ensemble en cellule afin que le temps passe plus vite comme vous l’avez écrit dans des courriers», poursuivait Géraldine Moré. «Les choses ont changé, nous n’avons plus de projet ensemble», concédait Steven Ardinat. «Je souhaite que la famille de Cyrille Segard connaisse la vérité», poursuivait l’accusé. «Il est inconcevable que vous n’ayez pas parlé de la bouteille d’essence avec Meunier», concluait l’avocat général. Conseil de Steven Ardimat, Me Gambini n’a pas souhaité interroger son client.

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