Affaire Grégoire-Leblanc – 3ème journée
Lamentable spectacle
Salués par Séverine Donadel, les aveux réitérés et circonstanciés de Christophe Blanc ont tranché avec le déni de Francis Grégoire. Niant toute implication lors du braquage, la petite frappe a livré un spectacle lamentable dénoncé par l’avocat d’un accusé animé d’une profonde véhémence.
Lamentables et mensongères accusations ou grossière expression d’une innocence contestée par maintes présomptions ? Au prix d’un spectacle des plus sinistres et d’un flot de déclarations contradictoires, Francis Grégoire a livré un piètre image de lui-même, hier, au cours d’une audience marquée par une insultante outrecuidance. Montaigne, Camus et autres humanistes éclairés n’auraient pu trouver la moindre circonstance atténuante à une petite frappe réduite à flamber devant neveu et adolescents tout en entretenant une relation malsaine avec sa propre nièce. Si l’épopée de Jacques Mesrine peut inspirer une once de respect, le parcours de Francis Grégoire renvoie à une profonde médiocrité. Comptant 29 mentions à son casier judiciaire, l’homme a été condamné depuis 1992 à plus de 22 années de prison ferme. A agression sexuelle et port d’arme s’ajoutent une succession de vols notamment commis en Haute-Marne. Francis Grégoire a également répondu à quatre reprises de faits d’évasion au cours d’une sinistre carrière de petite frappe sans envergure. Aussi lourd soit le parcours de Francis Grégoire, le passé et la personnalité d’un accusé ne peuvent forger sa culpabilité. Une culpabilité niée par l’intéressé.
Blanc, Thierry et Jacques
Réfutant toute implication dans le braquage de la bijouterie Donadel, l’accusé a livré sa version des faits. «Je n’y suis pour rien, Blanc, un dénommé Jacques et un certain Thierry ont commis le braquage, je n’ai jamais souhaité y participer», lançait l’accusé. Confronté à une succession d’éléments, Francis Grégoire livrait une version ahurissante. Après avoir perdu son bracelet électronique «en faisant la vaisselle», le multirécidiviste prend la route de Chaumont le 10 juin 2009 au soir comme finira par l’admettre l’accusé, trahi par les données communiquées par son téléphone portable. «Je suis arrivé à Chaumont entre 3 h 36 et 3 h 46, je devais dormir chez Blanc, comme d’habitude, mais il n’a pas voulu que je reste, affirmait Francis Grégoire. Quand je suis descendu, j’ai vu Blanc partir dans une voiture. J’ai voulu joindre mon ex-femme pour aller voir mes enfants à Langres, mais elle n’a pas répondu. Je suis alors parti chez un ami, dans la Meuse.» Interrogée par les enquêteurs, la dite connaissance n’aura pas souvenir de cette visite…
La suite ? Déconcertante. Francis Grégoire en venait à livrer un véritable scoop. «L’appel du faux gendarme à la bijouterie et à l’assureur, c’est moi, au départ je voulais rendre les bijoux, puis l’idée m’est venue de demander 150 000 euros en échange», affirmait Francis Grégoire. «Pourquoi ne pas avoir fait ces déclarations dés le début ? Votre version était radicalement différente devant les enquêteurs ! Et que dire du sac de bijoux retrouvés dans votre véhicule ? (…) Pourquoi avoir pris le risque de vous impliquer dans cette affaire alors que vous dites être étranger au braquage ?». Les questions du président Theuret renvoyaient l’accusé à de béantes failles.
«Tout et n’importe quoi»
Malgré les aveux circonstanciés de Christophe Blanc (lire ci-dessous) et un large faisceau de présomptions quant à la participation de Francis Grégoire au cours du braquage, le doute était bel et bien perceptible, aucune preuve accablante ne pouvant prouver une implication directe. Jouant avec une infinie maladresse de cet état de fait, le sinistre personnage paradait. «Vous devez travailler pour partir en vacances», lançait l’accusé à magistrats et jurés. «Moi, j’ai été braqueur pendant quinze ans, j’ai mis de l’argent de côté, ma nièce a un appartement, elle n’a pas besoin de travailler et elle peut partir en vacances quand elle le souhaite», osait l’accusé. Malmené par les questions des conseils des co-accusés, Francis Grégoire livrait des réponses fantasques. «Mon client a dit tout et n’importe quoi», affirmait Me Khoël, manifestement déconcerté.
Des plus pénibles, l’audience aura permis de glaner quelques certitudes quant à l’état de santé de l’accusé. Comme l’atteste le diagnostic d’un expert visant une maladie neurologique dégénérative, Francis Grégoire est bel et bien malade. Le mal ne se limite pas aux membres inférieurs.
Découverte d’un portable
Dissimulé dans les toilettes réservées aux personnes à mobilité réduite, un téléphone portable a été découvert par Bruno Laplane, président du Tribunal de grande instance, hier, au sein du Tribunal de grande instance. Selon toute vraisemblance, l’appareil était destiné à Francis Grégoire. Sous l’emprise de son oncle, la nièce de l’accusé pourrait être à l’origine de cette de l’intrusion et de la dissimulation de l’appareil. Agée de 19 ans et présente en salle d’audience en matinée, la jeune femme a été placée en garde à vue hier après-midi.
«J’ai du dégoût pour Francis»
Habitué à se présenter sous l’identité de Brann du Senon, répondant au surnom de Cactus, adepte de la philosophie celte, adulé des médias suite à la création d’une association venant en aide aux sans-abris et confiant avec vécu seul durant dix années de sa vie, «dans les bois, sans eau et sans électricité», Fabrice Dupiré se montre volontiers disert. Autodidacte, homme de bonne culture, l’homme n’en est pas moins otage de sa propre caricature, le supposé angélisme de l’accusé tranchant avec un lourd parcours judiciaire. Condamné à de multiples reprises pour vol et recel entre 1983 et 1996, Fabrice Dupiré totalise un cumul de treize ans de peines de prison ferme.
Accueilli dans la ferme du frère de Francis Grégoire, Fabrice Dupiré n’aura pas tardé à être rattrapé par son passé. «J’ai assisté Francis dans certaines démarches suite à sa sortie de prison, soulignait l’accusé. Nous avons eu des échanges au sujet de nos séjours en prison.»
Parti du domaine de la famille Grégoire suite à un différend, Fabrice Dupiré est à nouveau en relation avec Francis Grégoire en juillet 2009. Le braqueur présumé de la bijouterie Donadel cherche un intermédiaire afin d’écouler une partie du butin. «Je pensais que les bijoux provenaient d’un casse et non d’un braquage, affirmait l’accusé. Je me demandais si Francis n’avait pas tapé un receleur, les bijoux me paraissaient anciens. Ne vivant pas à Chaumont, je n’avais pas entendu parler du braquage de la bijouterie !»
La découverte d’un récipient rempli de 104 pièces de bijouterie lors d’une perquisition à la propriété de Fabrice Dupiré permettra notamment d’établir l’implication du receleur. «J’avais besoin d’argent, je touchais 10 % sur la vente des bijoux, assurait l’accusé. Mes contacts étaient anciens, une piste en Belgique n’a pas abouti. J’ai été obligé de m’adresser à des particuliers». Fabrice Dupiré concèdera avoir vendu des bijoux pour une somme oscillant entre 7 000 et 8 000 euros.
Fabrice Dupiré a également tenu à asséner quelques phrases assassines à l’encontre de Francis Grégoire. «J’ai du dégoût pour Francis, lançait l’accusé. Je me suis fait avoir, j’ai été manipulé, il est très fort, la preuve, il est parvenu à sortir de prison !» Les mots du receleur renvoyaient la cour au supposé handicap de Francis Grégoire. Libéré à plusieurs reprises du fait de son état de santé et de son manque de mobilité, l’accusé avait pour habitude de se rendre au domicile de Francis Dupiré au guidon d’une puissante cylindrée…
Blanc incrimine Grégoire
«Je suis sincèrement désolé pour ces femmes, ce que j’ai fait est impardonnable» : assumant sa culpabilité, Christophe Blanc n’aura pas tardé à réitérer des aveux formulés en garde à vue. Après un échange de mots fleuris avec Francis Grégoire, l’accusé s’est attaché à livrer un récit circonstancié des faits. «J’ai connu Grégoire en prison, nous étions amis, soulignait Christophe Blanc. Nous nous sommes cachés dans l’armoire à bouteilles de gaz, puis j’ai saisi et ligoté Lydie Donadel, Francis tenait l’arme. (…) L’arme appartenait à Grégoire. Après avoir retiré de l’argent à Biesles, il est parti de Chaumont avec les bijoux. Dans ma tête, il allait les revendre. (…) Grégoire m’a remis environ 7 000 euros en espèces en deux ou trois fois.»
Formel quant à l’implication de Francis Grégoire, le Chaumontais a nié toute préparation du braquage. «Je n’avais rien calculé. Quand nous sommes arrivés, nous avons vu le nom Donadel sur une boîte aux lettres, nous avons coupé le gaz sans savoir si une personne était présente», affirmait l’accusé.
Eléments troublants
«Pourquoi avoir coupé le gaz si vous ne saviez pas que Lydie Donadel était dans son appartement ? Pourquoi vous êtes-vous camouflé derrière la boutique, là où passent Séverine et Bernard Donadel chaque matin avant l’ouverture de la bijouterie», questionnait Me Michel, conseil des victimes. Christophe Blanc s’évertuait à nier toute préparation du braquage. Quelques heures plus tard, Lydie Donadel confiera s’être étonné d’éléments troublants survenus plusieurs jours avant les faits. Des pots de fleurs avaient été déplacés et la porte de l’armoire renfermant les bouteilles de gaz avait été retrouvée ouverte…
«La veille des faits, vous demandez à votre frère de garder les enfants», rappelait l’avocat général Bellet. «Je savais que Grégoire venait, mais rien n’était prévu», rétorquait l’accusé. Les déclarations de l’accusé ont également permis à la cour de juger de la crédibilité d’une partie des déclarations de Christophe Blanc. Occupé à la fouille de la chambre de Lydie Donadel, l’accusé a affirmé ne pas avoir vu Francis Grégoire dérober la carte bancaire de Séverine Donadel. Interrogée par le procureur général Bellet, la victime assurera avoir livré le code de la carte bancaire en présence d’un seul individu, sous la menace d’une arme de poing. «L’autre agresseur était à l’étage», se remémorait la victime, confirmant ainsi la version de Christophe Blanc.
Vente à prix cassés
Rien ne prédisposait Naldo Laino à se retrouver devant une cour d’assises. De bonne éducation, titulaire d’un CAP, le jeune homme aura été gagné par une certaine oisiveté courant 2009. Souhaitant écouler une partie du butin, Christophe Blanc s’adresse à cette «connaissance» afin d’écouler plusieurs montres.
«Christophe m’a dit qu’il avait volé les bijoux avec un complice, j’ai pris le sac, je savais que les bijoux venaient du braquage de la bijouterie, soulignait le jeune homme. Christophe voulait 2 000 euros en échange, mais il ne m’a rien demandé.» Cachées dans le débarras d’un appartement d’un ami de Naldo Laino, 117 montres seront retrouvées par les enquêteurs. Une centaine d’autres pièces auraient été cédées pour la somme dérisoire de 200 euros à un mystérieux inconnu interpellé «au hasard» par Naldo Laino dans une rue du centre-ville. «Vous êtes un très mauvais vendeur», lançait le président Theuret à l’adresse du jeune technico-commercial, titulaire d’un CDI et futur père de famille. Ne souhaitant pas s’étendre sur la vente des bijoux, Naldo Laino faisait de son sentiment de culpabilité. «J’étais immature, j’ai beaucoup changé, affirmait le receleur. J’ai honte d’être d’être ici, honte envers ma famille et honte envers la famille Donadel».