Abracadabrantesque
Un enfant coupé en deux, deux villes proches, deux départements, des décisions de justice contraires et une profonde et réelle incompréhension : tels sont les ingrédients d’une situation effarante dénoncée par Maître De Chanlaire suite à la rupture de parents d’un nourrisson.
Abracadabrantesque : paraphrasant Arthur Rimbaud, Jacques Chirac dénonçait en septembre 2000 les accusations posthumes de Jean-Claude Néry. Le néologisme sied à la situation d’un coeur supplicié, un nourrisson prisonnier d’un bateau ivre filant toutes voiles dehors. En 36 ans de Barreau, Maître De Chanlaire n’avait jamais été confronté à pareille avarie. Nulle équivalence ne pourrait surgir des flots agités de la jurisprudence. Estomaqué, l’avocat aura décidé de saisir sa plume afin d’alerter le Journal de la Haute-Marne (lire ci-dessous).
“Le coeur a ses raisons que la raison ne connait point” aimait répéter Blaise Pascal, faisant écho aux mathématiques souterraines des amours fanés. Après avoir salué les naissances de trois enfants, un couple de membres de la communauté des gens du voyage attend un heureux événement. A quelques semaines de l’accouchement de madame, monsieur décide de conter fleurette à une prétendante. Le divin enfant pousse son premier cri et quitte la maternité. Parti savourer les joies de sa nouvelle union, le père refait succinctement surface et gagne la caravane conjugale. L’enfant est extrait de son berceau avant d’être conduit dans la Meuse, au domicile de l’amie de monsieur. Alertée par madame, la police ne peut intervenir. Et pour cause : l’enfant a été reconnu par son géniteur.
Décisions contraires
Assistée par Me De Chanlaire, la mère saisit par voie de référé le Juge des affaires familiales (JAF) de Chaumont, compétent à l’échelle de la juridiction du fait du lieu de domiciliation d’une famille éclatée. Le même jour, le père de l’enfant saisit le JAF de Bar-le-Duc (Meuse). Les deux magistrats sont informés du déclenchement des procédures. Me De Chanlaire plaide à Chaumont. N’étant pas destinataire d’une assignation, l’avocat n’est pas amené à défendre la cause de sa cliente à Bar-le-Duc. Le JAF de Chaumont rend sa décision : l’enfant est confié à la mère. Au surlendemain de cette ordonnance, le JAF de Bar-le-Duc place le nourrisson de huit semaines sous le contrôle du père. Contraires, les deux décisions n’en sont pas moins exécutoires. Allez comprendre…
Absurde, impensable, inadmissible ou abracadabrantesque, chacun choisira son adjectif. Incroyable mais vraie, cette triste affaire devrait trouver son épilogue à court terme suite à l’examen de deux appels devant les juridictions de Nancy et Dijon. A l’aube d’une bonne pensée du matin, en hommes justes, les magistrats sauront, ose-t-on l’espérer, faire oublier ce double et regrettable châtiment de Tartuffe.
Les mots de Me De Chanlaire
“Vérité au-delà de la Haute-Marne, erreur en deçà, ou selon que vous serez Haut-Marnais ou Meusien, les jugements de Cour vous rendront blanc ou noir. Sans paraphraser le sérieux Montesquieu ou le bon La Fontaine, l’histoire récente illustre la fragilité des décisions de justice. Un couple de Saint-Dizier se déchire. Le père décide de “voler” le 4ème enfant qui vient de naître et de l’emmener à Bar-le-Duc chez sa nouvelle amie. Le Juge des affaires familiales de Chaumont est saisi par la mère du nourrisson. Le JAF de Bar-le-Duc est simultanément saisi par le père, ce qui est révélé aux magistrats. L’un confie les enfants à la mère du nourrisson. L’autre confie les enfants au père. Ces deux décisions sont exécutoires immédiatement s’agissant des mesures judiciaires concernant les enfants. Bel exemple de sérénité, bel exemple de coordination. Chacun des juges se déclare compétent et surtout autonome et apparemment fier de leur indépendance. Ne jamais maudire son juge et respecter les décisions de justice, mais lesquelles ? La Justice, moyen d’apaisement ou moyen de nourrir de la procédure au milieu de laquelle un nourrisson est en jeu ? Le roi Salomon qui menaçait de couper en deux un bébé doublement revendiqué était, lui, seul juge.”