Abject – L’édito de Patrice Chabanet
Il y a des scènes de vie – de mort, en l’occurrence – qui vous glacent le sang. L’ultime dialogue de Naomi Musenga avec le Samu de Strasbourg est de celles-là. Tous les ingrédients de la bassesse, de la cruauté et de l’incompétence sont réunis. Ricanements de l’opératrice des pompiers avec son homologue du Samu. Ton moqueur de cette dernière avec la jeune femme, à l’évidence en très mauvaise posture. C’était mort sans ordonnance. Un comportement que rien ne peut excuser, ni le stress, ni la charge de travail. L’enregistrement de la conversation constitue en soi un terrible réquisitoire. L’opératrice du Samu n’a pas suivi le protocole des questions qu’elle devait poser. Elle a décidé d’emblée de s’en prendre à Naomi et de la railler. Lamentable.
Cela dit, des mystères demeurent. Pourquoi cette affaire est-elle restée sous silence pendant plusieurs mois ? Les faits remontent en effet à fin décembre. Ils ont été révélés par un mensuel local. Ce long mutisme a toutes les apparences d’une omerta qui ne veut pas dire son nom. Il jette une ombre sur une structure, le Samu, dont la quasi totalité du personnel – médecins, infirmières, assistantes – se distingue par un très grand professionnalisme et un dévouement indiscutable. Tous sont atterrés par ce qu’ils viennent d’apprendre. Il eût été plus efficace de vider l’abcès tout de suite, c’est le cas de le dire, et d’écarter les personnes lourdement défaillantes plutôt que de les changer de postes.
L’heure est maintenant aux enquêtes de l’Igas (Inspection général des affaires sociales) et de la justice. Elles ne feront pas revivre Naomi. On peut espérer qu’elles permettront de pointer toutes les responsabilités, et cela bien en amont de l’invraisemblable dialogue qui a ému tout le pays. On pense, bien sûr, au mode de recrutement et à la formation des opératrices, un maillon stratégique entre une personne en détresse et les médecins. En tirant le fil des explications, on parvient très vite à la situation tendue que connaissent les hôpitaux. Mais expliquer, cela ne pourra jamais justifier une initiative personnelle ignoble.