A chacun son Napoléon – L’édito de Patrice Chabanet
La lecture de l’Histoire n’échappe pas aux polémiques qui constituent l’ordinaire de notre vie sociale et politique. Le 200ème anniversaire de la mort de Napoléon l’illustre une nouvelle fois. Chacun a sa vision de l’Empereur, bâtisseur de la France moderne et génie militaire pour les uns, responsable de millions de morts en Europe par son goût immodéré de la guerre pour les autres. Ces divergences profondes ont amené les présidents de la République successifs à éviter soigneusement les anniversaires napoléoniens. Emmanuel Macron, lui, a choisi de se rendre aux Invalides où il prononcera un discours. Exercice à haut risque dans lequel le mot célébration vaudra caution de la politique impériale, et le mot commémoration apparaîtra ambigu. Le chef de l’Etat sera attendu sur la mesure la plus décriée prise par Napoléon, le rétablissement de l’esclavage. Cela dit, ceux qui hurlent le plus devraient balayer un peu devant leur porte. Ce sont souvent les mêmes qui vénèrent Robespierre, le dirigeant le plus sanguinaire de la Révolution. Et que dire de Jules Ferry, père reconnu de l’école laïque qui s’est fait aussi le chantre de la colonisation au motif que les « races supérieures » avaient un droit sur les « races inférieures ».
Si l’on peut comprendre sans aucune difficulté que les populations d’outre-Mer aient une aversion marquée à l’égard de celui qui a réenfermé leurs ancêtres dans le système esclavagiste – une tache indélébile – il est injuste de réduire Napoléon à ce choix politique. Il a su stabiliser et moderniser notre pays après la grande secousse révolutionnaire. Il a incarné une vision stratégique indispensable pour fédérer un peuple autour d’un projet ambitieux, le salut de la France. Même si, c’est évident, il a succombé à l’ivresse du pouvoir sans partage. Dans les joutes contemporaines, on serait bien en peine de déceler un projet d’envergure ou quelque leader capable de le porter. La décomposition du paysage politique ne donne pas cette impression. Les ambitions se réduisent souvent à la course de haies électorales.