Les griffes du passé – L’édito de Patrice Chabanet
Les Etats-Unis restent traumatisés, pour ne pas dire tétanisés, par le coup de force contre le Capitole. On attendait de Joe Biden un discours axé sur l’avenir. On a eu droit à une condamnation réitérée et détaillée de ce qui s’était passé. Comme si les griffes du passé ne voulaient pas relâcher ce moment de l’histoire américaine où tout a failli basculer vers une forme de guerre civile. Rien de nouveau sous le ciel de la polémique, ont vite déploré les amateurs de phrases fracassantes. Mais il était bon que le président de la première puissance mondiale revienne aux fondamentaux de la démocratie : la seule prise de pouvoir qui vaille est celle qui est validée par le vote, et non pas par le hurlement, la vendetta et la non-reconnaissance de la victoire de l’adversaire.
La démocratie est en grand danger sur l’ensemble de la planète. Si les Etats-Unis penchent du mauvais côté, aucune grande puissance n’en sera plus le porte-drapeau. Le champ sera laissé libre aux tenants de la dictature ou de cet étrange animal appelé illibéralisme. Quand on voit l’intervention russe au Kazakhstan, il y a de quoi s’inquiéter. En France même, la violence de la campagne présidentielle, qui n’est pas officiellement lancée, révèle une grosse fatigue de la démocratie. Cela dit, la vie politique n’a jamais été un long fleuve pratique. Sous la IIIe République, les débats à l’Assemblée nationale étaient souvent enflammés. Clémenceau ne faisait pas dans la dentelle. Ce qui a changé aujourd’hui, comme on le voit aux Etats-Unis, ce sont des attaques sans masques contre les signes distinctifs de la démocratie. L’invasion des réseaux sociaux étouffe la sérénité et le recul nécessaires pour de véritables débats démocratiques : l’hystérisation devient la norme. Au Capitole, elle a failli accoucher d’un putsch.