Les gens d’en face
Magistrats, assesseurs citoyens, avocats et greffières ont défié le temps, mardi, au cours d’une audience marathon marquée par la condamnation de Humbert Humbert à sept ans de prison.
Mardi 28 février, Chaumont, palais de Justice : l’obscurité menace de s’abattre, menottes aux poignets un jeune homme s’avance en salle d’audience. Les rebonds d’un blouson ne parviennent pas à masquer les minces contours d’un gamin de 19 ans. Crâne rasé, regard perçant et teint blafard retiennent l’attention. Comme balayés par les vagues de troubles involontaires convulsifs, menton et pommettes se meuvent à un rythme saccadé. Placé en détention le 21 février, Ivan Karamazov est appelé à répondre d’actes témoignant d’un manifeste déséquilibre.
Hébergé chez sa grand-mère paternelle après plusieurs mois d’errance, Ivan Karamazov s’adonne de bon matin à une trouble occupation. Le jeune homme brûle des mouchoirs en papier. Indisposée par la fumée, la grand-mère – asthmatique – tente d’ouvrir une fenêtre. La suite ? Inquiétante, particulièrement inquiétante ! La victime confiera avoir été jetée à même le sol et avoir subi une tentative de strangulation. Se déplaçant avec des béquilles suite à la pose de prothèses aux genoux, la septuagénaire ne parviendra pas à se relever. Assis dans le canapé, Ivan Karamazov laissera sa grand-mère agoniser pendant de longues minutes. «Je l’entendais crier, j’avais conscience que je pouvais me retrouver en prison», confiera le prévenu. L’arrivée d’une parente mettra un terme au calvaire de la personne âgée.
Le parcours et l’expertise psychiatrique du prévenu ont mis en évidence diverses difficultés. Ivan Karamazov a pâti dès sa petite enfance de l’expression d’une vive hyperactivité. Evoluant dans un environnement familial difficile et affichant un certain détachement quant à la gravité des faits, Ivan Karamazov pourrait tendre vers un profil de type psychotique. Si le discernement du jeune homme a pu être altéré au matin du 21 février, il n’a toutefois pas été aboli.
Sursis et prison ferme
«Vous étiez en voie de clochardisation et votre grand-mère vous a accueilli. Comment avez-vous pu en arriver là», s’interrogeait le juge Thil. «Je n’arrive pas à la supporter, répondait Ivan Karamazov. Je ne me contrôle pas, je lui ai mis des claques, mais je n’ai pas tenté de l’étrangler !» S’engageant à accueillir son fils, la mère du prévenu minimisait – non sans une certaine maladresse – la gravité des faits : «C’est elle le problème ! Elle en a rajouté, son but est de mettre mon fils dans un centre pour malades mentaux.»
Ces déclarations n’érodaient par les craintes du procureur Cosson. «Le profil psychologique et psychiatrique de monsieur m’inquiète», soulignait la représentante du Ministère public avant de solliciter une peine de prison ferme et un maintien en détention. Saisie du dossier en début d’après-midi, Maître Gromeck dénonçait «des réquisitions d’une sévérité absolue» à l’encontre d’un prévenu au casier vierge. «Il est éloquent de se rendre compte à quel point le système sociétal a failli, soulignait l’avocate, au regard du parcours de son client. Monsieur doit intégrer une formation, sa mère est prête à l’accueillir, des soins peuvent lui être apportés, cet ensemble sera plus utile et moins destructeur qu’une mise en détention dans les geôles de la maison d’arrêt du Val-Barizien.» Condamné à douze mois de prison assortis d’un sursis avec mise à l’épreuve, Ivan Karamazov devra respecter pendant trois ans des obligations de soins et de formation tout en veillant à ne pas entrer en contact avec sa grand-mère. A 19 h 30, Humbert Humbert s’apprêtait à répondre de faits d’agression sexuelle sur mineur. Maître Tribolet sollicitait le huis clos. L’humanité réservait son lot d’abominations. L’obscurité s’était abattue lorsque le juge Thil prononçait une condamnation à sept ans de prison ferme. A chaque jour suffit sa peine.