Commerce : la loi de proximité
Le commerce local est moribond ? Ne pariez pas là-dessus. Le Web jouit de solides arguments… mais fait face à d’incontournables limites. Et si le commerce de proximité s’avérait être un bon plan pour l’avenir ? Voire le présent ? Et si Amazon, Pixmania et consorts menaçaient davantage à terme notre grande distribution que notre petit commerce ? Pour comprendre les termes de l’équation, remplaçons “petit”, un tantinet péjoratif, par ”proximité”. (JHM du 1er décembre 2015).
On peut naturellement commander un appareil photo sur le Web. Cette semaine, la rédaction a réalisé une recherche exhaustive sur un modèle très précis de reflex Nikon grand public. Après des heures de googleisation intense, on a trouvé l’objet au mieux 50 euros moins cher au bout de la souris que chez le dernier vrai photographe ayant boutique en Haute-Marne. On l’a commandé à 15 h chez le photographe. Il était disponible le lendemain matin. Amazon fait parfois, pas toujours, aussi bien. Jamais mieux. Parce que lorsque le Web finit par trouver vraiment pas cher, c’est aussi vraiment loin… Et quand les taxes ne sont pas payées à la commande, on peut avoir de mauvaises, très mauvaises surprises à la réception. Second point : la garantie. Nikon France refuse de prendre en charge des appareils achetés sur des sites français parfaitement “propres” parce que les filières d’approvisionnement ne correspondent pas aux critères de l’importateur officiel. Dernier point : le conseil. Le photographe haut-marnais prendra le temps d’expliquer – en français – les subtilités du maniement de l’appareil. Sinon, il est livré dans un fichier pdf sur un CD. Il y a aussi les forums avec leur côté aléatoire. On ne va pas en faire tout un fromage de cette dualité Web/proximité. Ou plutôt si. Pour l’exemple, tant il s’avère édifiant.
Pierre-Emmanuel Chaptinel – riche d’une expérience déjà commerciale avec l’emblématique Choue – voulait se mettre à son compte à Chaumont. Il observe le marché local, en maque historique d’un fromager et d’un poissonnier. C’est le premier enseignement : combler un vide. Il trouve l’emplacement. Avant de se lancer riche de sa seule bonne volonté, il choisit de se former. Ce sera avec la Fédération nationale des producteurs laitiers. Il accepte de se déplacer à Lyon, rencontre des vrais pros, croise d’autres futurs fromagers, retient moult conseils, aussi bien sur le produit que la gestion des stocks. C’est le deuxième enseignement : être compétent, très compétent, et passer par la case formation en adoptant la posture modeste de l’apprenant. Il faut ensuite faire des choix fondamentaux : tout proposer ou sélectionner ? Pierre-Emmanuel Chaptinel fait le bon choix : tout miser sur la qualité. Il n’aura jamais autant de linéaires qu’une grande surface. Mais ses quelques mètres à lui, il les peaufine. Cela tient en deux mots : local et/ou très bon. Le fromager de Chaumont connaît chacun de ses producteurs haut-marnais. Il sait ce qu’il leur prend, avec quoi et comment cela a été fabriqué. Le Matolien n’est pas passé par un entrepôt gris de Hong Kong. Quant au Comté de Marcel Petite et ses différents affinages, il ravirait d’autres souris que celle qui reste prisonnière de votre écran connecté. Pierre-Emmanuel Chaptinel se fournit à Rungis chaque semaine. Il s’y procure à chaque fois 100 à 200 kg (eh oui, une meule, ça fait son poids qui laisse encore septiques les meilleurs drones !). Dernier enseignement : l’engagement personnel. Il se mesure aussi en heures de travail. Être à son compte, c’est compter justement bien au-delà de 35, ou ne plus compter lorsque ce seuil est pulvérisé au bout de quatre jours et qu’arrive le samedi… C’est aussi sourire autrement qu’un smiley jaunâtre, accueillir, avec un regard et un petit mot avant le conseil. Pierre-Emmanuel Chaptinel en est convaincu, depuis qu’il a ouvert, le 2 mai : «une reconversion, ça prend du temps. Le plus dur, c’est l’administratif. Mais le commerce local peut vivre en Haute-Marne»