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Interview Denis Salas

La prison et quoi d’autre ?

Auteur de “La justice dévoyée” (Editions des Arènes), magistrat et essayiste renommé, Denis Salas répondra à l’invitation du Centre départemental de l’accès au droit (CDAD), jeudi (18 h), à l’occasion d’une conférence-débat organisée dans les locaux du Tribunal de grande instance. Ouvert à toutes et tous, ce temps d’échange et d’information sera axé sur les alternatives à la détention.


conférence Denis Salas par jhm-videos

 

Journal de la Haute-Marne : Quels seront les thèmes abordés au cours de votre intervention ?

Denis Salas : «Cette intervention s’inscrit dans un cadre particulier. Après une dizaines d’années de politique pénale dure assurée par les précédents gouvernements, politique fondée sur la doctrine de la dissuasion et marquée par les rétentions de sûreté, les peines plancher ou les accusations lancées contre des juges suspects de laxisme, on assiste à un revirement complet de doctrine. Madame Taubira a organisé il y a quelques semaines une conférence de consensus au ministère de la Justice afin de repenser le sens de la peine autour de l’idée d’une doctrine axée sur la réinsertion. Comment comprendre et interpréter ce changement de doctrine ? Quelles sont ces chances d’aboutissement ? Ce changement ne laisse-t-il pas trop de côté les victimes qui se sont d’ailleurs senties oubliées dans le cadre de cette conférence ? Quels sont les projets législatifs susceptibles de poursuivre l’oeuvre amorcée par cette conférence de consensus organisée par madame Taubira ? Un jury a émis douze recommandations au terme de cette conférence. Ces recommandations concluent à une complète transformation du sens de la peine. Cette nouvelle philosophie pénale doit être comprise et critiquée et il faut envisager ses chances de réalisation dans les mois qui viennent. C’est un changement complet de doctrine qui ne fait plus de la prison essentiellement un lieu de dissuasion, mais une véritable chance de réinsertion. Il y a aujourd’hui un grand nombre de très courts peines très désociabilisantes qui ne font que reproduire et multiplier les actes de délinquance. L’idée serait de remplacer ces très courtes peines par des peines de probation en dehors de la promiscuité carcérale. (…) Va t-on continuer des programmes de construction de prisons ou va t-on renforcer les actions éducatives ? Beaucoup de questions demeurent, c’est un peu regrettable.»

JHM : La question de la sanction est particulièrement perceptible dans une société sensible aux questions de sécurité. Signe de défiance à l’égard des magistrats, l’expérience des citoyens-assesseurs n’aura pas porté ses fruits. Le problème principal n’est-il pas simplement lié à une mauvaise connaissance du système judiciaire ?

D. S. : «On avait sollicité les citoyens pour renforcer la sévérité de la justice, ça n’a pas été le cas ! Les citoyens-assesseurs ont compris leur rôle ! Ce rôle n’a pas été de durcir les peines. Il semble important de renforcer une meilleure connaissance du système judiciaire et de renforcer les relations entre cet univers abscons et la société démocratique. Les citoyens-assesseurs étaient une bonne expérience de ce point de vue, mais cette expérience a été très coûteuse et peu concluante dans ses effets. Ne faudrait-il pas repenser d’une autre façon les relations entre la justice et la société ? Ne serait-il pas utile de faire en sorte qu’une partie de la classe politique ne se permette de critiquer les juges comme nous le constatons actuellement dans le cadre de l’affaire Sarkozy. Il serait possible de faire preuve de pédagogie et d’ouverture, ces éléments manquent cruellement à la justice qui est passivement confrontée à la critique.»

JHM : Les prisons sont surpeuplées, mais, à l’image des toxicomanes, de nombreux justiciables peinent à accéder à des structures de soins. Un manque de moyens humains et matériels n’est-il pas à l’origine de la situation actuelle ?

D. S. : «Il y a la question des moyens, mais il y a aussi le regard qu’on peut porter sur la consommation de drogues. Si vous portez un regard exclusivement incriminateur et punitif, ou si vous portez une regard strictement lié au trafic, vous ne vous engagez pas dans une démarche thérapeutique mais uniquement punitive. Sommes-nous prêts à rompre avec une approche exclusivement pénale de la consommation de certaines drogues ? On voit le petit dealer comme le moyen de remonter un réseau, mais cet homme a également besoin de soins. Le climat d’insécurité ressenti autour de ces questions rend difficile le passage vers une approche thérapeutique.»

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