Printemps de Bourges 2006
Reportage réalisé en avril 2006
Bon anniversaire petit trentenaire
La 30ème édition du Printemps de Bourges a connu un immense succès populaire, plus de 70 000 personnes venant fêter, en musique, l’anniversaire d’un festival fier de laisser place à bien des styles musicaux. Higelin, Thiéfaine, Dionysos et compagnie ont lancé la saison des festivals. Tour d’horizon d’un événement phare de la culture française.
Il est donc toujours debout le Printemps de Bourges. Et Léo Ferré n’est plus, depuis un bail. Daniel Colling, le co-fondateur et compagnon de route du poète l’avait promis. Hommage serait rendu à Léo Ferré. Bernard Lavilliers, Dominique A, Cali, Jacques Higelin, bref les enfants de Léo étaient bel et bien là. Les gars de la haute aussi. Gauche, caviar et champagne furent sans doute servis à discrétion. Il paraît. Il paraît même qu’elle avait de la gueule cette soirée dédiée au Monégasque anarchiste. Rares seront celles et ceux à pouvoir en témoigner. Ils sont tout juste un peu plus de mille. Jack Lang y consacrera sans doute une poignée de lignes dans ses mémoires. Refoulés, faute de places, sur le perron de la Maison de la Culture, le commun des festivaliers et les journalistes de seconde zone ne méritaient sans doute pas Ferré. Désolant. Et si insultant. Serge Gainsbourg n’aura pas été plus en veine. En l’absence de Miossec, la soirée tourna parfois au ridicule. Désespérant ce Printemps de Bourges ? Juste un peu. Un tout petit peu. Alors place aux grands moments. Place aux enfants du printemps.
Les frères et sœurs, le père et le fils
Les Ogres de Barback ont derrière eux dix ans de musique, de concerts, de rencontres et de projets. Leur passage à Bourges des frères et sœurs fut forcément remarqué. C’est chouette les réunions de famille ! Chouette comme un fils ouvrant le bal pour mieux laisser son père pénétrer dans une nuit folle et géniale. Ciselée, la prestation d’Arthur H n’a pu laisser de marbre. L’homme à la veste pailletée d’or n’aime pas les spectateurs des premiers rangs «le cul confortablement posés dans leur fauteuil». Alors tout le monde a dansé. En état de grâce, Jacques Higelin signait son dixième passage au Printemps de Bourges. «Une bouteille d’eau et une pomme dans ma loge, ils sont toujours sympas à Bourges !» Le poète a croqué dans la pomme à pleines dents, enchaînant succès revisités et autres moments d’égarement dont il a le secret.
Du lourd, du lourd et encore du lourd
Le concert d’Hubert-Félix Thiéfaine méritait également le détour. A faire pousser les oreilles Mickey 3D ! HTF a le rock en lui. Un vrai régal à déguster très prochainement du côté de Villegusien. Généreux Hubert-Félix ? Of course. Tout aussi généreux que Cali, bête de scène aux textes façonnés à sa manière. Ils furent plus de 6 000 à chanter et danser. Voilà de quoi oublier le très précieux Raphaël qu’il convient d’apprécier loin de la scène. Dommage.
Enfants rebelles de la scène rock anglo-saxonne, les Arctic Monkeys avaient défrayé la chronique en bâtissant leur notoriété exclusivement sur Internet. Les Anglais ont livré une véritable démonstration avant de laisser place nette au groupe dEUS. Les gens du Nord ont dans le cœur le rock qu’il n’y avait plus en France. A l’aise ces Belges ! Du lourd garanti sur facture. Comme Dionysos. Le groupe de Valence sera bientôt tout près de nous, sur la scène du festival du Chien à plumes. Calexico, Buzzcocks, The Flamming Lips, Benabar. Le Printemps de Bourges a une nouvelle fois offert le meilleur de la musique. Il en est ainsi depuis 30 ans.
Mots d’amour d’un artiste de 65 ans
Après sa géniale démonstration aux côtés de son pote Allain Leprest du côté de Laneuvelle (2002), après avoir embrasé, trois heures durant, la scène de la salle Louis-Aragon de Saint-Dizier (2004), après avoir revisité avec classe et allégresse l’œuvre de Charles Trénet dans la lumière de la Ville Etoile (2006), après plus de 40 ans de carrière, Jacques Higelin a plus que jamais le printemps en lui. Comme un enfant, l’extraterrestre de la scène française s’amuse de la vie, crachant à la gueule des passants les mots d’amour d’un artiste de 65 ans. Jacques Higelin nous parle de lui, de ceux qu’il aime et des autres. Le héros de la voltige rêve toujours d’un paradis païen. Irradié par sa folle envie de création, Jacques Higelin se confie. Champagne pour tout le monde et caviar pour les autres. C’est Jacques qui régale.
Introduction assurée par Jacques Higelin : «La question est toujours de savoir. Que voulez-vous savoir ? J’ai déjà tout raconté, étalé ma vie en scène, en large, en long et en travers. Vous voulez une anecdote croustillante. Quand j’avais 9 ans, un curé a voulu me mettre une main au cul. Je crois en Dieu mais jusqu’à un certain point. Dieu est une création des hommes. Comment pourrais-je être catholique alors que je ne suis même pas communiste ? Je n’ai une carte nulle part, je rentre de temps en temps dans les églises et je mets une main dans le bénitier. La religion est basée sur la souffrance. Comme Ro- main Gary, j’ai horreur de tout ce qui se base sur la souffrance. L’occupation favorite de l’homme est de massacrer son voisin. Aucun mollah ne va se faire exploser la gueule. Pourquoi en- voyer des enfants, même des jeunes filles, au massacre. Notre planète est magnifique, il y a de la vie et donc de l’espoir. Je veux bien crucifier une femme dans un endroit de rêve si elle le désire et si elle éprouve du plaisir. Je respecte la religion et les croyances des gens parce qu’ils en ont besoin. Je me contente de dé- monter le système qui dit qu’on doit souffrir pour être heureux. Le paradis, il est sur terre.»
Journal de la Haute-Marne : Vous étiez présent, en 1977, lors du premier Printemps de Bourges aux côtés de Charles Trénet. Quelle relation entretenez-vous avec ce festival ?
Jacques Higelin : «Le Printemps de Bourges est fait pour rencontrer des artistes et en découvrir. Je rencontre plein de gens, on me demande une cinquantaine de fois de me rappeler d’avant. Les souvenirs que je nourris sont souvent des choses sans intérêt pour qui que ce soit sauf pour moi. Je peux me souvenir d’un échange avec un mec avec qui j’ai passé un peu de temps en fumant une cigarette. En ce moment, je suis déjà dans autre chose et je n’ai pas envie de parler du passé. Quand on est dans l’état d’écrire, tout le monde te déteste. Tu es là, autiste, enfermé dans ta création. J’ai visité l’œuvre de Charles Trénet pour m’aérer et ça m’a fait du bien, j’ai pu me remettre au contact de l’enfance, ce qui est important pour moi. Maintenant, je suis retombé dans ma création. Ça avance petit à petit. Dans un premier temps, j’ai retenu 62 chansons, j’en ai viré 20 parce que les textes n’étaient pas aboutis. Je pars dans toutes les directions et le gros problème que j’ai, c’est d’élaguer. Désormais, j’en ai retenu 22 et il en faudra quatorze. J’en ai encore trouvé deux autres l’autre jour. Il faut maintenant se lancer, les chanter. Après avoir arrêté Trénet, j’ai pris des vacances et j’ai eu une descente. Je me suis retrouvé face à la vie quotidienne qui est merveilleuse aussi. D’un coup tout te tombe dessus. Ta fille ne veut plus aller à l’école, la mère dit que c’est de ta faute avec l’exemple que tu lui donnes. Elle veut être artiste, ma fille !»
Journal de la Haute-Marne : A l’occasion de ce Printemps de Bourges, vous avez une fois de plus fait étalage de tout votre talent. Votre prestation a ce- pendant été diversement appréciée…
J. H. : «Personnellement, je me suis éclaté. Je ne sais pas quoi répondre à celles et ceux qui n’ont pas aimé. Avec Mahu (le fidèle complice de Jacques Higelin, Ndlr), nous étions très heureux à la fin du concert. Je suis enfermé depuis deux mois, je pense tellement à mon nouvel album. C’est pour cette raison que j’ai dit durant le concert que je ne voulais pas être présent mais je ne pouvais pas ne pas venir pour les 30 ans du Printemps. Je me suis bien senti sur scène. Ceux qui n’aimaient pas n’avaient qu’à se lever pour me le dire. Maintenant, c’est trop tard. Je ne me vois pas sur scène, je n’ai pas de recul. Je suis parti en roue libre. Arthur (le fils de Jacques Higelin, Ndlr) a beaucoup aimé. Alors, qui dois-je croire ? Je ne suis pas indifférent aux remarques. Moi, j’ai bien aimé le mec qui était sur scène. Certains disent que je ne me souvenais plus de mes textes. “Parc Monsouris”, par exemple, je ne connais que ça mais j’ai démarré sur un autre accord. J’étais persuadé que c’était en sol mineur et c’était en do. Je suis entré dans un brouillard énorme, je me demandais où était la clé qui ouvre le verrou de cette vieille chanson planquée dans un corridor où je n’ai plus accès. Je suis dans l’état de quelqu’un qui est en train d’écrire, qui est ailleurs. Avant de jouer, je ne savais pas du tout comment j’allais faire, j’avais décroché. Et puis, on ne peut pas plaire à tout le monde.»
JHM : Quel regard portez-vous sur la nouvelle scène française ?
J. H. : «Je vais être franc : j’ai plus de coups de cœur pour la génération anglaise ou américaine que la génération française. J’apprécie White Stripes, Muse ou le dernier disque de Placebo. J’aime aussi des choses que fait Cali, j’aime sa générosité, j’aime comme il est. Il se donne, com- me Jeanne Chéral. J’écoute la radio dans la bagnole, surtout Oui FM, car je veux entendre du rock. Quand j’ai entendu “Caravane” de Raphaël, j’ai eu une montée. J’ai trouvé ça hyper joli. Ma fille me fait écouter tout ce qui est récent. Avec elle, j’écoute plein de choses. Mon père ne voulait rien écouter. Moi, ce sont mes enfants qui m’apprennent. Quand on a 15 ans, on a une telle soif de vivre. Je ne découvre pas que de jeunes artistes. Dans “Chroniques”, le bouquin de Bob Dylan, j’ai découvert un vieux blues- man qui s’appelle Robert Johnson. Grâce à ma fille qui sait naviguer sur Internet, j’ai pu écouter un peu et c’est magnifique. Mozart est un jeune homme, il est aussi palpitant que Muse. Nous sommes des centaines de milliers, peintres, sculpteurs, chorégraphes, cinéastes, chanteurs, musiciens. Il y a infiniment de gens qui cherchent les yeux bien ouverts et qui trouvent l’invisible.»
JHM : Mais peu de Français…
J. H. : «J’ai vu Bénébar et Cali avec qui j’ai chanté. J’aime aussi beaucoup Miossec, Dominique A que j’ai vu en banlieue et que j’ai trouvé génial, Yann Tiersen ou Alain Bashung que j’aime profondément. Delerm, j’ai acheté le disque, j’ai trouvé ça très bien écrit mais ça ne m’a pas passion- né. Mais ce n’est pas à moi de juger ! J’aime aussi beaucoup de choses dans le rap, les rappeurs parlent de politique comme il faut en parler. J’écoute égale- ment des disques que des jeunes artistes veulent me faire écouter. Il y a autant de poètes qu’avant mais tout est formaté. Avec la Star Ac et La Nouvelle Star, je n’ai jamais vu autant de stars. Le mot “star” ne veut plus rien dire. Une star, c’est Rita Hayworth. La définition de “sta” tient en Mademoiselle Arletty que j’ai rencontrée à la fin de sa vie. Elle était aveugle, j’ai discuté avec elle, elle m’a dit : «Star, star, est-ce qu’un être humain sur la planète peut prétendre être une étoile, être le soleil.» Une star peut être une personne qui dégage de la lumière simplement par son attitude. Barbara est une star qui ne s’est jamais pris pour une star. Sur scène comme dans la vie, c’était une star. Quand on écoute Léo Ferré, tout à coup on entend un souffle, un poète. C’est com- me avec Allain Leprest, j’adore ce mec, quand il chante, il est habité, il a les yeux qui brillent. Brigitte Fontaine, c’est pareil.»
C’est le printemps !
Fringante la chanson française ! A l’occasion du 30ème Printemps de Bourges, dinosaures et jeunes vedettes de la scène française sont venus offrir le meilleur d’eux-mêmes. Dans des styles bien particuliers, Les Ogres de Barback, Cali et Mickey 3D nous parlent du Printemps, de musique et des choses qui les entourent. Morceaux choisis…
Que du bonheur !
«On a décidé de former un groupe punk. Nous avions ce qu’il fallait : une guitare, une basse, une batterie, un chanteur mais nous étions incapables de nous accorder. C’était n’importe quoi, mais j’en garde un bon souvenir. Je me souviens d’une anecdote. Lors d’une séance radio le batteur avait cassé ses baguettes, alors, pour qu’il puisse continuer à jouer nous sommes allés dans un jardin casser des branches d’arbres pour former des sortes de baguettes.» En 1994, un groupe de copains forme le groupe Indy. Bruno Caliciuri, enfant de 68, est de la partie. Trois ans plus tard, Cali se lance dans une autre aventure avec le groupe Tom Scarlett. Il chante, co-compose, interprète et écrit tous les textes. Un album voit le jour en 1997, toujours autoproduit, le troisième après les deux premiers enregistrés avec le groupe Indy. La fièvre catalane l’emporte. Bruno Caliciuri se lance, seul. En 2001, son répertoire est déjà étoffé. Avec Aude Massat, Hugues Baretge et Julien Lebart, Cali s’en va à travers la France. A La Rochelle, il se voit offrir l’occasion de produire et de distribuer son premier albulm. La suite ? Que du bonheur. A cali- fourchon, la petite fleur nous raconte le bonheur et le chagrin. Les premières parties de Brigitte Fontaine et Bénabar sont déjà loin. Sur scène, Bruno Caliciuri s’amuse des douleurs brûlantes. Et il y a de l’énergie en lui.
Journal de la Haute-Marne : Comment vivez-vous votre retour ici, à Bourges, deux après votre premier passage ?
Bruno Caliciuri : «Je suis très heureux d’être là. Nous avons retrouvé la salle du Phénix où nous n’avons que de bons souvenirs. Notre passage à Bourges, il y a deux ans, a été un véritable palier puisque c’était notre premier gros festival. J’avais pu serrer la main de Monsieur Bashung dans les loges.»
JHM : Vous serez de la soirée consacrée à Léo Ferré. Quelle relation avez-vous entretenu au fil de votre vie avec ce monument de la chanson française ?
B. C. : «Mon papa me parlait beaucoup de Léo Ferré mais je n’arrivais pas à l’écouter. Quelque part, je trouvais Léo Ferré inaccessible. Un jour j’ai écouté la chan- son intitulée “Richard”. Ce titre a été le ruisseau qui ma porté vers l’océan Ferré. Je suis très fier de participer à la soirée consacrée à Léo Ferré. En plus, il y a des gens pas mal avec moi. Etre aux côtés de Dominique A, Lavilliers et Higelin est vraiment impressionnant. Jacques (Higelin), je l’adore. C’est vraiment un grand monsieur.»
JHM : Vous virevoltez sur scène pour mieux faire chavirer votre public. Vous n’hésitez pas à vous jeter dans la foule. D’où vous vient cette énergie ?
B. C. : «Je prends beaucoup de plaisir à sauter dans le public. Mathias Malzieu, de Dionysos m’a appris à faire ça. Au départ, je trouvais ça inhumain. J’ai essayé et c’est formidable. Il faut savoir que quand on est dans le public, on se fait caresser. La sensation est géniale, c’est vraiment troublant ! La sensation est difficile à expliquer mais quand on revient sur scène, on est un autre homme. Lors des Eurokéennes de Belfort, je suis parti dans le public tout guilleret. Très vite, je n’ai plus eu de baskets, ma chemise était déchirée et je me tenais le pantalon. Sur le moment, on n’a peur de rien. Je sais que Katerine vient également de se mettre au slam. Il parle même de “slamification” et il trouve ça adorable aussi.»
JHM : Il vous arrive également régulièrement de jouer les prolongations…
B. C. : «J’entends souvent dire qu’un concert ne doit pas durer plus d’une heure trente parce qu’après les gens se lassent. Je ne suis pas de cet avis. Nous restons parfois plus de trois heures sur scène. Je me fais souvent réprimander mais nous sommes tellement heureux sur scène que nous avons envie d’aller au bout de l’histoire.»
«J’ai mis 20 ans pour arriver où je suis»
JHM : Vous étiez nominé en compagnie d’Hubert-Félix Thiéfaine aux Victoires de la musique pour l’album pop-rock de l’année. Vous êtes repartis bredouilles. Comment avez-vous vécu cette soirée ?
B. C. : «Hubert-Félix m’a avoué qu’il aurait partagé sa récompense avec moi s’il avait gagnée. J’avais la même idée. Au final, il n’y avait que deux looseurs. Après avoir constaté notre défaite, nous sommes montés sur scène pour un duo. Un vigile me laisse passer puis stoppe le passage à Hubert-Félix. Ces Victoires de la musique sont très particulières. L’année prochaine, les Têtes Raides vont instaurer les Défaites de la musique. Médiatiquement, ça va être pas mal. Lors de la soirée des Victoires de la musique, j’ai également souhaité parler des membres de Dionysos qui forment, selon moi, le meilleur groupe de rock du monde. Ils n’ont pas été invités aux Victoires de la musique. C’est un peu ridicule.»
JHM : Vous multipliez les collabora- tions, les concerts et un livre relatant vos échanges avec Christophe Miossec vient de sortir. Cali n’en fait-il pas trop ?
B. C. : «On me reproche d’en faire trop. On me voit trop, c’est ce qu’on me dit ! J’ai mis 20 ans pour arriver où je suis, alors j’en profite, c’est un grand jeu pour moi. Ce n’est pas parce que des gens en ont assez de me voir que je vais décider de ne pas travailler sur tel ou tel projet. Il y a des choses que ne souhaite pas faire comme la Star Academy par exemple. Je suis maître de mes choix et je prends la décision de participer ou non aux différents projets qui se présentent. Comment peut-on dire non à Cesaria Evora ou à Thiéfaine ? Ne pas leur répondre serait prétentieux. J’ai animé des bals de village, j’ai pris du plaisir à faire ça, à reprendre Thiéfaine par exemple, et aujourd’hui, je chante avec lui.»
JHM : Comment s’est déroulée votre rencontre avec Christophe Miossec ?
B. C. : «Peu après mes débuts, j’ai vu un petit homme tout timide s’approcher de moi. Il est venu me demander s’il ne me dérangeait pas. Il a fallu que je lui explique qu’il est mon héros. Depuis, nous prenons du plaisir à nous retrouver. Deux journalistes bretons ont décidé de sortir un bouquin d’entretiens. Ça me fait rire quand on me dit que je sors un livre. C’est une fumisterie énorme ! En fait, avec Miossec, nous avons discuté à trois reprises autour d’un verre à Ouessant, à Perpignan et à Bruxelles. Nous avons passés des moments magiques où nous avons pu dire n’importe quoi. Avec Christophe (Miossec), nous n’avons imposer qu’une seule chose aux journalistes à la base de ce projet. Nous avons exigé qu’ils gardent tout. Au final, je suis très fier d’avoir fait ça.»
JHM : Vous êtes engagé pour la défense des droits du père après un divorce…
B. C. : «Avec mes meilleurs amis et mes sœurs, nous avons créé une association qui s’appelle L’Amour parfait. Notre objectif était de profiter de ma notoriété pour nous battre. Nous avons des idées à défendre. Le premier combat que nous avons mené me touchait personnellement. J’ai vécu une séparation douloureuse. Quand on aime quelqu’un et que cette personne s’en va, c’est difficile à gérer. Quand cette personne prend les enfants, on a l’impression de subir une double peine. Pendant des années, j’ai fait face à une justice avec des œillères. Attendre de passer devant le juge dans une salle glauque où il n’y a que des gens qui ne s’aiment plus est très dur à vivre. En France, on demande au papa de prou- ver qu’il peut être un bon père. On demande rarement ça à la maman. Au terme d’une entrevue de sept minutes avec le juge, j’ai eu le droit de voir mon fils un week-end par mois alors qu’auparavant je pouvais le voir régulièrement. J’ai décidé de me battre. Au fil des années, la mère de mon fils et moi avons fait le deuil de notre relation de couple et, aujourd’hui, nous avons pu instaurer un dialogue entre nous. La mère de mon fils a compris qu’un enfant avait besoin de son père. Ce combat, je ne le mène pas pour les pères ou les mères, je le mène pour les enfants.»
La tendresse des Ogres
Alice et Mathilde, les jumelles, Sam et Fred, les aînés. Cuivres, violon, contrebasse, accordéon, clarinette, scie musicale, un amalgame d’émotions, une bonne dose d’amour des quartiers populaires sur un bouquet d’anarchie et en avant la musique ! Voilà déjà plus de dix ans que Les Ogres de Barback vivent d’aventures et de rencontres.
Dès 1997, il fit bon s’attarder dans la “Rue du temps”. La silhouette d’“Irfan le Héros” (1999) planait déjà sur les scènes de France et d’ailleurs. Les Ogres aiment les voyages et les concepts novateurs. En troubadours qui se respectent, Alice, Mathilde, Sam et Fred s’en vont tracer la route, avec Les Hurléments de Léo et bien d’autres, et trouvent abri sous le Latcho Drom, un chapiteau financé par Les Ogres et leurs compagnons de route. Les copains des Ogres, parlons-en. En 2000, avec “Repris de Justesse”, Les Ogres rendent hommage aux artistes qu’ils aiment tant et dont ils se nourrissent. Les Têtes Raides, Pierre Perret, Les Béruriers noirs, Renaud, Brassens sont à l’honneur. Véritables artisans de la chansonnette, Les Ogres s’auto-produisent et veillent à façonner avec minutie leurs productions qu’ils décident d’auto-distribuer, dès 2001, grâce à la création de leur label (Irfan le Label). Avec Les Hurlements de Léo, Les Ogres enregistrent “Un air Deux familles” et partent découvrir les pays de l’Est. Puis vient le retour aux sources. Les pochettes d’albums réalisée par Aurélia Lambrin ont l’enfance en elles. En 2003, Les Ogres s’essayent au conte musical avec “La Pittores- que Histoire de Pitt Ocha”. Pierre Perret, la Rue Kétanou, K2R Riddim, Tryo et bien d’autres sont de la partie. “Dans leur Terrain Vague”, Les Ogres accueillent la Fanfare du Belgistan, Sanseverino, the Fabulous Trobadors. Des amis réunis en 2004 à l’occasion des dix ans d’un groupe libre comme l’air, un anniversaire immortalisé dans un DVD reflétant l’ampleur du talent de quatre frères et sœurs amoureux de la scène. Mathilde et Alice nous font pénétrer dans leur jardin extraordinaire.
Journal de la Haute-Marne : Vous avez sorti un DVD très soigné à l’occasion de vos dix ans. Est-ce, selon vous, le support capable de donner envie aux personnes de se ruer vers les salles ?
Alice : «C’est un bon support pour les groupes dans notre genre puisque les albums ne reflètent pas vraiment ce que nous faisons sur scène. Le DVD permet de se rendre compte de l’ambiance présente dans les salles, du côté festif et de tous les autres côtés aussi. Sur notre DVD, nous avons tenu à proposer l’intégralité d’un concert de plus de trois heures pour montrer ce que peuvent offrir Les Ogres.»
JHM : Vous êtes à l’affiche des 30 ans du Printemps Bourges. Quels ont été vos premiers contacts avec ce festival ?
Mathilde : «Le Printemps de Bourges ne se tient pas durant l’été, c’est notamment ce qui le rend intéressant. S’y rendre dé- coule d’une véritable démarche, ce n’est pas comparable avec la tournée d’été des festivals. La programmation est en général intéressante à Bourges puisque de nombreux styles sont représentés.»
Alice : «Nous avions joué dans le cadre du festival off à la Soupe aux choux, en ville. Maintenant, nous sommes programmés, c’est bien.»
«Dès septembre, nous allons nous faire entendre»
JHM : Le climat social est relativement agité ces derniers temps. Quelle est votre place dans les différents mouvements de contestation ?
Alice : «En tant qu’individu, chacun de nous fait ce qu’il veut de son côté. En ce qui concerne le groupe, nous essayons de faire passer des messages. Durant les manifestations contre le CPE, nous avons délivré sur scène un petit message mais nous n’avons pas pris particulièrement position en faisant un concert anti-CPE. Par contre, dès septembre, nous allons commencer à nous faire entendre.»
Mathilde : «Nous allons mettre quelque chose en place en nous appuyant sur nos chapiteaux. Pour l’instant, nous en sommes au début du projet mais nous allons, à partir de septembre, mettre en place quelque chose de concret. Nous voulons mettre en place un lieu où débattre, un lieu où les gens pourront s’exprimer. Les concerts que nous donnerons permet- tront de faire venir des jeunes, des lycéens afin de discuter de tout ce qui se passe.»
JHM : L’univers de l’enfance est très présent dans vos albums. Comment l’expliquez-vous ?
Alice : «Les gens nous disent souvent que nos pochettes plaisent aux enfants. Nous avons ce côté-là, peut-être encore plus depuis que nous avons des enfants. Nous avons fait un disque pour les enfants, nous chantons deux chansons de cet album sur scène. Nous aimons bien essayer de nous ouvrir un peu à tout même si nous ne sommes pas dans la catégorie “pédagogie”.»
JHM : Vous faites un point d’honneur à contrôler l’ensemble de production…
Mathilde : «Nous aimons autant organiser des événements que jouer. Nous aimons nous intéresser à tout dans le milieu du spectacle. C’est pour cette raison que nous sommes indépendants. Nous voulons savoir tout ce qui se passe dans un groupe et tout faire à notre manière. Nous participons au montage, à la promo et aux différentes étapes. C’est vraiment intéressant.»
JHM : Votre travail est toujours très soigné. Vous considérez-vous comme des artisans ?
Alice : «C’est le mot. Pour nous un disque, comme une affiche ou un concert doit être beau de A à Z. Nous avons envie de participer à tout et donc de contrôler toutes les étapes.»
JHM : Vous êtes parvenus à vous faire connaître sans pouvoir compter sur l’appui de la majorité des radios françaises. En tirez-vous une certaine fierté ?
Alice : «Dans un sens, c’est une fierté pour des groupes comme le nôtre ou bien d’autres de remplir des salles sans l’appui des gros médias. Les petits médias ont toujours été derrière nous. Mais il faut bien avouer que cette situation est énervante. Quand j’écoute certaines grosses radios, je trouve qu’il est complètement dingue d’entendre le même morceau dix fois dans la journée. Pourquoi matraquer le public avec des tubes ? Même dans les radios dites culturelles et donc un peu “intellos”, on note ce matraquage. La culture devrait s’ouvrir à tout ce qui ce fait.»
JHM : Participer à de nombreux projets vous permet-il de nourrir Les Ogres ?
Alice : «Ce sont surtout les rencontres qui nourrissent le groupe et à ce niveau là, nous sommes servis. Nous ne voulons pas rester qu’en famille, nous aimons monter des projets avec d’autres gens. Travailler avec d’autres gens est très nourrissant.»
Fredo enchante Renaud
Fredo, vous savez, le frangin de Sam, Alice et Mathilde chante Renaud. Plutôt bien. Très bien même. Fredo nous parle de Renaud. Un peu comme Renaud.
Journal de la Haute-Marne : Parlez- nous de votre première fois avec Renaud ?
Fredo : «Lorsque j’avais six ans, ma mère a reçu en cadeau l’album “Mistral gagnant” pour son anniversaire. J’ai écouté cet album et je suis tombé fou de cet artiste dès l’âge de six ans. A l’école, il y avait un certain décalage. Mes potes écoutaient Dorothée ou Chantal Goya et moi j’écoutais “Société tu m’auras pas”. J’ai écouté Renaud en boucle durant une dizaine d’années. A l’adolescence, j’ai un peu lâché l’affaire en écoutant du punk ou du rock. Puis j’ai entendu Renaud dire qu’il était vachement important qu’il reprenne Brassens pour faire découvrir cet artiste à ceux qui ne l’avaient jamais écouté. Les premiers textes de Renaud, à chaque fois que je les écoute, je prends une claque dans la gueule.»
JHM : Renaud fait figure de chanteur engagé. Aujourd’hui, les artistes prennent de moins en moins position…
Fredo : «Les gens de ma génération ont eu tendance à se dire qu’ils n’avaient pas forcément à être sur leurs gardes et à être toujours contre les choses. Les manifestations contre le CPE m’ont fait hyper plaisir. Ouf ! Les jeunes ont su dire non alors que depuis dix ans, ils laissaient filer. J’ai l’impression que la télévision est coupable. Elle nous tire vers le bas. Je ne la regarde plus. Dernièrement, ce que j’ai vu dans la rue m’a plutôt fait du bien même si je n’étais pas dans la rue. Nous sommes sur scène, sur la route, à droite et à gauche et nous n’organisons pas ces manifestations. Nous parlons d’anarchie dans nos chan- sons et automatiquement on nous demande si nous sommes politique- ment organisés. Nous soutenons certaines associations mais ce n’est pas nous qui sommes dans la rue.»
JHM : La réflexion a t-elle été longue avant de décider de vous produire sur scène avec une partie du répertoire de Renaud ?
Fredo : «L’idée trottait dans ma tête depuis toujours et, à un moment, je me suis dit que si je voulais le faire, c’était maintenant ou jamais.»
JHM : Quelle a été la réaction de Renaud ?
Fredo : «Il ne m’en a pas fait des pages et des pages. Il m’a dit que ça lui plaisait et qu’il n’y avait aucun problème.»
Mickey 3D : Ouvrez grand vos oreilles !
JHM : Bien du temps a déjà passé depuis vos débuts avec Mickey 3D. Parlez-nous de la naissance du groupe…
Mickey : «Nous venons tous de groupes différents. Il y a quinze ans, dans un village, nous avons monté une association afin de promouvoir des groupes de rock. Comme toujours, des membres de cette association pouvaient répéter tous les jours parce qu’ils étaient plus motivés ou au chômage et d’autres ne pouvaient répéter que le week-end. Comme je voulais faire de la musique tous les jours, après avoir découvert Dominique A, Miossec, Nougaro, Ferré, Barbara et plein d’autres, j’ai voulu écrire en français et j’ai monté un autre projet que j’ai appelé Mickey 3D. J’ai été rejoint par le batteur du groupe Nopajam. Ce petit projet a commencé à marcher. Comme nous avions envie de refaire un peu de rock&roll, le groupe Nopajam s’est reformé et je suis venu rejoindre ce groupe. C’est un peu un défouloir. Nous allons jouer dans des bars, à la campagne. C’est un peu un retour aux sources.»
JHM : A l’image de votre collaboration avec Indochine, vous travaillez avec de nombreux artistes. Comment se déroulent ces rencontres ?
Mickey : «Je ne fais pas de ségrégation. Je vois tout de suite si quelque chose m’inspire. Après “J’ai demandé à la lune”, j’ai travaillé pour Dutronc mais je ne sais même pas si les chansons sont arrivées jusqu’à lui. Je n’ai plus envie de me casser la tête, je ne veux plus travailler pour rien. Désormais, quand on me propose un projet, je rappelle la personne si un truc me vient tout de suite. Pour “J’ai demandé à la lune”, j’avais envie de travailler pour quelqu’un d’autre. Cette expérience m’attirait. Comme ça a cartonné, maintenant, on m’appelle.»
JHM : Après avoir notamment travaillé avec Jane Birkin, vous avez apporté vo- tre contribution au dernier album de Dick Rivers. Etonnante rencontre…
Mickey : «Dick, c’est une autre planète, c’est un autre monde. C’est le rock&roll, c’est lui qui a inventé la musique. J’étais en train de regarder les JO d’hiver, le télé- phone sonne, je décroche et j’entends : “Salut, c’est Dick. Tu ne rêves pas, c’est le vrai.” Ça m’a fait rire. Ce gars a de l’humour et il avait envie de faire un disque avec des personnes prêtes à l’aider. J’ai pris ma guitare et trois ou quatre chan- sons sont venues assez rapidement. Il était assez content. Je ne pensais pas travailler avec lui mais quand il m’a appelé, je me suis dit qu’on allait délirer.»
«Ecrire pour Lorie, ça me tente»
JHM : Avec quels artistes aimeriez-vous travailler ?
Mickey : «Ecrire pour Lorie, ça me tente. Ça fait toujours rire mais je ne plaisante pas. J’aime bien les challenges, les trucs pas évidents. J’aimerais également bien travailler avec Vanessa Paradis. J’adore le disque qu’elle a fait avec Lenny Kravitz (“Vanessa” sorti en 1992). J’aime bien son univers. J’aimerais également bien faire des textes pour Emilie Simon.»
JHM : Vous collaborez avec de nombreux artistes mais vous ne faites pas appel à d’autres pour vos productions. Ne recevez-vous donc pas de textes ?
Mickey : «Beaucoup de textes me par- viennent mais comme je suis très prolifique, je ne peux pas les utiliser. J’écris les miens.»
JHM : La scène française a-t-elle, selon vous, pris le pas sur la scène anglaise ?
Mickey : «Ça fait longtemps qu’un groupe anglais ne m’a pas plu. J’adore la pop anglaise et un des rares disques anglais que j‘écoute depuis un an est celui d’un jeune artiste qui s’appelle Paul McCartney (Mickey fait allusion à l’album “Chaos And Creation In The Back Yard”). Plein de groupes anglais sortent mais aucun me plaît. J’apprécie beaucoup le groupe canadien Arcade Fire qui fait un truc assez hallucinant. J’attends qu’un groupe anglais me renverse autant qu’Arcade Fire. J’ai l’impression que les groupes anglais n’amènent plus rien.»
JHM : Que pensez-vous avoir apporté de plus sur votre dernier album ?
Mickey : «Au début, avec Mickey 3D, je me suis mis à parler, un peu comme Gainsbourg avec de la musique derrière. Pour cet album, j’ai vraiment eu envie de refaire de la pop musique en mettant de la musique par dessus. Le texte de “Matador” n’est pas forcément très important. Il parle des rapports de force dans le couple mais je me suis surtout amusé avec la musique. Quand “Respire” est sorti, des gens pensaient que Mickey 3D était proche du rap. Ensuite d’autres ont dit que c’était de la chanson française et d’autres ont dit que c’était du rock. En fait, Mickey 3D c’est tout et rien et c’est ça qui est marrant. J’écoute de tout. Quand on a la culture musicale, un jour on a envie de faire un morceau avec une guitare sèche et le lendemain d’en faire un autre au clavier.»