Afghanistan : Un pays à vif
Reportage réalisé en juin 2009 – Chaleureux remerciements au lieutenant Melt et à l’ensemble des militaires du 61ème Régiment d’artillerie.
Reportage – 1er volet
L’Afghanistan à cœur ouvert
Centre névralgique de l’activité des groupuscules terroristes fondamentalistes, l’Afghanistan traverse une période clé de son histoire. Malgré l’aide apportée par la communauté internationale, le pays peine à sortir d’une profonde ornière. La terreur entretenue par les insurgés muselle un peuple opprimé. Au fil de cinq éditions, le Journal de la Haute-Marne dévoile la face cachée d’un pays marqué par la présence des forces françaises.
Vol FM 1085 pour Kaboul
Aéroport Charles-de-Gaulle, mardi 2 juin 2009. Le départ du vol FM 1085 pour Kaboul est fixé à 23 h. Plus de 300 militaires patientent en salle d’embarquement. Les soldats savourent une dernière gorgée de bière. Un A 340 de l’escadron de transport de l’armée de l’air s’avance sur le tarmac.
L’Airbus décolle en direction des Emirats Arabes Unis. L’escale à Abou Dahbi est de courte durée. Confinés dans l’avion, les soldats s’impatientent. L’Afghanistan les attend.
Après onze heures de vol, le log courrier atterrit à Kaboul. La chaleur est écrasante. Le thermomètre affiche 37°C. Les premières consignes donnent le ton. Tenue correcte exigée : gilet pare-balles et casque lourd sont de rigueur. Equipé d’un brouilleur censé éviter la mise à feu d’engins explosifs, un puissant 4 x 4 blindé longe le cœur de Kaboul en direction de Warehouse.
Le quartier général tactique de la Force internationale d’assistance et de sécurité (FIAS) est sous bonne garde. Sous-officiers et officiers s’activent au centre de presse des forces françaises.
Après quelques recommandations d’usage, il est temps de rejoindre Kaboul, ville placée sous le contrôle – fragile – des policiers afghans et interdite aux soldats de la FIAS. En dehors des missions militaires ouvertes à la presse, l’armée n’assure pas la sécurité des journalistes. Place à la découverte d’un territoire méconnu.
Sourires et AK 47
Un AK 47 coulant le long de sa jambe droite, un chauffeur de taxi se fraie un chemin entre poids-lourds et cyclomoteurs. Les règles du code de la route local sont pour le moins sommaires. La misère saute aux yeux. Les hommes en arme vont et viennent sous l’oeil des policiers afghans. Cartable sur les épaules, un enfant déguste une glace. Deux fillettes se désaltèrent. Vêtue d’une burqa, une femme file à bicyclette. Le chauffeur de taxi franchit une succession de barrages et s’aventure dans une allée. Hôtel accueillant membres d’organisations non gouvernementales (ONG), hommes d’affaires, barbouzes et journalistes, le Heetal Heritage a tout d’une place forte.
L’établissement est protégé par plusieurs hommes armés de kalachnikovs (AK 47). Barrières et portes blindées s’entrouvrent. Dressés au somment des différents ailes du bâtiment, d’immenses bâches ont été tendues afin d’éviter tout tir de sniper. Des sacs de sable sont entassés ici et là. Deux miradors surplombent l’hôtel. Charmant.
La nuit tombe à 18 h 30. Les rues de Kaboul s’animent. Les regards de passants laissent perplexe. Aux sourires des enfants s’opposent les moues des adultes. L’homme blanc n’a pas bonne presse. Un crachat marque l’hostilité d’autochtones rassemblés à l’angle d’une rue. Autant rebrousser chemin. Kalachnikov en bandoulière, les gardes assurant la sécurité de luxueuses villas s’amusent de la situation. Une rutilante berline blindée dépasse un peloton de cyclistes. Seringue au bras, un héroïnomane est étendu à-même le sol. Richesse et misère se côtoient. Les visages des Kaboulies se dévoilent. Une bousculade éclate et se dissipe. De retour à l’hôtel, le réceptionniste se montre catégorique : s’aventurer sans escorte dans certains quartiers de Kaboul est fortement déconseillé.
Les ravages de guerres en série
Coupés du monde, les Afghans cultivent une image de valeureux guerriers. Des rivalités ethniques ont succédé aux nombreuses invasions perpétrées par Huns, Mongols et Soviétiques. Contrôlé par les fondamentalistes depuis la mort du commandant Massoud, le pays est en proie à une profonde instabilité.
D’une superficie de 652 090 km2, la République islamiste d’Afghanistan compte officiellement 32 millions d’habitants. Plus que la France, ce pays présidé par Hamid Karzaï est peuplé par de nombreux groupes ethniques. Majoritaires, les Pachtounes (38%) partagent des terres montagneuses et arides avec Tadjiks, Hazaras, Ouzbeks, Turkmènes, Brahouis et Aïmaks. L’Afghanistan est également une mosaïque musulmane : ismaéliens, chiites et sunnites se côtoient.
Malgré ses diversités, le peuple afghan est très attaché à ses traditions culturelles et religieuses. Frontalier avec le Turkménistan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, l’Iran, le Pakistan et la Chine, l’Afghanistan est confiné aux limites du Proche-Orient et de l’Asie. Ancien carrefour de la route de la soie, ce pays enclavé profite d’une position stratégique à l’origine d’une histoire marquée par une succession de conflits.
Perses, Unhs, Britanniques et Soviétiques ont livré de rudes combats face au peuple afghan. Successivement occupée par Alexandre le Grand et Gencis Khan, cette terre pauvre en richesses naturelles a fait l’objet des convoitises de nombreux envahisseurs du fait d’une position géographique stratégique. Profitant de leur connaissance d’un territoire aride et montagneux, les Afghans ont opposé à travers les siècles une résistance farouche. Hauts plateaux et premiers cols de la chaîne de l’Himalaya ont vu tomber des forces occupantes terrassées par de valeureux soldats. Les Britanniques ont ainsi essuyé une cinglante défaite en 1880, la sanguinaire bataille de Maïwand marquant l’horreur de la deuxième guerre anglo-afghane.
Rivalités ethniques
La résistance livrée face à l’envahisseur soviétique contribue à la fierté de tout un peuple. Massivement déployés sur le territoire afghan, tes troupes venues d’URSS essuient rapidement de cuisants revers. Soutenus par des groupes islamistes internationaux et armés par les Etats-Unis, les moudjahidines développent une tactique de guérilla. Réfugiés dans les zones montagneuses, les insurgés multiplient les frappes. Limitée par un climat rigoureux et la topographie de zones montagneuses, l’emprise soviétique s’étiole. La guérilla menée par les serviteurs de l’Islam fait mouche. En 1989, l’URSS bat en retraite malgré le déploiement de colossaux moyens humains et matériels.
Dès le début des années 1990, différents groupes ethniques s’opposent. En avril 1992, Ahmed Chah Massoud prend Kaboul. L’offensive du commandant tadjik n’est pas du goût du peuple pachtoune, majoritaire dans un pays en proie à la dictature fondamentaliste. Soutenus par le Pakistan et plusieurs pays islamistes, les talibans conquièrent de nombreuses régions. L’Afghanistan devient un des centres névralgiques de l’activité de talibans et groupes terroristes internationaux. Oussama ben Laden trouve refuge dans un pays rongé par la violence et la misère.
Perpétré en septembre 2001, l’assassinat de Massoud marque la prise de pouvoir des fondamentalistes. Le 11 septembre, la communauté internationale prend la pleine mesure de la détermination du groupe al Qaïda. Concentrés en Afghanistan, les terroristes islamistes règnent sur un pays tombé sous le joug des fondamentalistes. La réplique des Etats-Unis est foudroyante. Appuyés par les membres de l’Otan et des combattants de l’Alliance du Nord fidèles à la mémoire du commandant Massoud, les Américains déploient un dispositif militaire colossal. Les forces talibans fuient Kaboul et se réfugient dans les zones montagneuses. L’histoire n’est qu’un éternel recommencement…
Les insurgés font de la géographie et de la topographie de l’Afghanistan leur principales armes. Proche des occidentaux, Hamid Karzaï est nommé président de la République islamiste d’Afghanistan. Libérée, Kaboul voit défiler les soldats de 37 pays. La résistance des insurgés n’en est pas moins vive.
Composée de plus de 11 000 hommes, la Force internationale d’assistance et de sécurité (FIAS) se déploie et essuie ses premiers échecs. Américains, Croates, Portugais ou Français sont aujourd’hui aux prises avec des groupes d’insurgés retranchés dans des zones reculées. Des accrochages font des victimes chaque semaine.
Concentrés sur 10 % du vaste territoire afghan, échanges de tirs, attentats et assassinats causent chaque semaine la mort de dizaines d’hommes, de femmes et d’enfants. Du 2 au 14 juin 2009, plus de 250 personnes ont ainsi perdu la vie.
Misère et violences éternelles
Marqué par une succession de conflits, l’Afghanistan demeure un des pays les plus pauvres de la planète. Fixée à 46 ans, l’espérance de vie témoigne des réalités d’un peuple en souffrance. Malaria, typhus, paludisme et autres maladies frappent la population. Une femme sur huit meurt en couche.
Le sort réservé aux Afghanes répond aux archaïques principes fondamentalistes appliqués par les talibans. Les actions civilo-militaires et les programmes mis en place par les ONG tendent à assurer une vie meilleure aux fillettes et adolescentes. Les femmes demeurent toutefois privées d’instruction, l’accès à la scolarité bénéficiant à quelques minorités. Les insurgés veillent à intimider les réfractaires. Des écolières ont ainsi été empoisonnées. A Kandahar, une adolescente a récemment été enlevée sur la route de son école avant d’être séquestrée et lapidée. Sa dépouillé a été jetée à-même le sol.
De nombreuses afghanes sont également privées d’accès aux soins, les chefs de famille privilégiant la santé des garçons à celle des filles. L’espérance de vie des femmes est ainsi inférieure à celle des hommes.
Un peuple coupé du monde
Dans les zones rurales, l’analphabétisme touche plus de 90% de la population. Vivant des des conditions moyenâgeuses, les paysans n’ont aucune conscience du monde qui les entoure. Pour beaucoup, New-York, Paris ou Tokyo sont autant de villes inconnues. Les échanges entre Occidentaux et Afghans sont particulièrement difficiles à instaurer du fait d’un véritable et profond fossé culturel. Centrée sur sa culture, la population peine logiquement à comprendre et intégrer les us et coutumes d’étrangers venus apporter un semblant de liberté, stabilité et progrès. Autant de notions difficilement perceptibles pour des ethnies coupées de toute logique de développement. Outils agricoles mécanisés, machines et autres moyens modernes d’exploitation et de production sont inexistants dans de nombreuses zones du territoire afghan. Seules les armes ont trouvé leur place dans les foyers de familles décimées par la malnutrition et des conditions sanitaires d’un autre temps.
Successivement armés par Soviétiques et Américains, les Afghans cultivent une fierté exprimées à coups de AK 47. Sans parvenir à atteindre la quiétude… Envisager une vie meilleure est difficilement imaginable pour un peuple opprimé.
La pression des insurgés
Depuis 2001, la communauté internationale a injecté 15 millions d’euros afin de doter le pays en équipements structurants. Si les villes se métamorphosent, les zones rurales peinent à se développer. L’espoir fait face à la lassitude. D’un montant de 800 $ (577 €), le revenu annuel moyen par habitant peine à croître. Réduites à cultiver du pavot vendu à prix modique, les populations rurales sont otages du système mis en place par les insurgés à la tête de puissants réseaux de trafic de stupéfiants. Prônée par les forces internationales, la mise en place de cultures vivrières s’impose comme une réponse aux besoins primaires des Afghans. La mise en place de programmes de développement est toutefois compromise par l’action d’insurgés souhaitant continuer à tirer de juteux bénéfices de la production de pavot. Les talibans font régner la terreur. Pillages, expropriations, menaces, enlèvements, attentats et assassinats font ainsi partie du quotidien des Afghans.
A ces pratiques s’ajoute la présence de huit millions de mines anti-personnelles d’origine soviétique. Chaque jour, pères, mères et enfants meurent dans la plus stricte indifférence. Autant de vies brisées au cœur d’un pays anéanti par la folie de l’Homme.
Repères et chronologie
Repères
Afghanistan
Régime : République islamiste
Superficie : 652 090 km2
Populaiton : 32 000 000 (plus de 40 % des Afghans ont moins de 20 ans)
Capitale : Kaboul (3 millions d’habitants)
Régime : République islamique
Président : Hamid Karzaï
Densité démographique : 43 hab/km2
Langues officielles : Pachto et Dari
Monnaie : Afghani
PIB annuel par habitant : 800 $ (577 €)
Taux d’analphabétisme : 90 %
Espérance de vie : 46 ans
Chronologie
VIème siècle avant Jésus-Christ : Les Perses envahissant l’Afghanistan.
Vème siècle avant JC : Les Huns défont l’emprise perse et marchent sur l’Afghanistan.
IIIème siècle avant JC : Invasion des Scythes.
328 avant JC : Alexandre le Grand conquiert une terre offrant une situation géographique stratégique.
Xème siècle : Invasion des Turcs. L’Afghanistan devient un des fiefs de la civilisation islamique.
XIIIème siècle : Dirigés par Gencis Khan, les Mongols s’approprient le territoire afghan.
1747 : Les Pachtounes fondent la première dynastie afghane.
1838 : Pays tampon entre l’empire russe et la colonie britannique des Indes, l’Afghanistan est au cœur d’un conflit sanglant. La première guerre anglo-afghane éclate.
1842 : L’armée britannique est décimée.
1880 : Les Britanniques prennent une cinglante revanche. Au terme de la deuxième guerre anglo-afghane, la colonie britannique s’empare de Kaboul.
1907 : Un traité anglo-russe assure l’autonomie de l’Afghanistan.
1919 : Les Afghans gagnent leur indépendance.
1929 : Dirigé par l’Emir Amanullah, le royaume d’Afghanistan passe aux mains des musulmans traditionalistes.
1953 : Mohammed Daoud scelle un pacte de développement économique avec le pouvoir soviétique.
1963 : Le pouvoir en place est mis à mal par l’opposition. Une monarchie constitutionnelle est mise en place. Mohammed Daoud s’appuie sur le soutien de l’URSS.
1973 : Mohammed Daoud renverse le pouvoir en place avec l’appui des forces soviétiques.
1977 : Mohammed Daoud est élu président.
1978 : Mohammed Daoud est assassiné. Muhammed Taraki devient président de la nouvelle République démocratique d’Afghanistan et profite du soutien officiel de l’URSS.
1979 : Les troupes soviétiques s’installent en Afghanistan et font face à une rébellion anti-communiste.
1980 : La CIA accroit son aide aux insurgés issus de factions fondamentalistes.
1989 : Les forces soviétiques sont vaincues.
1990 : Une guerre civile éclate. Les troupes du gouvernement communiste sont opposées aux forces menées et financées par Oussama ben Laden et autres leaders fondamentalistes.
1992 : Le régime communiste au pouvoir cède. Différentes ethnies se disputent le pouvoir. Ahmed Chah Massoud prend Kaboul. Burhanuddin Rabbani, islamiste modéré, est élu chef du gouvernement.
1993 : Ahmad Chah Massoud quitte Kaboul. Les Pachtounes prennent le pouvoir.
1994 : L’armée pakistanaise apporte son soutien aux forces talibanes. Une dictature fondamentaliste est imposée au peuple afghan.
1996 : Après un premier séjour au début des années 1990, Oussama ben Laden fait de l’Afghanistan le centre névralgique de l’activité des musulmans intégristes. Les talibans prennent Kaboul. Le Mollah Omar impose sa dictature. Les groupes islamistes para-militaires se multiplient.
1997 : Le Pakistan est le premier pays à reconnaître officiellement le régime taliban. Il sera bientôt suivi par l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis. Ahmad Chah Massoud est ses hommes opposent une résistance farouche aux talibans. Le commandant tadjik contrôle le Nord du pays.
1998 : Oussama ben Laden fonde le Front islamiste international contre les juifs et les croisés. Un processus de paix porté par l’ONU échoue.
2001 : Le Mollah Omar ordonne la destruction de tous les monuments érigés avant la naissance du régime islamiste. Ahmed Chah Massoud est assassiné. New-York est frappée en son cœur. Les Etats-Unis bombardent l’Afghanistan. La chute du régime taliban est effective, mais la résistance des insurgées demeurent vive dans de nombreuses régions. La communauté internationale s’engage. La France apporte son soutien aux forces de l’Otan.
2002 : Soutenu par les Etats-Unis, Hamid Karzaï est élu président de la République islamiste d’Afghanistan.
2008 : Dix soldats français et un interprète afghan meurent, le 18 août, dans une embuscade tendue par les insurgés dans la vallée d’Uzbine. Deux mois plus tard, un premier détachement de militaires du 61ème Régiment d’artillerie est déployé en Afghanistan.
Reportage – 2ème volet
Les Diables noirs sur le pied de guerre
Distante d’une centaine de kilomètres de Kaboul, la base avancée de Tora accueille 300 militaires français. Elément prépondérant du dispositif mis en place par le général Stollsteiner, la quatrième batterie du 61ème Régiment d’artillerie veille sur plusieurs vallées occupées par des groupes d’insurgés.
Mercredi 3 juin 2009, 7 h 30. Le soleil embrase les artères de Kaboul. Chassés sous le régime taliban, les oiseaux chantent. Les roses trémières sont en fleur. L’odeur des Naans afghans, galettes de pâte levée, s’échappent des échoppes. Un vendeur ambulant écoule son stock de cerfs-volants au coin d’une rue. Des détritus jonchent le sol. Défoncées, les routes sont le théâtre d’un ballet ininterrompu de voitures, cyclomoteurs et bicyclettes.
La trentaine, Nassim préfère répondre au prénom de Ben. Ce père de famille assure des missions particulièrement lucratives : assureur la sécurité d’occidentaux de passage à Kaboul. Nassim speack english very well. Une compétence rare et appréciée. Un fusil d’assaut AK 47 à portée de main, ce Kabouli joue du klaxon au volant de sa berline de marque Toyota. Direction Warehouse, quartier ultra sécurisé du général français Michel Stollsteiner et des troupes du Regional command-capital (RC-C).
A 10 h 30, un hélicoptère EC 725 Caracal se pose sur l’héliport de Warehouse. Officier de presse, le lieutenant Melt montre la marche à suivre. L’hélicoptère s’envole et s’engouffre dans une vallée. L’appareil vole à très basse altitude à plus de 200 km/h. Armés de Famas et de puissantes mitrailleuses de sabord, quatre militaires scrutent crêtes et recoins. La tension est perceptible. Les dangers sont multiples. Les versants montagneux sont des zones privilégiées par les insurgés. Sommets et cavités sont autant de postes de tir potentiels. De violentes rafales de vent s’engouffrent dans l’habitacle. Après une demi-heure de vol, le Caracal se pose à proximité de la base avancée de Tora.
Les Diables noirs sur la brèche
Le commandant Thomas s’avance à la porte de ce camp retranché planté au cœur d’un territoire désertique. L’accueil est chaleureux.
Les personnels du 61ème RA sont à pied d’œuvre. Sous commandement du capitaine Philippe, les Diables noirs viennent d’enchaîner sept missions en l’espace de trois jours. Le lieutenant Jean-Baptiste et l’adjudant Mario veillent à planifier les prochaines opérations. Quelques mètres plus loin, un drone fait l’objet de toute l’attention de techniciens et mécaniciens.
Entre deux essais, les militaires haut-marnais viennent aux nouvelles. Les artilleurs ont le mal du pays. La beauté des étendues boisées, la force du fromage de Langres et les douces saveurs du Muid Montsaugeonnais sont autant de souvenirs réconfortants.
Le capitaine Philippe rassemble ses hommes. Une colonne d’infanterie est engagée dans la vallée d’Uzbeen. Le retrait est programmé au cours de la nuit. La lise en œuvre d’un drone permettra de sécuriser le retour des troupes. Les tâches de chacun sont clairement définies. L’opération peut débuter.
Il est un peu plus de 18 h. La nuit tombe sur la base de Tora. En veille permanente, les hommes du capitaine Philippe sont prêts à déployer le Système de drone tactique intérimaire (SDTI). Chasseurs F 15 et bombardiers A 10 américains survolent la base. L’alerte est déclenchée à 22 h 30. Engagés dans la vallée d’Uzbeen, les artilleurs du 40ème RA de Suippes (Marne) viennent de faire état d’activités suspectes. La présence d’insurgés est vraisemblable. Des détonations viennent de retentir. Lampe Petzel sur le front, les personnels du 61ème RA s’activent autour du drone N°310. Le feu des lampes frontales balaie un tapis de cailloux. L’aéronef est hissé sur la lanceur. Le catapultage est imminent.
Tora, base avancée des forces françaises
Sous commandement français, le Régional command-capital (RC-C) veille à coordonner les différents missions confiées à la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS). Les soldats français s’attachent à étendre l’autorité du gouvernement afghan en assurant la sécurisation de la région de Kaboul et du district de Surobi. La formation et l’encadrement des troupes afghanes sont des axes prioritaires.
La base opérationnelle avancée de Tora est un élément clé du dispositif mis en place par le général Stollsteiner. Implantée au cœur du district de Surobi, cette Forward avancing base (FOB) accueille 300 militaires français et une vingtaine de soldats de l’armée afghane. Au pied de la vallée d’Uzbeen, ce site juchée à 1 480 mètres d’altitude offre des atouts stratégiques indéniables. Cette FOB permet également de contrôler les vallées de Mai Par, Tizin et Jeg Dalay. Les forces françaises basées à Tora peuvent, par ailleurs, intervenir en Kapissa, région sous commandement américain. Les drones français survolent ainsi régulièrement la vallée d’Alassaï, véritable sanctuaire taliban.
Dominée par imposant massif montagneux culminant à plus de 5 000 m, la FOB de Tora profite de la présence de deux étendues d’eau. Deux barrages et une centrale hydroélectrique permettent d’alimenter en eau et électricité la FOB de Tora et les villages environnants.
Un haut lieu de résistance
Cette base est inscrite dans l’histoire contemporaine afghane. Elle a en effet été le théâtre de violents combats. Dans les années 1980, un détachement de 60 soldats soviétiques était décimé par les moudjahidines. Après de violents combats, les rares survivants, réfugiés dans un bunker situé au centre de base, avaient été égorgés.
La vallée d’Uzbeen est un haut lieu de la résistance des insurgés. Le 18 août 2008, dix hommes du 8ème Régiment de parachutistes d’infanterie de marine, du 2ème Régiment étranger de parachutistes et du Régiment de marche du Tchad tombaient sous le feu ennemi à Sper Kunday, village situé à quelques kilomètres de la base de Tora. Deux mois plus tard, une roquette frappait la FOB.
Depuis le drame survenu à Sper Kunday, plusieurs centaines de militaires sont engagés dans la vallée d’Uzbeen. Déployés depuis octobre 2008, les effectifs du 61ème Régiment d’artillerie sont au cœur du dispositif mis en place dans une région peuplée de près de 25 000 habitants. Sous les ordres du capitaine Philippe, 37 Diables noirs de la 4ème batterie du 61ème Régiment d’artillerie ont fait de Tora leur camp retranché.
En collaboration avec le 1er Régiment d’infanterie de Sarrebourg (Moselle), l’escadron d’éclairage et d’investigation du 501/503ème Régiment de chars de combat de Mourmelon (Marne), le 48ème Régiment de transmission d’Agen (Lot-et-Garonne), le 40ème Régiment d’artillerie de Suippes (Marne), le 3ème Régiment du génie de Charleville-Mézières (Ardennes) et un détachement de l’armée afghane, les Diables noirs veillent à sécuriser les percées des troupes au sol et à livrer de précieux renseignements sur les activités des insurgés.
Reportage – 3ème volet
Mission accomplie
Sur le pied de guerre, les artilleurs du 61ème Régiment d’artillerie remplissent de nombreuses missions d’appui et de renseignement. Soumis aux conditions météorologiques, les Diables noirs multiplient les phases de contrôle afin d’optimiser les capacités de véritables petits bijoux de technologie. De nuit comme de jour, les drones veillent sur la vallée d’Uzbeen.
Jeudi 4 juin 2009, 0 h 45. Les artilleurs du 61ème RA sont sur le pied de guerre. Un vent tournant de 15 m/s plonge la base de Tora dans un épais nuage de poussière. Installé sur sa rampe de lancement, le drone N°310 peut être catapulté à tout instant. Les troupes engagées au cœur de la vallée d’Uzbeen vont débuter une phase de désengagement. L’appui des drones permettra de sécuriser le retrait des militaires français, américains et afghans.
Un violent orage s’abat sur la vallée d’Uzbeen. Des éclairs fendent l’horizon. Le vent redouble. Le lieutenant Jean-Baptiste se fait une raison : le vol doit être retardé. Sensible au vent, le drone n’est pas en mesure d’être catapulté. Dans l’attente d’une fenêtre météo favorable, techniciens et mécaniciens procèdent à une série de réglages.
Catapultage immédiat
A 4 h 35, les premiers rayons de soleil illuminent crêtes et cols. Déployés dans la vallée d’Uzbeen, les fantassins et artilleurs engagés sur le terrain peuvent enfin débuter leur phase de désengagement. Cette étape est particulièrement sensible. Les conditions climatiques s’améliorent. Les rafales s’étouffent. Les troupes au sol pourront compter sur l’appui d’un drone afin de sécuriser leur retour à la base de Tora.
Les Diables noirs procèdent à de nombreux et méticuleux contrôles. La procédure s’achève. Le moteur Bombardier de l’aéronef vrombit. Le lanceur est activé à 6 h 58. La catapulte pneumatique libère le drone. En l’espace de quelques dixièmes de seconde, l’avion sans pilote atteint la vitesse de 120 km/h. Face au vent, le drone s’élève et fend la masse nuageuse. A 7 h 15, l’aéronef évolue à 3 000 mètres d’altitude et file à plus de 180 km/h.
Le système d’imagerie embarqué livre de premières images transmises en temps réel à Tora, Kaboul et Nijrab. Le drone inspecte les lignes de crêtes. Le regard vissé sur plusieurs écrans, les analystes scrutent chaque recoin. Embossements, cavités et grottes peuvent abriter postes d’attaque et zones de repli des forces talibanes. Après deux heures de vol, le drone N°310 rejoint la FOB de Tora. Le parachute se déclenche. L’aéronef atterrit sans encombre. Les troupes au sol engagées au cœur de la vallée d’Uzbeen rejoignent la base avancée à 9 h. Aucun blessé n’est à déplorer. L’opération prend fin. La journée des Diables noirs ne fait pourtant que débuter.
A 11 h 30, une premier débriefing mobiliser les membres du 61ème RA. Le capitaine Philippe félicite ses hommes. Une pause déjeuner est décrétée. Sur le pont depuis plus de seize heures, les artilleurs peuvent goûter à quelques minutes de repos.
Dès 13 h 30, phases d’inspection des drones, procédures d’analyse des images et préparation d’une nouvelle mission mobilisent les troupes. A 16 h 40, la foudre s’abat sur la FOB de Tora. La nuit promet d’être chaude.
Un outil de haute technologie
Mis en œuvre à l’aide d’une catapulte dotée d’un vérin pneumatique actionnant une rampe de lancement, les drones de l’armée de terre sont de véritables petits bijoux de technologie. Développés par Sagem, ces aéronefs sont équipés de deux caméras logés dans une boule installée à l’avant de l’appareil. Ce système d’imagerie embarquée peut permettre de détecter un véhicule ou un être humain à plusieurs kilomètres de distance. Ces images transmises en temps réel peuvent être exploitées par des analystes.
Propulsé par un moteur de marque Bombardier, le drone peut atteindre 180 km/h et voler à une altitude maximale de 3 500 m. Piloté depuis une station de contrôle, l’avion profite d’une maniabilité et d’une réactivité optimales.
Les drones sont particulièrement sensibles aux conditions climatiques. Le vent est le principal ennemi des artilleurs du 61ème RA. Les aéronefs peuvent également souffrir de la chaleur. Au-delà de 45°C, les vols doivent ainsi être annulés. D’un autonomie de vol maximale de cinq heures, les drones effectuent des missions d’une durée oscillant entre deux et trois heures en Afghanistan. Déployés dans un rayon de 50 km, ils permettent de contrôler l’ensemble des vallées sous le contrôle de la Regional command-capital. Le relief accidenté et la puissance des vents balayant l’Afghanistan mettent matériels et personnels à rude épreuve. Le professionnalisme des pilotes et des équipes de maintenance est à la base du succès du Système de drone tactique intérimaire (SDTI) déployé à Tora. Depuis octobre 2008, les Diables noirs enchaînent les missions avec succès. Sur une centaine de vols, deux crash ont été enregistrés.
Des équipes complémentaires
Les 37 artilleurs du 61ème RA présents à la FOB de Tora basent leur action sur une coordination réfléchie des moyens humains et techniques.
Trois équipes de “reconditionnement” sont présentes au sein du détachement haut-marnais. Composée d’un chef de groupe et de deux opérateurs, chaque équipe a en charge les nombreuses phases de préparation précédant la mise en œuvre.
«Avant chaque vol, les drones sont soumis à différents bancs d’essais, souligne le capitaine Philippe. Les sous-ensembles des avions font l’objet de nombreux contrôles. Pour chaque mission, deux drones sont préparés afin de pouvoir répondre à une éventuelle panne d’un appareil. Nous devons être capables de déployer un drone à tout instant dans le cadre d’une mission inopinée.»
L’équipe de “lancement” rassemble un sous-officier et trois opérateurs. Ces professionnels hissent l’aéronef sur la rampe de lancement et procèdent aux derniers contrôles. La mise en fonction des sous-ensembles peut alors être assurée avant le catapultage.
«Nous sommes dépendants des conditions météorologiques, note le capitaine Philippe. Au-delà de 35 nœuds de vent, il est impossible de lancer un drone. Comme pour n’importe quel aéronef, le drone peut profiter d’un vent de face afin de pouvoir rapidement gagner de l’altitude. Le vent peut donc un être défavorable ou favorable à la mise en œuvre.» Une fois le vol achevé, l’équipe de “lancement” a en charge la récupération du drone sur la zone dédiée à son parachutage.
Le groupe “vol” comprend quant à lui deux équipages composés d’un chef de mission et d’un pilote. Ces artilleurs prennent en considération de nombreuses données. Aux bases topographiques et météorologiques s’ajoute une succession d’éléments propres au fonctionnement du drone. Régime moteur, autonomie, vitesse et altitude sont ainsi contrôlés en permanence.
L’exploitation des images est assurée par deux artilleurs. Un opérateur pilote la caméra. Un analyste oriente les recherches à mener et exploite en temps réel les images transmises par le drone.
En cas de panne, une équipe de “maintenance” peut être mobilisée. En liaison avec les ingénieurs de Sagem, ces techniciens appliquent un plan de maintenance préventif particulièrement poussé afin de minimiser la survenance d’incidents de vol.
«Nous sommes confrontés à de petits dégâts lors des récupérations des drones, souligne le capitaine Philippe. Voilures des parachutes et fuselages souffrent lors des phases d’atterrissage. Le matériel est mis à rude épreuve compte-tenu des conditions propres à ce pays. Il y a énormément de poussière et nous veillons en permanence à sauvegarder le matériel.»
Une menace perpétuelle
Incarnée par la dramatique embuscade de Sper Kunday, les résistance livrée par les insurgés met la force internationale à rude épreuve. Malgré un important déploiement humain et matériel, les troupes engagées en vallée d’Uzbeen peinent à neutraliser des groupes armés profitant de leur connaissance du terrain.
Sous commandement français depuis août 2008, le Regional command-capital (RCC) est le théâtre des activités de groupes d’insurgés particulièrement actifs. Les hommes du BatFra (bataillon français) et du BCS (bataillon de commandement et de soutien) font face à des hommes profitant de leur parfaite connaissance du territoire.
Depuis la dramatique embuscade de Sper Kunday, les forces françaises multiplient les initiatives afin de tenter de pacifier la vallée d’Uzbeen. Les effets sont d’ores et déjà perceptibles. Certaines zones demeurent toutefois inaccessibles dans l’ensemble du pays. La vallée de Nijrab demeure ainsi une zone de non-droit.
Les insurgés profitent du soutien de fidèles retranchés au Pakistan. Des camps d’entraînement situés dans la région de Wuan permettent de grossir les rangs des groupes opérationnels. L’endoctrinement des troupes suit un schéma immuable : propagande religieuse et consommation massive de stupéfiants participent à la formation de soldés habités par une profonde haine de l’Occident.
L’argent est également un facteur décisif. Un insurgé perçoit ainsi 8 $ par jour et peut profiter de macabres primes. L’assassinat d’un soldat français est ainsi rémunéré à hauteur de 1 200 $. La prime atteint 3 000 $ pour un soldat américain. Les candidats au suicide sont également motivés par l’argent. Les familles des candidats au martyr perçoivent ainsi entre 1 500 et 2 000 $ une fois l’attentat perpétré.
Sur le terrain, les insurgés usent de différents modes opératoires. Poses d’IED (engins explosifs dissimulés dans le sol), tirs de roquettes et embuscades sont les actions privilégiées par les groupes armés.
Les atouts du SDTI
Depuis plusieurs mois, les forces rassemblées à la FOB de Tora traquent le commandant Sultan Ali. Cet influent chef fondamentaliste profite de sa connaissance de territoire pour déjouer le dispositif de la force internationale. Accompagné d’une vingtaine d’hommes, ce leader taliban se fond dans la population et profite de nombreuses galeries souterraines facilitant le déplacement des insurgés.
Dans ce contexte, le Système de drone tactique intérimaire (SDTI) s’avère particulièrement précieux. «L’analyse distingue le drone de l’ensemble des pourvoyeurs d’images, précise le capitaine Philippe. Tous les avions de chasse et hélicoptères de combat sont dotés de systèmes d’acquisition d’imagerie très performants, mais les images ne sont pas analysées en temps réel par des spécialistes. La présence d’analystes est la plus-value du SDTI. Nous avons le recul et la formation nécessaires pour caractériser un objectif, localiser cibles et dangers et éviter les erreurs d’appréciation. Au mois de mai 2009, les frappes dans l’Ouest de l’Afghanistan ont causé la mort de civils. Une analyse précise des données aurait pu éviter cette action contre-productive.»
Conscients des moyens déployés par la force internationale, les insurgés redoutent l’impact des drones. Epiés de jour comme de nuit, le commandant Sultan Ali et ses hommes tentent de s’adapter à la menace planant au dessus de leurs têtes. «La nuit, les insurgés se recouvrent de couvertures humidifiées et restent immobiles pendant de longues heures afin de ne pas être détectés par les systèmes thermiques de vision nocturne, souligne le commandant Philippe. Le SDTI perturbe les insurgés et rassure la population. Ce système permet de marquer notre présence. L’impact psychologique est important.»
Mis en œuvre en octobre 2008, le système déployé par la 4ème batterie du 61ème RA participe à la lutte acharnée menée par la force internationale. Depuis plusieurs mois, les accrochages sont de moins en moins nombreux dans la vallée d’Uzbeen. La guerre est toutefois loin d’être gagnée…
ERS-RVT : un outil précieux
Les artilleurs du 61ème RA et l’ensemble des troupes de la Regional command-capital (RCC) vont bientôt profiter d’un nouvel outil de recueil de précieux renseignements. Développé par Sagem, le système ERS-RVT est actuellement à l’essai en Afghanistan. Relié à un terminal portatif, un système d’émission-réception permet aux troupes au sol de profiter en temps réel d’images géo-référencées de haute résolution émises par le système Système de drone tactique intérimaire (SDTI).
Encadrés par le chef Olivier, trois artilleurs du 61ème RA procèdent actuellement à une phase de tests aux côtés des hommes du 1er Régiment d’infanterie de Sarrebourg. Engagés sur le terrain, ces militaires peuvent sécuriser leur progression à l’aide des images transmises sur un terminal d’une taille similaire à un écran d’ordinateur portable.
Les vertus du dialogue
En poste à la FOB de Tora, le major Hervé et l’adjudant-chef Gérald coordonnent les actions civilo-militaires. L’ISAF profite de l’excellence des forces françaises en matière d’aide au développement. Chaque semaine, le major Hervé et l’adjudant-chef Gérald vont au contact des habitants de la vallée d’Uzbeen.
Représentant la population, maleks et wakils sont invités à prendre part à des shuras. Ces réunions permettent aux Afghans de faire état de leurs besoins. «Les demandes sont multiples, note le major Hervé. Nous distribuons des vêtements et des produits de première nécessité. Nous remettons en état des pompes à eau ou facilitons le forage de puits. Nous contribuons également à la construction d’écoles. Ces actions permettent d’établir une relation de confiance avec la population. Nous pouvons également expliquer les raisons de notre présence en Afghanistan. Nous ne sommes pas chez nous et nous ne tentons pas d’envahir ce pays. Nous sommes ici pour apporter notre aide au peuple afghan.»
Le major Hervé et l’adjudant-chef Gérald sont particulièrement exposés. Accompagnés d’un interprète, ces hommes d’expérience peuvent à tout moment être confrontés à une attaque des insurgés. «Ne pas être armé participe à la réussite de nos prises de contact, note un des deux militaires. Nous veillons à respecter les traditions afghanes. Nous nous laissons pousser la barbe en signe de respect pour nos interlocuteurs, nous n’utilisons jamais la main gauche et ne portons jamais de lunettes teintées. Ces marques de respect sont déterminantes, les Afghans y sont très sensibles. A partir du moment où nous sommes invités à manger, nous savons qu’il ne peut plus rien nous arriver ! L’accueil est parfois moins chaleureux…»
Si de nombreux échanges concourent à l’action de la FIAS, le dialogue demeure impossible dans certains villages acquis à la cause des insurgés. «les contacts sont souvent difficiles à établir, note l’adjudant-chef Gérald. La culture occidentale n’a aucune signification aux yeux de la majorité des Afghans. De nombreux villageois ne connaissent pas l’existence de Paris ou New-York.»
«De précieux renseignements»
La méthode adaptée par le major Hervé et l’adjudant-chef Gérald tend à faciliter l’intégration et l’action des forces françaises et afghanes. Au cours de leurs rencontres avec les chefs locaux, les personnels de la cellule “Actions civilo-militaires” recueillent de précieux renseignements. «Nos interlocuteurs nous fournissent de précieuses informations, se réjouit le major Hervé. Ils nous signalent la présence de caches d’armes et nous renseignent également sur la localisation des groupes d’insurgés. Certains maleks défendent toujours l’action des insurgés, mais nous sommes de mieux en mieux accueillis. Notre démarche a été comprise, mais il faut être patient. Pour de nombreux maleks, il est toujours hors de question de scolariser les enfants. Des contacts sont toutefois établis. Notre objectif n’est pas d’imposer un nouveau mode de vie à la population. Nous veillons à sensibiliser les maleks aux intérêts de projets susceptibles d’être développés et de profiter à la population.»
Des résultats probants ont d’ores et déjà été enregistrés. Des villageois de la vallée d’Uzbeen se sont ainsi engagés à privilégier la culture de blé à la production de pavot. «La médiation est à la base de cette réussite, souligne l’adjudant-chef Gérald. Menacer de brûler les champs de pavot n’aurait pas été judicieux. Nous proposons aux villageois de terminer leur récolte avant de s’engager à se lancer dans la culture de blé. Nous assurons la fourniture des semences et nous pouvons ainsi prouver à la population des bienfaits de la culture vivrière.»
Trafic d’héroïne : le nerf de la guerre
L’Afghanistan assure 93% de la production mondiale d’héroïne. Depuis l’intervention des forces américaines, les insurgés ont intensifié la culture de pavot. Les espaces cultivés s’étendent sur plus de 150 000 hectares. Assurant la survie de plus de trois millions d’Afghans, cette culture génère chaque année l’élaboration de 8 000 tonnes d’opium. Cette surproduction a entraîné à l’échelle mondiale une chute graduelle du cours de l’héroïne. Dérivé de l’opium, cet opiacé frappe inonde l’ensemble des pays développés de la planète. Massive, l’offre a optimisé la demande, la consommation d’héroïne affichant une nette hausse ces dernières années sur l’ensemble des continents .
Le pavot tapisse les terres arides de la vallée d’Uzbeen. Peu gourmande en eau et minéraux, cette fleur pousse à fleur de roche. La culture du pavot a été développée dans les années 1980. Soutenus par les services secret américains, des groupes fondamentalistes ont mis sur pied un trafic de dimension mondiale. Culturelle, la production de cannabis s’est également développée. Conscients de cette dérive, les Américains ont occulté la hausse continue de la production de narcotiques.
Unique source de revenus de villageois de nombreuses vallées, la culture de pavot profite aux organisations intégristes. Saisies ou achetées par une poignée d’afghanis – monnaie afghane -, les récoltes font la fortune des chefs talibans. Transformé en opium, le pavot est convoyé vers des laboratoires. L’héroïne est ensuite expédiée vers les pays développés. Sa vente génère un apport financier considérable permettant de financer l’acquisition d’armes.
Des stocks considérables
Spécialisé dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, un Français basé à Kaboul fait état de l’ampleur du trafic. «Les talibans ont en leur possession assez d’héroïne pour répondre à la demande mondiale pendant quinze ans, affirme cet interlocuteur. Le trafic de stupéfiants est indispensable au financement des actions des insurgés et des organisations terroristes. L’héroïne est également considérée comme une véritable arme. En alimentant le monde entier en héroïne, les talibans frappent leurs ennemis.»
Si plusieurs routes et réseaux permettant d’assurer l’exportation de plusieurs centaines de tonnes d’héroïne ont été découverts, la lutte contre ce trafic est difficile à mettre en œuvre. Généralisée, la corruption est à la base du système mis en place par les trafiquants. Malgré la saisie récente de 237 tonne de cannabis, les autorités afghanes font preuve d’un évident laxisme. En l’échange de quelques billets verts, policiers et militaires afghans laissent ainsi transiter des stocks de stupéfiants. Qu’ils servent les forces talibanes ou occidentales, les soldats afghans sont souvent eux-mêmes consommateurs d’opium, d’héroïne ou de cannabis. Les civils sont également touchés comme en témoigne la présence dans les rues de Kaboul d’adolescents et adultes étendus à-même le sol, seringue en veine. Selon diverses études, entre 5 et 15% des Afghans seraient toxicomanes. Si l’Islam interdit tout usage de stupéfiants, les groupes intégristes profitent d’une ressource naturelle générant des bénéfices annuels estimés à plusieurs centaines de millions de dollars. Les dérivés de l’opium sont également utilisés par les intégristes à des fins avilissantes. La consommation d’héroïne participe ainsi au processus de conditionnement et d’endoctrinement des insurgés et candidats au suicide.
Reportage – 4ème volet
Une guerre et des hommes
Les artilleurs du 61ème Régiment d’artillerie en poste à la FOB de Tora goûtent à de rares périodes de repos. Sur la brèche, les Diables noirs enchaînent les missions en occultant de rudes conditions de vie. L’esprit de corps et la satisfaction du devoir accompli chassent mal du pays et tracas du quotidien.
Vendredi 5 juin, 14 h 30
Un fantassin grille une cigarette en dévorant les dernières pages de “Caligula”. Camus l’aurait aimé ce pays, cette terre brûlée par un soleil assassin.
Deux soldats américains errent entre deux postes de défense. Six soldats de l’Us Army et un Britannique ont trouvé la mort en l’espace de quatre jours. Un engin explosif a désagrégé un Hummer. Les débris du blindé se sont éparpillés à une centaine de mètres de la zone d’impact. Le destin des soldats engagés en Afghanistan est parfois tragique. Jeudi, un officier a trouvé la mort des suites d’un accident de la route. La mort fait partie du quotidien des soldats engagés sur le sol afghan. Les noms des dix soldats tombés dans l’embuscade de Sper Kunday sont grabés à jamais dans le marbre. Erigé au cœur de la FOB de Tora, un monument témoigne du dévouement d’hommes morts avant l’âge.
Le silence règne dans la “popote” des artilleurs du 61ème RA. Le “popotier” assure le service. Le café est chaud. Des hommes du rang tapent le carton. Les Diables noirs goûtent à un repos mérité. Un repos de courte durée. Les artilleurs sont sur le qui-vive. Les personnels de l’équipe de “reconditionnement” s’activent autour d’un drone. L’alerte peut être déclenchée à tout instant. La préparation d’une nouvelle mission focalise l’attention des artilleurs. Un semblant de calme semble planer sur la FON de Tora. L’ascension du “Mont Saint-Michel” local est au programme. Au sommet, huit soldats scrutent l’horizon. La mascotte de la FOB file entre les jambes d’un artilleur. Adoptée par les militaires français, la jeune chienne accuse le poids de la fatigue. Tora vient d’être vaccinée !
Frères d’armes
Le soleil s’écrase sur les premiers cols de la chaîne de l’Himalaya. Le capitaine Philippe sonne le départ des troupes. Les hommes du Génie ont ouvert la voie. Un parcours sécurisé a été tracé. Les mines anti-personnelles dispersées sous l’ère soviétique sont peut là, à droite, à gauche ou un peu plus loin. Les cœurs font boom, le souffle se fait court. La bouffée d’oxygène prend fin. Le portail de la base de Tora se referme. La nuit tombe. Les étoiles défient l’obscurité. Les certitudes se noient dans les remous d’un avenir incertain. Par une nuit de pleine lune, les Diables noirs ont une pensée pour père, mère, femme, enfants ou prétendante. En poste depuis plus de deux mois, les artilleurs sont coupés du monde. L’esprit de corps prévaut. Chacun veille à apporter joie, respect et réconfort à son prochain. Frères d’armes, la artilleurs forment une véritable famille. Les sourires illuminent les visages. L’heure est à la détente. La “popote” résonne des rires des Diables noirs. Les consignes sont claires, nettes et précises. «Une bière, pas plus…» L’armée assume sa révolution culturelle. L’alcool n’assombrit plus les nuits des militaires.
Samedi 6 juin, 8 h 45
Après quelques heures de sommeil, les artilleurs sont à pied d’œuvre. Trois roquettes viennent de s’écraser à proximité directe d’un poste avancé occupé par des militaires américains et afghans. Moins de trois quarts d’heure plus tard, un drone survole la vallée d’Uzbeen. Un malek a fourni de précieux renseignements aux forces françaises. Le chef de village a communiqué la localisation de la zone de tir. Les images transmises par le système d’imagerie embarqué sont analysées en temps réel au centre opérationnel de la FOB. En liaison constante avec les commandants des différents régiments engagés dans la vallée, le capitaine Philippe entretient un secret espoir : localiser l’ennemi et livrer des données précises d’acquisition d’objectif. Les insurgés ont mis les voiles. Le drone survole la FOB. La mission s’achève. L’équipe de “récupération” est sur la brèche. Le parachute se déclenche à basse altitude, l’atterrissage est délicat. L’aéronef gagne la terre ferme. Les airbags dissimulés dans le fuselage du drone étouffent le choc.
A feu et à sang
L’heure est au bilan des missions remplies ces quatre derniers jours. Le SDTi a permis de détecter de nombreuses activités d’insurgés. D’importantes caches d’armes ont localisées grâce aux renseignements fournis par les Diables noirs : 78 obus de mortier de 82 mm, 30 roquettes, 38 obus de 75 mm, des éléments nécessaires à la fabrication d’engins piégés, un lance-roquette de 107 mm, des tenues de la police et de l’armée afghanes, un stock de grenades et d’importantes quantités de cannabis et d’opium ont été saisis. Des attaques ont frappé les insurgés. Les bilans divergent. Selon des sources américaines, les troupes su commandant Sultan Ali compteraient six morts. Le bilan humain pourrait être plus important. Un drone a détecté la présence de 16 tombes fraîchement creusées.
De violents accrochages ont également eu lieu dans la région de Kandahar. Les forces afghanes ont perdu 17 hommes, 248 insurgés ont été tués. Engagés entre Bagram et Nijrab, des hommes du 3ème Régiment d’infanterie de marine ont été pris dans une embuscade. Aucun blessé n’est à déploré. L’Afghanistan est à feu et à sang.
Le capitaine Philippe livre une information déconcertante à ses hommes. Repéré à proximité de la FOB, un groupe d’insurgés a fait l’objet d’une frappe aérienne. Une bombe à guidage laser GBU 38 a été larguée à seulement sept kilomètres de la base avancée de Tora. Cette frappe témoigne de la présence d’insurgés dans le périmètre immédiat de la FOB.
Des conditions de vie spartiates
En poste durant des mandats de six mois, les Diables noirs sont confrontés à de rudes conditions de vie. A la promiscuité de la place forte s’ajoutent des installations spartiates. Propre à l’armée française, la culture du système D prévaut. Logés dans des tentes de 30 m2 accueillant six personnes, les artilleurs disposent d’un confort désuet. Présents depuis octobre 2008 à Tora, les artilleurs ont été dotés en mai 2009 de systèmes de chauffage et de climatisation. Un impératif, la température oscillant entre – 15°C et 45 °C au fil des saisons.
Installés dans des conteneurs, douches, lavabos et WC peinent à satisfaire les 300 militaires basés à Tora. L’eau chaude vient souvent à manquer. A l’heure du déjeuner, hommes du rang, sous-officiers et officiers sont à la même enseigne. Par souci d’économie, l’armée française a confié le volet “restauration” à une société turque. Viande bouillie, légumes et sodas sont au menu, du lundi au dimanche. A table, les discussions entre artilleurs font honneur à la gastronomie française. Les Diables noirs rêvent de côtes de bœuf, coquilles Saint-Jacques et grands crus. A Tora, manger répond à un besoin primaire : se nourrir.
Entre frères d’armes, la solidarité n’est pas un vain mot. Confinés dans un périmètre délimité par des postes de défense, les artilleurs endurent une pression psychologique extrême. En dehors de rares escapades au sommet du “Mont Saint-Michel” local, aucune sortie en dehors de l’enceinte n’est autorisée. La mise à disposition d’un accès Internet permet aux Diables noirs de rester en contact avec leurs familles. Courriers et colis venus de France réconfortent des hommes coupés du monde. Des hommes sujets à l’anxiété et aux coups de blues. Solidaires, les artilleurs tirent leur professionnalisme d’un esprit de corps poussé à son paroxysme. Mobilisés en Afghanistan, les hommes de la 4ème batterie du 61ème RA seront de retour à Semoutiers en octobre 2009. Les Diables noirs pourront alors goûter aux délices d’une vie ordinaire.
Reportage – 5ème volet
Retour à Kaboul
Distante de plusieurs dizaines de kilomètres de Kaboul, la base avancée de Tora est dépendante de la route “Highway 7”, unique voie terrestre permettant de ravitailler les forces françaises et d’assurer les échanges commerciaux. Tracé à fleur de montagne, cet axe présente de nombreux dangers.
Dimanche 7 juin 2009, 21 h. La “popote” des Diables noir est copieusement garnie. Un soda à la main, les artilleurs fêtent l’anniversaire du brigadier-chef Aurélien et goûtent à quelques minutes de détente.
Le capitaine Philippe profite de l’occasion pour féliciter ses troupes, désigner l’artilleur du mois et donner de dernières consignes. Un survol de la région de Tagab est au programme. Un drone est prêt à fendre les cieux. Le capitaine Philippe redoute des conditions climatiques défavorables. Les heures passent. Sur le pont, les artilleurs attendent de profiter d’une fenêtre dé météo clémente. Le SDTI ne pourra être mis en œuvre, un vent violent balayant la FOB de Tora.
A 1 h 30, les artilleurs s’attardent devant un café avant de rejoindre leurs tentes. La nuit est douce. Au petit matin, le thermomètre affiche 33°C. A 9 h 30, un convoi militaire rejoint la FOB de Tora. Equipements, munitions, colis et vivres sont déchargés à la hâte. Chaque minute est précieuse. Le convoi doit rejoindre Kaboul au plus vite. Les militaires s’activent. A quelques mètres, des maçons afghans édifient des bâtiments appelés à accueillir les forces françaises. Dans trois mois, la superficie de la FOB devrait doubler. Les 300 militaires présents à Tora pourront alors profiter d’un confort appréciable.
Highway 7, la route aux mille virages
L’heure est au départ. Il est temps de quitter des hommes volontaires, cultivés et attachants. En poste depuis deux mois à Tora, les Diables noirs de la 4ème batterie seront de retour à Semoutiers au mois d’octobre. Direction Kaboul. De marque Renault, les Véhicules de l’avant blinde (VAB) sont dotés d’une tourelle de défense. La colonne de véhicules s’engage sur la “Highway 7”, principal axe routier de l’Est de l’Afghanistan. De nombreux poids-lourds empruntent cette route sinueuse tracée à fleur de montagne. Les VAB filent à toute allure. Prêts à faire feu, les soldats fixent crêtes et véhicules. Une attaque peut survenir à tout instant. Les VAB sont des cibles privilégies, le danger est constant. Dans l’habitacle, la chaleur est étouffante. Un miliaire est pris de vomissements. Soudain, le convoi doit stopper son ascension. L’accès à un tunnel est temporairement impossible. La tension est perceptible. Les soldats assurent la circulation et se fraient un passage. Le moteur vrombit de plus belle. Après une heure de route, le convoi gagne Warehouse.
Après un rapide passage au centre de presse de l’armée française, un taxi banalisé se fraie un passage dans les rues de Kaboul. Le chauffeur est disert. «La période est sensible. La campagne pour l’élection présidentielle du 20 août va débuter. Les autorités redoutent les attentats», souligne le Kabouli, maître de la langue de Shakespeare. L’homme avoue sa haine pour les occidentaux. «Avec les Américains, l’Afghanistan ne sera jamais libre…»
Les images des faubourgs de Kaboul illustrent la misère d’un peuple divisé. Enfants aux bras, des femmes vêtues de burqa se dirigent vers une place. Un homme pousse une brouette chargée de viande. Le marché va bientôt débuter.
Paroles d’artilleurs
Chef de mission SDTI, l’adjudant Laurent veille à planifier les vols des drones en relation directe avec le capitaine Philippe. «Je crée un plan de vol que je communique au pilote, précise le Diable noir. Nous avons découvert le vol en montagne en arrivant sur le théâtre afghan. Au fil des missions, nous rencontrons de moins en moins de difficultés.»
En poste au 61ème RA depuis 1998, l’adjudant Laurent réside à Bologne où il vit en compagnie de femme et enfants. «Partir pendant six mois fait partie du métier, souligne l’artilleur. Depuis 2001, j’ai été au Liban à deux reprises et j’ai assuré un mandat au Kosovo. Ma famille est habituée à me voir partir. L’appréhension existe, mais tout est fait faciliter la communication avec les familles. Je veille à être positif lorsque j’envoie un mail à mes proches. J’évite de faire état des choses négatives. (…) Nous avons été bien conseillés et nous avons profité des conseils des artilleurs présents lors du précédent mandat. Les conditions sont rudes, mais la répétition des missions permet d’oublier les aspects négatifs.»
La fierté de participer à l’action de pacification de la force internationale motive le maréchal des logis Prunelle, la seule femme du détachement du 61ème RA présente à la FOB de Tora. «Pour une première opération extérieure, partir en Afghanistan est un véritable challenge, témoigne la jeune femme. Je m’attendais à rencontrer des conditions délicates !» Logée avec cinq artilleurs, le maréchal des logis Prunelle n’a rencontré aucune difficulté d’intégration. «Etre la seule femme présente au sein du détachement ne me pose aucun problème, souligne la jeune femme. Je ne rencontre aucun souci particulier. Chacun fait sa petite vie ! Psychologiquement, tout va bien. Au cours de mes études, j’ai souvent été éloignée de ma famille. Etre ici est une véritable satisfaction. J’espère qu’il en sera ainsi jusqu’à la fin du mandat, dans quatre mois.»
«Nous veillons l’un sur l’autre»
Les artilleurs présents à Tora peuvent compter sur la présence d’un porte-parole cultivant un franc-parler particulièrement apprécié. «Je fais remonter au commandement les problèmes d’ordre personnel ou professionnel, souligne le brigadier-chef Frédéric. Nous regrettons de nombreux problèmes logistiques. Je pense que les toilettes de Sangatte étaient en meilleurs états qu’ici ! Nous sommes présents pour une durée de six mois et nous sommes confrontés à la promiscuité. Pouvoir profiter de sanitaires dans un état correct serait agréable. Nous sommes logés dans des tentes et nous avons patienté assez longtemps avant de pouvoir profiter de climatiseurs. Encore fallait-il installer le réseau électrique !»
Le brigadier-chef Frédéric est à l’écoute de ses frères d’armes. «Essuyer des coups de blues est humain, note le Diable noir. A titre personnel, je ne suis par certain de retrouver ma petite amie à mon retour. Il faut assumer ces situations tout en restant concentré sur son travail. Etre coupé du monde est épuisant psychologiquement. Nous veillons l’un sur l’autre !»
Dollars, corruption, violence et misère
Les subsides injectés par la communauté internationale participent au développement de Kaboul. Dans un contexte de corruption généralisée, les Kaboulis vivent entre deux mondes. Au bonheur des nouveaux riches s’oppose la misère d’une population en souffrance.
Mardi 9 juin 2009, 8 h 30. Les enfants défilent sur les trottoirs de Kaboul. Certains vont à l’école. D’autres déambulent et s’égarent dans des parcs tapis de fleurs. Chauffeurs de taxis, cyclomoteurs et 4 x 4 blindés montrent patte blanche aux nombreux barrages dressés au fil des rues de la capitale afghane. Policiers et militaires kaboulis montent la garde. L’accès à Kaboul est interdit aux soldats de la Force internationale d’assistance et de sécurité (FIAS). Les autorités afghanes font régner l’ordre. Fusils d’assaut AK 47 en bandoulière, de nombreux hommes en arme cohabitent avec les forces afghanes. Villas, ministères, hôtels et commerces sont sous bonne garde.
Deux vigiles se montrent menaçants. Les gardes craignent d’avoir été photographiés. Conduit dans le hall d’un immeuble, le suspect encourt un jugement arbitraire. Aucune photo ne fait état de leurs activités. Blanchi, l’occidental peut reprendre sa route.
En l’espace de huit ans, Kaboul a vécu une véritable révolution. Soumise pendant de nombreuses années aux diktats des autorités talibanes, la population aspire à une vie meilleure depuis l’arrivée de la force internationale. Parcs et jardins fleurissent d’un bout à l’autre de la ville. Des films indiens sont à l’affiche de rares cinémas. Des endroits peu fréquentés. Hantés par la crainte d’attentats, les Kaboulis peinent à fréquenter les salles obscures.
La chute du régiment taliban a entraîné un bouleversement du mode de vie des Kaboulis. Jeans, tee-shirts et baskets font rêver les adolescents. Dans les rues des quartiers chics du centre-ville, les femmes ont troqué la burqa pour des voiles laissant apparaître visages, rouge à lèvres rimmel. Les dernières créations des collections printemps-été s’affichent dans les vitrines de luxueuses boutiques réservées aux riches expatriés et aux membres de la diaspora locale. En injectant quinze milliards de dollars dans l’économie afghane, la communauté internationale a assuré la modernisation partielle d’une ville au cœur d’une profonde mutation. De nombreux travaux métamorphosent Kaboul. Hôpitaux, écoles, universités et centres commerciaux sont désormais accessibles à une minorité. La misère n’en est pas moins pesante. Les populations des quartiers périphériques sont confrontées à une sinistre réalité. La résurgence des principes fondamentalistes s’ajoute à la malnutrition et aux maladies. Femmes et enfants sont ainsi soumis à de sinistres conditions de vie.
Un système inégalitaire
Le développement de Kaboul a vu émerger une classe de nouveaux riches. Si les Kaboulis ont découvert non sans une certaine cupidité le monde des affaires, les bénéfices profitent principalement aux nombreux Occidentaux présents à Kaboul. Comme dans de nombreux pays du tiers monde, businessmen et barbouzes profitent des largesses des autorités afghanes. Généralisée, la corruption favorise l’émergence d’un système sociétal inégalitaire. Vivant avec mois de un dollar par jour, de nombreuses familles kaboulies cohabitent avec la nouvelle bourgeoisie afghane.
A 21 h, les nouveaux seigneurs de l’Afghanistan s’en donnent à cœur joie à L’Atmosphère, repère de la jet-set locale. Membres d’ONG, hommes d’affaires, et journalistes s’attardent devant verres de whisky et coupes de Champagne avant de s’en aller déguster Saint-Jacques et tournedos. A 23 h, la bourgeoisie locale regagne confortables villas et hôtels luxueux au volant de 4 x 4 blindés.
Dans une ruelle de Kaboul, le corps décharné d’une fillette gît entre deux charrettes à bras. A quelques kilomètres de Kaboul, la détonation d’un engin explosif retentit. Théâtre d’un développement soudain et obscur, Kaboul vit entre deux mondes. Les dollars affluent et la misère demeure. Ainsi va la vie des Kaboulis.