Joinville 1699 : le destin brisé de Maître Jean Douet
Alors réputé en Vallage pour l’échange de sa paroisse de Narcy contre celle de Sommermont en 1710, le curé Arnoult-Philbert Douet (1668-1743) soutint financièrement son frère cadet Jean, diplômé en droit de l’Université de Paris, pour qu’il obtienne lui aussi la prêtrise.
En ce règne de Louis XIV, les parents de Jean et d’Arnoult-Philbert Douet, Nicole Piault et Michel Douet, sont des bourgeois de Joinville qui se sont mariés mardi 22 novembre 1667 devant le vicaire de Joinville, l’abbé Lambert. La messe de mariage a été célébrée par Jean Loyselier, chapelain et vicaire de la même paroisse. Le couple a eu quatre enfants : Arnoult-Philbert né le 21 août 1668, Anne née le 14 avril 1670, Jean né le 13 octobre 1673, Marie née le 11 mai 1678 mais qui décède à l’âge de 12 ans. Jean, qui souhaite suivre son frère aîné dans la prêtrise, est tonsuré à 19 ans par Mgr Louis-Antoine de Noailles, évêque de Châlons dont dépend le nord de la Haute-Marne actuelle, en la chapelle basse de l’évêché. Il reçoit les deux premiers ordres mineurs samedi-saint 6 avril 1697 par Mgr Gaston de Noailles, frère du précédent devenu archevêque de Paris, en la même chapelle de l’évêché. Puis, il acquiert les deux derniers ordres mineurs samedi 21 septembre 1697 : même évêque, même chapelle. Or, pour recevoir le sous-diaconat au titre de son patrimoine, Jean, dont les parents sont décédés et qui est élève au séminaire de Châlons, se voit constituer par son frère Arnoult-Philbert, alors chapelain à Joinville, un capital. Ce bien permet de lui fournir une rente annuelle de cent livres tournois (initialement frappée à Tours, une livre tournois vaut 240 deniers ou vingt sous).
Licencié en droit civil et canonique
Un acte est établi devant les notaires royaux et apostoliques de Joinville, en présence des bourgeois Jean Ginot et Georges Bertrand. Maître Jean Douet y est qualifié de licencié en droit civil et canonique ayant étudié dans les collèges de l’Université de Paris (dont la faculté de théologie de la Sorbonne) et au séminaire de Châlons «afin de s’engager dans l’ordre du sacerdoce s’il plaît à Dieu de l’en rendre capable». Quant à l’argent nécessaire, il provient de l’héritage légué par leurs parents : les revenus de parcelles agricoles sur les finages de Gillaumé et de Saudron, de leur maison de Joinville située faubourg des Royaux, d’arpents de vigne et de terres labourables à Fronville, et d’un contrat de constitution de rente passé au profit de leur père par des bourgeois de Rupt. Arnoult-Philbert a accordé le tout, franc et quitte de toute hypothèque, à son frère cadet pour lui servir de titre sacerdotal. Ces biens se destinent à éviter au futur membre du clergé séculier (prêtre vivant en société) d’avoir à subvenir à ses besoins matériels par des occupations incompatibles avec son ministère : le denier du culte n’est pas encore de mise. Quant aux membres du clergé régulier (prêtres vivant en collectivité religieuse), ils n’ont pas à témoigner d’un patrimoine puisque leur ordre les prend matériellement en charge : c’est la décision du concile de Trente (1545-1563). Convoqué par le pape Paul III et clôturé par le souverain pontife Pie IV, ce conclave constitue alors la pièce maîtresse et le moteur de la Contre-réforme catholique face au protestantisme.
Une disparition prématurée
Fort de son pécule, Jean Douet reçoit le sous-diaconat samedi 21 décembre 1697, des mains de Mgr Gaston de Noailles, en la chapelle basse de l’évêché de Châlons. Puis, il obtient le diaconat a priori hors du diocèse. Il est ensuite ordonné prêtre samedi 4 avril 1699 par Mgr Gaston de Noailles, dans la chapelle basse de l’évêché. A la suite de son ordination sacerdotale, Jean Douet se rend à la cure de Valleret, près de Wassy, chez son frère Arnoult-Philbert qui est prêtre du village depuis 1698 (jusqu’en 1702 où il rejoint Narcy). Jean demeure en attente d’une charge ecclésiastique, à moins qu’il ne soit malade. En effet, il meurt à Valleret près de quatre mois après son ordination, lundi 20 juillet 1699, à l’âge de 25 ans et neuf mois. Le même jour, son corps est ramené à Joinville et inhumé sous le portail de l’église Notre-Dame par le curé de la paroisse, ceci à la demande de son frère Arnoult-Philbert qui est désespéré. Or, ce lieu fait actuellement l’objet d’un chantier de fouilles par l’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives), en vue de prochains travaux.
De notre correspondant Patrick Quercy
Sources : Archives municipales de Chatonrupt-Sommermont. Biographies des prêtres Arnoult-Philbert et Jean Douet par Bernard Aubépart, curé d’Eclaron (1994), d’après les archives départementales de la Marne et de la Haute-Marne.